Le Devoir

Sur les hauteurs du mont Thoreau

- FLORENCE MORIN-MARTEL

1/2 Catherine Mavrikakis, Éditions Héliotrope, Montréal, 2024, 344 pages

Dans sa clinique de soins de fin de vie, la Dre Clarissa Gardner ne laisse rien au hasard. Au point où les patients doivent livrer une performanc­e avant de rendre leur dernier souffle. Dans son nouveau roman, Sur les hauteurs du mont Thoreau, l’autrice Catherine Mavrikakis traite avec mordant de l’obsession de la perfection jusque dans la mort.

Atteinte d’un cancer incurable, Rose Leroy a choisi de recevoir l’aide médicale à mourir dans l’établissem­ent de la Dre Gardner, en NouvelleAn­gleterre. Ses trois soeurs, Merline, Alexandrin­e et Léonie, sont à ses côtés. Mais avant de dire adieu à cette femme de 49 ans, elles devront tâcher de composer avec elle un opéra ou une pièce de théâtre.

La création d’une oeuvre par le mourant et sa famille est la marque de commerce de Thoreau Heights. Il s’agit d’ailleurs de la « plus célèbre et [de] la plus performant­e clinique du globe dans les approches postmodern­es de la mort », affirme Clarissa Gardner.

Au quotidien, la médecin s’affaire donc à mettre en scène une chorégraph­ie sans failles pour les derniers jours des souffrants. Cette fin de vie, réglée au quart de tour, sera toutefois remise en question par Rose, qui dénonce l’obligation de devoir « profiter au maximum » du reste de son existence, sans avoir de répit.

Dans son nouveau livre, Catherine Mavrikakis signe une critique acérée d’une société obsédée par le désir d’exceller jusque dans la tombe. L’autrice montréalai­se, à qui l’on doit notamment L’annexe (2019) et Oscar De Profundis (2016), explore une fois de plus le thème du trépas sous toutes ses coutures.

« Mort tranquille » et montagne d’ambition

Dévorée par son ambition, Clarissa Gardner souhaite sans cesse repousser les limites de son domaine. Au fil des pages, elle en vient à poser la question suivante : à qui doit-on rendre accessible la « mort tranquille de la médecine moderne » ?

La docteure conclut que des patients « bien portants et éclairés » devraient aussi pouvoir en bénéficier. « Le rôle de l’établissem­ent n’est-il pas d’accompagne­r les gens dans leur choix de vie et dans leur désir de se donner la mort, qui peut se révéler très rationnel ? » soulève-t-elle.

En tant que « visionnair­e », elle se réclame de l’écrivain américain et naturalist­e Henry David Thoreau. Elle s’en inspire lorsqu’elle gravit les sommets de la région, afin de s’éloigner « du monde et de ses vains soucis ».

Aux yeux de la Dre Gardner, cette « élévation de l’esprit » doit se refléter jusque dans l’apparence des soignants de Thoreau Heights. Ceux-ci sont donc toujours tirés à quatre épingles. Leur mine et leurs vêtements sont « la garantie d’un sentiment de tâche bien accomplie, sans la moindre culpabilit­é, sans l’ombre d’un regret et surtout sans aucune peur de la mort », estime la médecin.

Dans ce décor, les soeurs Leroy détonnent. Leur passage provoquera une fissure dans la façade lisse de Thoreau Heights, ce lieu où la fin de tous se doit de ressembler à un « feu d’artifice de bonheur ». Et ce, au détriment des réelles émotions qu’éprouvent les patients.

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