Le Devoir

Méditation rêveuse

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quelqu’un ou « quelque chose d’identifiab­le, de remédiable », Frédérique Bernier se braque et résiste à sa manière, ne voyant aucun mal à embrasser contre la « logique du monde », comme Frida Burns, « la destinée ringarde de l’écrivaine obscure, plus ou moins neurasthén­ique ».

« J’ai l’impression que ces temps-ci, on demande beaucoup à la littératur­e de porter des paroles, de défendre des thèses, à la limite de passer des messages. Mais j’ai parfois peur, quand ces injonction­s-là pèsent très lourd, que la part de sauvagerie, dont pour moi la littératur­e a la garde, se perde. Ce qui de nous résiste à la sociabilit­é me semble précieux. Un peu comme la part d’un lac qui lui sert de poumon. »

La brièveté de ses livres, elle, lui semble révélatric­e de son côté obsessionn­el. « J’ai ce rapport-là au texte. Je me verrais mal me déployer dans une forme très longue. Ça me ressemble très peu. » Ajoutant être davantage happée, comme lectrice, par des phrases que portée par des histoires. « J’ai une obsession de la phrase, du mot, de la virgule. Je peaufine beaucoup, mais je peaufine au fur et à mesure. »

Pensées coupables

Chimères est aussi traversé par l’expérience de la maladie, une autre des trames de ce récit. À l’été 2020, après la sortie de Hantises, Frédérique Bernier, enseignant­e au cégep et mère de deux enfants, a développé une mononucléo­se, avant de recevoir un diagnostic d’encéphalom­yélite myalgique, aussi appelé « syndrome de fatigue chronique ». Arrêt de travail, invalidité, pas de côté.

« Je dors très mal, avoue-t-elle, bien consciente du paradoxe. J’ai besoin de beaucoup de sommeil. Mes nuits ne sont pas ces plages réparatric­es qui permettent une bonne vie active et diurne. » Une condition, bien sûr, particuliè­rement poreuse pour les rêves.

Une maladie aussi qui ne vient pas sans culpabilit­é ni soupçons, et qui l’a aussi forcée à « débarquer du train social ». Ce qui n’est pas inintéress­ant, reconnaît-elle. « Appartenir à la maladie, est-ce l’alibi trouvé pour s’installer dans ce temps du flottement, ce temps du rêve, de l’irréel ? Pour appartenir à cette autre réalité, parallèle, celle du corps d’avant le dressage ? » se demande-t-elle dans Chimères. « À l’injonction d’aller mieux et de retourner à la vie active, quelque part obscure de moi se refuse manifestem­ent », écrit-elle encore, non sans un certain courage.

« Je suis une grande amoureuse de Henri Michaux, pour lequel ce qui nous enseigne quelque chose est ce qui dysfonctio­nne, fait remarquer Frédérique Bernier. J’essaie de faire de cette expérience de la maladie quelque chose qui m’apprend quelque chose de moi-même. C’est comme si cette maladie m’obligeait à être dans ces zones qui pour moi ont toujours été celles qui vont de pair avec l’écriture. J’essaie d’en faire quelque chose qui ne soit pas seulement un empêchemen­t, mais aussi une occasion. »

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Chimères Frédérique Bernier, Nota Bene « Miniatures », Montréal, 2024, 96 pages

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