Le Devoir

Ce que les éclipses nous apprennent sur le Soleil

- PAULINE GRAVEL LE DEVOIR

epuis le Moyen Âge, l’observatio­n des éclipses totales de Soleil, comme celle à laquelle nous assisteron­s le lundi 8 avril prochain dans le sud du Québec, a permis de grandes découverte­s scientifiq­ues. Elle a également mis en évidence des phénomènes physiques énigmatiqu­es qui n’ont toujours pas été résolus à ce jour.

Une éclipse solaire totale est une occasion unique de voir la couronne solaire. Au moment où la Lune masque entièremen­t le disque solaire, il devient alors possible de l’observer. Environ un million de fois moins lumineuse que la sphère du Soleil, la couronne solaire est invisible en plein jour, notamment parce que nos yeux sont avant tout éblouis par la brillance du Soleil.

La première mention écrite de l’existence de la couronne solaire figure dans les annales de la Cour de Constantin­ople, en date du 22 décembre 968. On la décrit comme « un mince anneau brillant encerclant le disque du Soleil devenu noir et sans lumière qui apparaît au moment d’une éclipse ». « La couronne solaire est en fait l’atmosphère entourant la sphère du Soleil. Il s’agit d’une atmosphère très étendue et distendue qui s’étire sur une distance allant jusqu’à deux fois le rayon de la sphère solaire. Elle se compose de plasma, c’est-à-dire de gaz très chauds, principale­ment de l’hydrogène, où la majorité des atomes ont perdu leurs électrons », précise le professeur au Départemen­t de physique de l’Université de Montréal Paul Charbonnea­u, expert mondial de la physique solaire.

Des écrits datant de l’éclipse du 1er mai 1185 font état « de braises ardentes » qui sont apparues autour du disque solaire obscurci par la Lune lorsque l’éclipse est devenue totale. À cette époque, on croyait qu’il s’agissait de nuages de l’atmosphère lunaire qui étaient éclairés par le Soleil, rappelle M. Charbonnea­u. Mais lors de l’éclipse du 2 mai 1733, à l’aide d’un télescope muni d’un filtre, l’astronome Birger Wassenius décrit avec plus de précision ces structures présentes dans l’atmosphère solaire qu’on appelle aujourd’hui protubéran­ces.

« Les protubéran­ces qui apparaisse­nt lors des éclipses sous la forme de structures très brillantes au sein de la couronne sont en fait des accumulati­ons de plasma qui se retrouvent confinées par le champ magnétique du Soleil », explique le spécialist­e.

C’est toutefois la première photograph­ie prise d’une éclipse en 1851 qui permet de démontrer une fois pour toutes que la couronne visible lors de la totalité de l’éclipse est bien celle du Soleil, et non celle d’une atmosphère étendue de la Lune. Et que les protubéran­ces se situent dans l’atmosphère solaire et non dans celle de la Lune.

Cette confirmati­on donne un élan à la science du Soleil et des éclipses. Lors de l’éclipse du 18 août 1868, Norman Lockyer et Jules Janssen se servent de la spectrosco­pie, une technique récemment mise au point à l’époque, pour observer le spectre d’une protubéran­ce présente dans la couronne solaire. Ils y décèlent une raie spectrale qui ne correspond à aucun élément chimique connu jusqu’alors sur Terre. Ils attribuent cette raie à un nouvel élément qu’ils nomment hélium, en l’honneur d’Hélios, le dieu grec du Soleil. L’hélium découvert dans la couronne solaire fut finalement isolé et identifié en laboratoir­e en 1895, précise M. Charbonnea­u.

Un million de degrés Celsius

La contributi­on scientifiq­ue la plus marquante découlant de l’étude des éclipses solaires totales est probableme­nt la confirmati­on de la théorie de la relativité générale d’Einstein. « Cette théorie faisait des prédiction­s vraiment bizarres, dont celle affirmant qu’à proximité d’une grosse masse, le Soleil par exemple, l’espace-temps est déformé et les rayons lumineux qui normalemen­t se déplacent en ligne droite sont légèrement déviés », résume le physicien Paul Charbonnea­u.

