Le Devoir

Un animal sauvage

- SONIA SARFATI COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Joël Dicker, Rosie & Wolfe, Genève, 2024, 397 pages

On n’est jamais dépaysé dans un roman de Joël Dicker. L’auteur suisse a fait une entrée fracassant­e dans le milieu du livre avec La vérité sur l’affaire Harry Quebert (prix Goncourt des lycéens en 2012, adapté en une série télévisée mettant en vedette Patrick Dempsey) dont la structure virevoltan­t avec les dates et les rebondisse­ments incessants avaient saisi tout le monde.

La surprise est devenue recette, puisque reprise dans Le livre des Baltimore, La disparitio­n de Stephanie Mailer, L’énigme de la chambre 622 et L’affaire Alaska Sanders. D’abord, « les faits » et la date où ils sont survenus. Dans Un animal sauvage, nouveau titre de l’homme aux plus de 20 millions de lecteurs à travers le monde, c’est le braquage d’une bijouterie commis à Genève, le 2 juillet 2022. À partir de là, par des sauts de géant (des années, des mois) ou de puce (des journées, des heures) sur la ligne du temps, l’histoire de l’événement central et des circonstan­ces qui y ont mené se déroule sur quelques centaines de pages.

On rencontre ainsi Sophie, dans sa maison de verre sise sur les rives du lac Léman, en banlieue de Genève. Elle est avocate, s’apprête à fêter ses 40 ans et serait bien sous tous rapports si un tel personnage avait un quelconque intérêt (ce qui est rarement le cas). Son mari est un as de la finance dont le passé comporte un secret. Leur voisin, un policier irréprocha­ble, devient obsédé par la belle quadragéna­ire. Et il y a ce rôdeur qui se balade en Peugeot grise.

Lecture active

Les pions sont en place sur l’échiquier « dickerien ». Le romancier peut commencer la partie… contre ses lecteurs. Parce que c’est ce qui fait le succès des briques qu’il leur offre aux deux ou trois ans. Cette façon ludique d’éclairer et de cacher, d’avancer et de reculer, de donner du mou et de tirer. Joël Dicker ferre ainsi ceux qui tiennent le livre, les plongeant dans une lecture divertissa­nte, facile et active. D’autant qu’avec lui, ce n’est jamais fini tant que ce n’est pas fini.

Et le rythme du roman allant en accélérant, on tourne la dernière page étourdi, échevelé et sans trop savoir si tout cela se tient vraiment du début à la fin. Mais peu importe, le temps a filé. De façon plus coulante dans Un animal sauvage, car l’auteur s’est débarrassé de plusieurs irritants qui plombaient ses écrits précédents.

D’abord, il a fait plus court. Comprendre : moins redondant et moins indûment étiré. Exit aussi les romances malaisées entre des messieurs d’un âge certain et de très jeunes filles. Dehors également les écrivains de service (de Marcus Goldman à l’Écrivain) et leurs tourments créateurs (n’est pas Stephen King qui veut). Enfin, à l’exception d’une policière très persévéran­te (pas seulement profession­nellement), les personnage­s qui peuplent cette histoire, s’ils dialoguent à grands coups de banalités (ça permet de ne pas dire « les vraies affaires »), ne débordent pas trop du côté de la caricature.

À l’arrivée, donc, moins de sable dans l’engrenage de la montre suisse qui règle les intrigues de Joël Dicker !

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