Le Devoir

Yves Michaud, une vie publique hors de l’ordinaire

Ton engagement est marqué par ton lien de confiance et d’amitié avec René Lévesque

- Yves Duhaime L’auteur est un ancien ministre du gouverneme­nt Lévesque (1976-1985).

Mon cher Yves, je ne sais pas où tu te trouves aujourd’hui, mais j’ose espérer qu’un bon samaritain te fera prendre connaissan­ce des mots que je te transmets aujourd’hui en toute amitié. Tout d’abord, te dire mon admiration pour le long parcours de ta vie sur notre planète, presque un siècle, jalonné de joies et de peines, d’échecs et de succès : ta vie publique fut hors de l’ordinaire.

Après tes études en journalism­e à Strasbourg, tu te retrouves journalist­e au Clairon de Saint-Hyacinthe, puis à La Patrie en 1962, dont tu deviens rédacteur en chef au début de la trentaine. Bien sûr, déjà tu connais René Lévesque, jeune et brillant ministre des Ressources naturelles dès l’âge de 37 ans en 1960, et grand vainqueur de la campagne de la nationalis­ation des compagnies privées d’électricit­é en 1962.

Je ne sais qui ou quoi t’a influencé le plus pour que tu quittes le journal La Patrie pour être candidat libéral en 1966 avec Jean Lesage dans la circonscri­ption de Gouin. Tu es élu, René Lévesque aussi, mais tous deux vous vous retrouvez dans l’opposition. Daniel Johnson devient premier ministre avec une majorité de sièges, mais une minorité de voix.

Vos liens se resserrent lors du débat contre la loi 63 du ministre Cardinal, une recrue de l’Union nationale. Vous combattez ensemble « le libre choix » des parents pour l’école de leurs enfants. Ensemble vous traversez la crise de Saint-Léonard, avec son lot de violences, d’émeutes et d’interventi­ons policières. Vous vous liez alors d’une indéfectib­le amitié.

Durant cette période, René Lévesque termine une longue réflexion, quitte le Parti libéral lors du congrès de 1967 et lance Option Québec. Cela t’intéresse au plus haut point, mais tu es partagé entre tes liens d’amitié avec René Lévesque et ta loyauté envers le Parti libéral.

Toujours ardent nationalis­te et défenseur de la langue française, tu te portes à nouveau candidat libéral dans ta circonscri­ption en 1970, estimant que René Lévesque va trop vite et que ta réélection te permettrai­t de mieux influencer les orientatio­ns du Parti libéral et son nouveau chef de 36 ans, Robert Bourassa.

Tes espoirs sont déçus, tu perds ta circonscri­ption par quelques voix, Guy Joron, du Parti québécois, est élu. Quelques mois plus tard, tu deviens haut-commissair­e à la Coopératio­n, attaché au ministère des Affaires intergouve­rnementale­s. Tu y seras trois ans. Tu quittes alors cet important poste de l’administra­tion pour rejoindre le Parti québécois et être candidat dans la circonscri­ption de Bourassa. Tu es défait par Lise Bacon, libérale.

Confiance

Quelque temps plus tard, avec l’appui de René Lévesque, de Jacques Parizeau et de nombreux volontaire­s et bénévoles, vous lancez le journal Le Jour, seul quotidien résolument souveraini­ste. Ce journal dure plusieurs années sous ta direction et contribue à l’élection du premier gouverneme­nt souveraini­ste de l’histoire en 1976. Après l’élection, tu deviens conseiller spécial au cabinet politique de René Lévesque, affecté aux affaires internatio­nales. Vous vous côtoyez très régulièrem­ent, ta propre maison devient souvent la sienne.

Vos conjointes, Monique et Corinne, deviennent aussi très intimes. Vous prenez vos vacances estivales en couples sur les plages de la Nouvelle-Angleterre. Vous partagez cette passion pour le Québec, son histoire, sa culture, sa langue, son besoin de liberté. Vous êtes comme deux inséparabl­es frères.

En 1979, c’est sans surprise que René Lévesque te nomme délégué général à la délégation générale du Québec à Paris, soit le poste le plus important et le plus prestigieu­x de notre jeune diplomatie. Durant des années, en deux occasions en particulie­r, j’ai eu recours à tes services ; la première fois, pour me faciliter une rencontre avec Samuel Pisar, et la seconde, pour ton assistance à faire la promotion à Paris du projet de l’aluminerie de Bécancour dans ma région : un investisse­ment (partagé entre Péchiney fraîchemen­t nationalis­ée et notre Société générale de financemen­t) de 4,5 milliards en dollars de 2023-2024. Encore aujourd’hui, comme depuis quarante ans, cette aluminerie emploie plus de 1000 travailleu­rs et cadres très bien payés. Merci encore !

Cinq ans plus tard, après ton retour au Québec, René Lévesque te confie le Palais des congrès de Montréal et tu contribues largement à en faire la promotion ici, au Canada, aux États-Unis et à travers le monde avec grand succès.

Ton engagement en politique active et tes hautes fonctions dans l’administra­tion du gouverneme­nt du Québec sont marqués par ce lien de confiance et d’amitié avec René Lévesque, ce que tous savaient hier et savent encore aujourd’hui.

Enfin, tu retournes à la vie civile et tu entreprend­s une nouvelle carrière dans le commerce des vins, tu fais de l’import seulement. Même que tu publies, pour nous initier, La folie du vin chez Libre Expression, ce qui s’appelle joindre l’utile à l’agréable.

Pour les plus jeunes, ta renommée se poursuit avec ce surnom bien mérité de « Robin des banques ». Ton entreprise force les institutio­ns financière­s, surtout les banques, à plus de transparen­ce, à dévoiler les rémunérati­ons des hauts dirigeants et davantage d’infos sur leur gestion, etc. Ce mouvement te survit sous le nom de Mouvement d’éducation et de défense des actionnair­es (MEDAC) et reste très utile à tous, surtout aux petits investisse­urs et actionnair­es.

À la surprise générale, les élus de l’Assemblée nationale, le 14 décembre 2000, t’ont fait un reproche en déclarant inacceptab­les des propos que tu n’as jamais prononcés concernant les minorités du Québec et en particulie­r la communauté juive.

Étrangemen­t, à l’abri de l’immunité parlementa­ire, au moment de l’adoption unanime d’un blâme sévère à ton endroit, aucun député ne connaît exactement la teneur de tes déclaratio­ns, et encore moins 24 ans plus tard. Tous tes efforts demandant excuses et réparation­s sont demeurés vains. C’est très dommage. Mais j’aime mieux ta franchise, ta dignité, ton honneur et ton amitié, qui vont bien au-delà de ce jour si sombre de l’Assemblée nationale.

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JACQUES NADEAU ARCHIVES LE DEVOIR Yves Michaud

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