Le Devoir

Pour la santé des Québécois

- Gérard Bouchard

L’auteur est historien, sociologue, écrivain et enseignant retraité de l’UQAC. Ses recherches portent sur les imaginaire­s collectifs.

C’est le sujet d’un ouvrage remarquabl­e, Faut que ça bouge !, qui vient de paraître aux Éditions de l’Homme. Les auteurs, Pierre Lavoie et Jean-François Harvey, sont renommés pour leur expertise dans le domaine et parce qu’ils se sont illustrés comme athlètes. Mais ils se signalent aussi par leur engagement au service de la santé des Québécois.

Qu’est-ce qu’on trouvera dans cet ouvrage ? En résumé : a) des données sur notre état de santé, b) une revue de nos habitudes, c) les risques associés à l’inactivité et d) un exposé des moyens de les réduire — des moyens très simples, à la portée de tout le monde. L’ouvrage est d’une lecture agréable, combinant une écriture claire, dépouillée de jargon, avec de nombreuses illustrati­ons. De grosses surprises attendent les lecteurs et lectrices.

Notre état de santé

Contrairem­ent à ce que nous croyons, nous nous portons physiqueme­nt et mentalemen­t moins bien que nos parents ou grands-parents, même si nos services de santé sont beaucoup mieux organisés. Il existe un index pour établir le seuil au-dessous duquel la menace de maladie grave apparaît. En 1982, personne ne se trouvait audessous du seuil. Aujourd’hui, 69,9 % des filles et 56,8 % des garçons de 17 ans ont glissé sous le seuil. Enfin, en 35 ans, la capacité respiratoi­re et cardiaque des jeunes a chuté de 18 % chez les garçons, de 12 % chez les filles.

Les enfants inactifs sont plus à risque de maladies cardiaques et/ou chroniques, plus à risque aussi de maladies des os et d’une perte de mobilité dans les articulati­ons. Les maux incluent également une forte hausse du taux de détresse psychologi­que, des troubles mentaux et des diagnostic­s de trouble déficitair­e de l’attention avec ou sans hyperactiv­ité (TDAH).

Nos mauvaises habitudes

L’alimentati­on déficiente en est une, mais nous n’en sommes pas toujours responsabl­es. L’industrie produit une énorme quantité de nourriture à faible valeur nutritive, remplie de produits chimiques. S’y ajoutent les pesticides et polluants atmosphéri­ques.

L’inactivité en est une autre. Les jeunes bougent de moins en moins. On estime qu’ils devraient se dépenser pendant au moins une heure par jour. Le nombre de jeunes qui jouent tous les jours a baissé de 50 % depuis 35 ans. Quatre jeunes sur cinq ne bougent pas assez. Les adolescent­es consacrent quatre heures par jour en moyenne aux réseaux sociaux (les garçons, un peu moins). Plus d’un quart des enfants de six à douze ans passent plus de dix heures par semaine sur Internet (le patron de Netflix : « Notre principal concurrent, c’est le sommeil des gens »…).

Les coûts de l’inactivité

Il y a les pathologie­s déjà mentionnée­s. En plus, les élèves qui n’ont pas l’habitude de bouger sont fatigués, se concentren­t plus difficilem­ent et souffrent davantage d’angoisse. Au cours des cinquante dernières années, l’obésité (qui n’est pas due qu’à l’inactivité) a augmenté en flèche. Le taux de surpoids est maintenant supérieur à 30 % chez les adolescent­s. Les jeunes sont de plus en plus sujets à contracter des maladies autrefois observées uniquement chez des adultes de plus de 50 ans.

On continue ? Nos jeunes seront la première génération à vivre moins longtemps que celle de leurs parents. Une étude réalisée en 2013 a montré que les jeunes mettaient en moyenne 90 secondes de plus que ceux de 1975 pour parcourir un mille (1,6 km). La proportion des adultes qui ne bougent pas suffisamme­nt est de 50 %. Bilan de l’activité physique chez les jeunes selon les deux auteurs : « un gros échec ».

Il y a aussi les coûts reliés au travail : augmentati­on des accidents, absentéism­e, stress, faible performanc­e. Et n’oublions pas les coûts financiers de la sédentarit­é : plus de deux milliards de dollars par année au Québec, près de sept milliards au Canada.

Sur le sport d’élite

Je résume la pensée des auteurs sur ce sujet. L’esprit de compétitio­n ? Oui, c’est normal, utile dans la vie et ce n’est pas incompatib­le avec l’esprit du jeu, avec le plaisir de l’exercice physique. C’est aussi un bon apprentiss­age de l’effort (physique ou autre). La performanc­e ? Oui, mais à certaines conditions. La victoire avant tout, la chasse effrénée aux médailles, la sélection pratiquée dès le jeune âge ? À ne pas trop encourager, parce que foncièreme­nt élitistes, fondées sur l’écrémage, le rejet, l’humiliatio­n des autres (de la « monocultur­e »). Et peut compromett­re la santé physique et mentale (cf. le cas de Michael Phelps).

Que faire ?

À vrai dire, des choses très simples. D’abord, pour les gens de tous les âges : marcher (pour se rendre à l’école, au travail ou ailleurs). Les auteurs le martèlent : « nous sommes nés pour bouger » et surtout pour marcher (les marathons ? Optionnels !).

Bouger ! Bouger ! Bouger ! Ils n’ont que ce mot-là dans la bouche et sous la plume.

Autres recommanda­tions : pratiquer une variété de mouvements, éviter la spécialisa­tion hâtive dans un sport, rechercher le plaisir. Pour les plus jeunes : jouer (de préférence dehors). Pour tous et toutes : moins de temps d’écran, mener une vie régulière, s’efforcer de dormir suffisamme­nt. À noter : près de neuf jeunes sur dix passeraien­t plus de temps à l’extérieur si on leur en donnait l’occasion. Une bonne nouvelle cependant : le programme des « cubes énergie » mis en marche par Pierre Lavoie commence à produire ses fruits et ils s’annoncent substantie­ls.

Enfin, des pays qui s’en sortent beaucoup mieux que nous : la Norvège, la Slovénie, la Finlande, le Danemark, le Japon. Leur formule pourrait nous aider à créer nous-mêmes un modèle original.

J’arrête ici ce survol trop rapide qui ne rend pas justice à ce livre indispensa­ble rempli de découverte­s, de savoir, de sagesse et de leçons pratiques. Je souhaite avoir donné le goût de le lire… et de bouger !

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