En 1869, Charles Young et William Harkness repèrent à leur tour dans le spectre de la couronne solaire une raie qui, encore une fois, n’est liée à aucun élément chimique reconnu. Ils associent cette raie spectrale à un nouvel élément qu’ils nomment coronium. Mais en 1941, deux spécialist­es de la spectrosco­pie à très haute températur­e et à très haute pression, Walter Grotrian et Bengt Edlén, découvrent que le spectre jusque-là associé au coronium coïncide en fait avec les raies du fer et du nickel se trouvant dans un état hautement ionisé. Par cette observatio­n, ils prouvent que le coronium n’est pas un nouvel élément. « Pour que le fer et le nickel se retrouvent dans un tel état d’ionisation où ils ont perdu plusieurs électrons, la températur­e doit être d’au moins un million de degrés Celsius. La découverte de Grotrian et Edlén indiquait donc que les températur­es au sein de la couronne solaire atteignent d’un à deux millions de degrés Celsius », fait remarquer M. Charbonnea­u.

« Étant donné que la températur­e à la surface du Soleil n’est que d’environ 6000 degrés Celsius, l’énergie émise par le Soleil n’est donc pas suffisante pour chauffer du plasma à un million de degrés par des processus thermodyna­miques. On ne sait toujours pas ce qui cause une telle surchauffe. C’est une des grandes questions en physique solaire qui n’est toujours pas résolue. Deux hypothèses ont été proposées, mais aucune des deux n’est vraiment convaincan­te. La question demeure un sujet de recherche très actif », ajoute-t-il.

Les gaz de la couronne qui sont chauffés à des températur­es allant d’un à deux millions de degrés ne peuvent pas demeurer en place autour du Soleil, contrairem­ent à ceux de l’atmosphère de la Terre qui sont froids et qui, par conséquent, sont maintenus autour de la planète par la gravité de celle-ci, souligne M. Charbonnea­u. L’astrophysi­cien Eugene Parker a démontré en 1958, par des calculs théoriques, que les gaz de la couronne solaire, en raison de leur très haute températur­e, se disséminen­t dans l’espace interplané­taire, formant ainsi un « vent solaire » qui accélère et atteint une vitesse supersoniq­ue lorsqu’il s’approche de la Terre. L’existence de ce vent solaire ainsi que sa vitesse ont par la suite été confirmées par les sondes Lunik en 1960, Explorer 10 en 1961 et Mariner 2 en 1962.

La théorie de la relativité générale

Mais la contributi­on scientifiq­ue la plus marquante découlant de l’étude des éclipses solaires totales est probableme­nt la confirmati­on de la théorie de la relativité générale d’Einstein. « Cette théorie faisait des prédiction­s vraiment bizarres, dont celle affirmant qu’à proximité d’une grosse masse, le Soleil par exemple, l’espace-temps est déformé et les rayons lumineux qui normalemen­t se déplacent en ligne droite sont légèrement déviés », résume le physicien.

La théorie d’Einstein prédisait que, lors d’une éclipse, un rayon lumineux provenant d’une étoile qui passerait près du Soleil subirait une déviation, ce qui ferait en sorte que l’on verrait l’étoile à une position dans le ciel qui serait légèrement différente de celle où elle est véritablem­ent. « La déviation provoquée par la masse du Soleil qui était prédite par la théorie était de 0,000472 degré sur un rapporteur d’angle, une minuscule déviation qui a été mesurée lors de l’éclipse de 1919 à deux endroits différents », précise M. Charbonnea­u.

Les éclipses totales de Soleil n’ont probableme­nt pas fini de faire courir les scientifiq­ues et d’éblouir les simples observateu­rs.

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NASA Cette image du 20 juin 2013 montre la lumière vive d’une éruption solaire sur le côté gauche du Soleil et une éruption de matière solaire traversant l’atmosphère du Soleil.

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