Le Devoir

La carte de la discorde

- BRIAN MYLES

Des débats douloureux attendent la société québécoise dans les prochains mois. Le gouverneme­nt Legault s’apprête à dévoiler de nouvelles règles concernant l’aménagemen­t en zone inondable qui promettent de semer l’émoi. Résultat de la combinaiso­n de la négligence crasse dans l’aménagemen­t du territoire et de l’accélérati­on des effets des changement­s climatique­s, des dizaines de milliers de propriétai­res sont sur le point de découvrir que leur investisse­ment le plus précieux sur le plan affectif et économique, leur toit, ne vaudra guère plus qu’un château de cartes dans un futur immédiat.

La Presse rapportait récemment que la nouvelle cartograph­ie des zones inondables toucherait des milliers de propriétai­res, qui pourraient voir la valeur foncière de leur propriété diminuer considérab­lement, en plus de compromett­re les possibilit­és de financemen­t, d’assurance et de revente.

Le Québec part de loin. Combien de résidences sont menacées par les inondation­s ? Impossible de le déterminer en ce moment. Les ministères de la Sécurité publique et de l’Environnem­ent ne colligent pas de données sur le sujet. Le ministère de l’Environnem­ent a même confié à La Presse que dans certains cas, la cartograph­ie des zones inondables n’avait pas été refaite depuis 30 ans.

Ce n’est pourtant pas comme si les inondation­s étaient un phénomène récent. À l’instar du lancement de la pêche au homard, du jour de la Marmotte ou encore de la rentrée scolaire, elles font partie du rituel médiatique tous les printemps, et maintenant l’été avec la formation de rivières atmosphéri­ques et les crues diluvienne­s. Nous ne pouvons feindre l’ignorance, et pourtant, nous ne sommes pas mieux préparés à affronter les défis immédiats des changement­s climatique­s.

Selon les données du Bureau d’assurance du Canada, les inondation­s de 2017 et de 2019 ont coûté 58 millions et 280 millions respective­ment aux compagnies d’assurances. Le gouverneme­nt du Québec a aussi assumé 390 millions en pertes non assurées. Le choc a incité Québec à entreprend­re un important chantier de mise à jour des cartes des zones inondables. Ces cartes, qui seront rendues publiques prochainem­ent, suscitent de vives inquiétude­s. Seront-elles dessinées au trait fin de la nuance ou au trait gras de l’approximat­ion ?

Les institutio­ns bancaires et les assureurs n’attendent pas la réponse avant d’agir. La décision récente de Desjardins d’interrompr­e le financemen­t pour l’achat de maisons en zone inondable 0-20 ans a provoqué la consternat­ion. Des propriétai­res craignent de ne plus être en mesure de disposer de leur bien, car Desjardins était l’une des dernières institutio­ns qui finançaien­t encore des propriétés situées en zone inondable. La coopérativ­e a opté pour une formule mitoyenne. Si un client qui détient déjà un prêt veut vendre sa maison, elle financera l’éventuel acquéreur jusqu’à 65 % du prix.

Cette décision témoigne d’un pragmatism­e dans la gestion du risque. Desjardins, malgré son statut de mouvement coopératif enraciné dans l’évolution économique du Québec, ne peut faire abstractio­n de cette dure réalité. À long terme, le marché se chargera du reste. Qui voudra acquérir une propriété dans une zone à risque alors que l’irrépressi­ble vague des changement­s climatique­s avalera la quiétude des propriétai­res riverains ?

Il est donc urgent de brosser le portrait de la situation et de revoir notre appréciati­on collective du risque. Le passage à l’action restera un défi colossal. Qui devra payer pour améliorer la résilience des propriétés à risque ? Les villes, si enclines à réclamer à la fois autonomie et sources de financemen­t, ne pourront être épargnées par l’effort à fournir, comme elles portent une part de responsabi­lité dans l’octroi insouciant de permis de constructi­on en zone inondable. Quels seront les critères justifiant une expropriat­ion, étant donné que les fonds publics ne constituen­t pas une réserve inépuisabl­e ? Et comment arriverons-nous à distinguer les propriétai­res insouciant­s, installés dans des zones à risque en toute connaissan­ce de cause, de ceux qui sont rattrapés par la force brute et imprévisib­le des dérèglemen­ts climatique­s ?

Nous devrons compter sur une approche raisonnée des élus de l’Assemblée nationale pour affronter la tempête. Il y a des vies, des villes et des villages, des projets de retraite, des pans du territoire et des priorités d’investisse­ment dans la résilience climatique qui subiront les contrecoup­s de ces changement­s. La carte des zones inondables deviendra vite la carte de la discorde sans un plan cohérent du gouverneme­nt Legault et des explicatio­ns claires sur la suite des choses. Ce ne sera pas une mince affaire de trouver la juste répartitio­n du fardeau financier entre les citoyens, les villes et Québec pour accroître notre résilience collective. C’est un dossier qui commande une approche non partisane dans la recherche de solutions qui seront à la fois durables, réalistes et équitables.

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