La carte de la discorde
Des débats douloureux attendent la société québécoise dans les prochains mois. Le gouvernement Legault s’apprête à dévoiler de nouvelles règles concernant l’aménagement en zone inondable qui promettent de semer l’émoi. Résultat de la combinaison de la négligence crasse dans l’aménagement du territoire et de l’accélération des effets des changements climatiques, des dizaines de milliers de propriétaires sont sur le point de découvrir que leur investissement le plus précieux sur le plan affectif et économique, leur toit, ne vaudra guère plus qu’un château de cartes dans un futur immédiat.
La Presse rapportait récemment que la nouvelle cartographie des zones inondables toucherait des milliers de propriétaires, qui pourraient voir la valeur foncière de leur propriété diminuer considérablement, en plus de compromettre les possibilités de financement, d’assurance et de revente.
Le Québec part de loin. Combien de résidences sont menacées par les inondations ? Impossible de le déterminer en ce moment. Les ministères de la Sécurité publique et de l’Environnement ne colligent pas de données sur le sujet. Le ministère de l’Environnement a même confié à La Presse que dans certains cas, la cartographie des zones inondables n’avait pas été refaite depuis 30 ans.
Ce n’est pourtant pas comme si les inondations étaient un phénomène récent. À l’instar du lancement de la pêche au homard, du jour de la Marmotte ou encore de la rentrée scolaire, elles font partie du rituel médiatique tous les printemps, et maintenant l’été avec la formation de rivières atmosphériques et les crues diluviennes. Nous ne pouvons feindre l’ignorance, et pourtant, nous ne sommes pas mieux préparés à affronter les défis immédiats des changements climatiques.
Selon les données du Bureau d’assurance du Canada, les inondations de 2017 et de 2019 ont coûté 58 millions et 280 millions respectivement aux compagnies d’assurances. Le gouvernement du Québec a aussi assumé 390 millions en pertes non assurées. Le choc a incité Québec à entreprendre un important chantier de mise à jour des cartes des zones inondables. Ces cartes, qui seront rendues publiques prochainement, suscitent de vives inquiétudes. Seront-elles dessinées au trait fin de la nuance ou au trait gras de l’approximation ?
Les institutions bancaires et les assureurs n’attendent pas la réponse avant d’agir. La décision récente de Desjardins d’interrompre le financement pour l’achat de maisons en zone inondable 0-20 ans a provoqué la consternation. Des propriétaires craignent de ne plus être en mesure de disposer de leur bien, car Desjardins était l’une des dernières institutions qui finançaient encore des propriétés situées en zone inondable. La coopérative a opté pour une formule mitoyenne. Si un client qui détient déjà un prêt veut vendre sa maison, elle financera l’éventuel acquéreur jusqu’à 65 % du prix.
Cette décision témoigne d’un pragmatisme dans la gestion du risque. Desjardins, malgré son statut de mouvement coopératif enraciné dans l’évolution économique du Québec, ne peut faire abstraction de cette dure réalité. À long terme, le marché se chargera du reste. Qui voudra acquérir une propriété dans une zone à risque alors que l’irrépressible vague des changements climatiques avalera la quiétude des propriétaires riverains ?
Il est donc urgent de brosser le portrait de la situation et de revoir notre appréciation collective du risque. Le passage à l’action restera un défi colossal. Qui devra payer pour améliorer la résilience des propriétés à risque ? Les villes, si enclines à réclamer à la fois autonomie et sources de financement, ne pourront être épargnées par l’effort à fournir, comme elles portent une part de responsabilité dans l’octroi insouciant de permis de construction en zone inondable. Quels seront les critères justifiant une expropriation, étant donné que les fonds publics ne constituent pas une réserve inépuisable ? Et comment arriverons-nous à distinguer les propriétaires insouciants, installés dans des zones à risque en toute connaissance de cause, de ceux qui sont rattrapés par la force brute et imprévisible des dérèglements climatiques ?
Nous devrons compter sur une approche raisonnée des élus de l’Assemblée nationale pour affronter la tempête. Il y a des vies, des villes et des villages, des projets de retraite, des pans du territoire et des priorités d’investissement dans la résilience climatique qui subiront les contrecoups de ces changements. La carte des zones inondables deviendra vite la carte de la discorde sans un plan cohérent du gouvernement Legault et des explications claires sur la suite des choses. Ce ne sera pas une mince affaire de trouver la juste répartition du fardeau financier entre les citoyens, les villes et Québec pour accroître notre résilience collective. C’est un dossier qui commande une approche non partisane dans la recherche de solutions qui seront à la fois durables, réalistes et équitables.