Des vies en suspens
Dans Soleils Atikamekw, Chloé Leriche revisite avec sensibilité les morts trop hâtivement classées de cinq Atikamekw survenues en 1977
À Manawan, en 1977, l’été commence à peine, avec ses promesses de bon temps. Or, il n’en sera rien. Le 26 juin, en effet, une camionnette est repêchée dans la rivière. À son bord : les cadavres de cinq Atikamekw. Les propriétaires du véhicule, deux Blancs de passage, affirment qu’un accident est survenu et qu’eux seuls s’en sont sortis. Satisfaits, les policiers classent l’affaire. Sauf qu’en examinant les dépouilles, les proches remarquent des lacérations et des ecchymoses plus que suspectes. Butées, les autorités refusent d’investiguer, abandonnant les familles à leurs doutes et à leur peine. Dans Soleils Atikamekw, Chloé Leriche revient avec sensibilité sur une tragédie pour laquelle justice n’a jamais été rendue.
D’ailleurs, l’une des grandes forces de Soleils Atikamekw réside dans sa manière de montrer, plutôt que d’expliquer, comment le drame bouleversa irrévocablement à la fois les familles et l’ensemble de la communauté de Manawan (impliquées à chaque étape du film).
Ainsi découvre-t-on au départ des gens heureux, telle la jeune Angèle (Mirociw Chilton), qui rentre du pensionnat pour l’été et retrouve avec bonheur sa mère, son frère aîné et sa soeur cadette.
Mais voici qu’à l’occasion d’une virée à la plage, on sent sourdre un danger lorsque ces deux Blancs débarquent. Ils ont beau se tenir à distance et ne pas piper mot, quelque chose dans la façon qu’a la cinéaste de faire durer le moment confère à celui-ci des accents funestes. Et de fait…
À cet égard, la reconstitution de l’identification des victimes s’avère bouleversante. À l’époque, les policiers forcèrent Philippe Flamand (Oshim Ottawa) à ouvrir la porte arrière de la camionnette fraîchement repêchée, puis à identifier les cinq victimes sur-lechamp : une séquence d’une violence psychologique inouïe.
Également présent : Marcel (Jacques Newashish), un interprète atikamekw au palais de justice, qui poussera en vain pour qu’il y ait enquête.
Le temps suspendu
En filigrane du film court le thème du racisme systémique, dont cette triste affaire, et surtout la manière dont elle fut traitée, constitue un cas évident. Les victimes sont implicitement tenues pour responsables de leur sort par les autorités blanches. « Encore du trouble avec les Indiens », lance un policier en se rendant sur les lieux de la tragédie.
Tout du long, on assiste aux lendemains tourmentés des proches, qui ont un peu cessé de vivre. Pour ces familles incapables d’amorcer un réel processus de deuil, faute de réponses à leurs questions, le temps est suspendu.
Cette terrible langueur, Chloé Leriche la traduit admirablement, tantôt en insérant une courte séquence onirique (ce champ de fleurs fuchsia nappé d’une étrange et belle fumée), tantôt par l’entremise d’une scène du quotidien (cette mère qui prend une bouteille d’alcool dans l’armoire dès le matin dans la foulée de la mort de son fils).
Parmi les moments les plus poignants : ceux mettant en scène un veuf éploré (Carl-David Ottawa), qui confie son désarroi à son cheval comme s’il s’agissait de sa conjointe décédée.
Tous très habités, les actrices et acteurs émeuvent (certains partagent un lien de parenté avec les personnes réelles). À répétition, Chloé Leriche les filme en légère contreplongée, les magnifiant ce faisant. Dédié à la mémoire de Julianna Quitich, de MariePaule-Nicole Petiquay, de Thérèse Ottawa-Flamand, de Denis Petiquay et de Lionel Petiquay, Soleils Atikamekw n’est ni revanchard ni misérabiliste.
Poésie visuelle
Déjà, lors de son premier long métrage, Avant les rues, également campé à Manawan, la scénariste, réalisatrice, comonteuse et productrice avait démontré son talent pour composer des images à la fois inspirées et parlantes, recherchées, mais jamais ampoulées.
Dans ce second film lauréat du prix Gilles-Carle aux Rendez-vous Québec cinéma, Chloé Leriche confirme ses dons. Parfois, devant la poésie visuelle déployée, on a l’impression que la cinéaste entoure ces personnages de beauté, comme un baume. Il en résulte un film douloureux, mais lumineux.
Soleils Atikamekw (V.O. atikamekw et français, avec s.-t.f.)
★★★★
Drame de Chloé Leriche. Scénario de Chloé Leriche. Avec Mirociw Chilton, Jacques Newashish, Oshim Ottawa, Wikwasa Newashish-Petiquay, Carl-David Ottawa. Québec, 2023, 103 minutes. En salle.