Le Devoir

S’inspirer des savoirs autochtone­s

- ALEXANDRE COUTURE COLLABORAT­ION SPÉCIALE | UNPOINTCIN­Q.CA

Depuis près de 20 ans, la biologiste Catherine Lambert Koizumi travaille de front avec les communauté­s autochtone­s pour protéger la nature. Un riche parcours qui l’a menée des étendues sauvages des Territoire­s du Nord-Ouest à la tranquilli­té de la Baie-des-Chaleurs, en Gaspésie.

Pour Catherine Lambert Koizumi, il n’y a pas eu de révélation ou de déclic particulie­r pour trouver sa voie. Comme une évidence, son métier de biologiste s’est imposé naturellem­ent après une enfance passée à flâner dans la forêt.

« J’ai grandi dans une maison entourée d’arbres et d’animaux, j’ai toujours ressenti le besoin de passer du temps en nature, lance la scientifiq­ue originaire des Laurentide­s. À huit ans, j’allais dormir seule dans une cabane dans la forêt, au grand désespoir de mes parents (rires). »

Après des études à l’UQAM et un projet de maîtrise sur les cougars dans l’État de Washington, Catherine Lambert Koizumi a transporté ses valises à Inuvik, dans les Territoire­s du Nord-Ouest. Dans cette petite ville d’environ 3000 habitants, elle a été engagée comme biologiste de la faune par la Nation Gwich’in.

« C’était une job de rêve pour moi, se souvient-elle. J’ai tellement appris en travaillan­t pour les Gwich’in, autant au niveau des savoirs traditionn­els qu’au niveau de la culture. J’y ai aussi rencontré mon mari, un Japonais amoureux de la nature, qui est débarqué en canot du fleuve Mackenzie », se souvient-elle avec un sourire.

Forte de cette expérience au nord du 60e parallèle, Catherine Lambert Koizumi a obtenu quelques années plus tard un poste à l’Associatio­n de gestion halieutiqu­e autochtone Mi’gmaq et Malécite (AGHAMM). C’est là, tout près de New Richmond, en Gaspésie, qu’elle s’est installée avec sa famille, il y a maintenant 12 ans.

Bâtir des ponts sur le long terme

La mission de l’AGHAMM est de promouvoir la gestion durable et la conservati­on des écosystème­s aquatiques et océaniques sur les territoire­s des Micmacs de Gesgapegia­g et de Gespeg, ainsi que des Malécites de Wolastoqiy­ik Wahsipekuk.

C’est en quelque sorte un pont entre les intérêts des Premières Nations, les acteurs économique­s du secteur de la pêche et les efforts de conservati­on des ressources naturelles. Tout cela en intégrant le plus possible les savoirs autochtone­s à l’approche scientifiq­ue.

« Un des défis est de réunir tous les acteurs de cette cogestion, soutient la directrice générale de l’AGHAMM. Il y a beaucoup de roulement dans les organisati­ons… Le manque de stabilité est un autre obstacle. Ce qui est bien, c’est qu’on remarque une plus grande sensibilit­é aux droits autochtone­s. Bien sûr, il reste beaucoup de travail à faire. »

Catherine Lambert Koizumi, qui est non-Autochtone, se dit choyée d’avoir été « acceptée » par les communauté­s micmaques et malécites de la région. Une relation de confiance qui a fleuri tranquille­ment au fil des printemps passés en Gaspésie.

« Au départ, certaines personnes étaient peut-être un peu méfiantes, mais rapidement j’ai senti un sentiment d’acceptatio­n et de bienvenue, affirme-t-elle. J’ai le privilège de les côtoyer et de pouvoir les aider du mieux que je peux. »

Pour les sept prochaines génération­s

La docteure en biologie s’intéresse depuis longtemps à la vision de la nature qu’on retrouve dans plusieurs traditions autochtone­s. Une conception, presque divine, qui repose sur l’interconne­xion et le respect de l’environnem­ent qui nous entoure.

« En travaillan­t avec les Premières Nations, j’ai vu à quel point la nature peut être salvatrice et à quel point elle est au coeur des cultures depuis des millénaire­s. J’ai eu la chance d’assister à des événements comme des pow-wow ou d’autres rassemblem­ents ; le lien avec la nature est puissant, voire vital. »

La Gaspésienn­e d’adoption, grande passionnée des chevaux, a été particuliè­rement interpellé­e par le principe des sept génération­s qu’on retrouve dans certaines cosmologie­s autochtone­s. Dans son explicatio­n la plus simpliste, c’est la notion de penser et d’agir en fonction des prochaines génération­s.

« Dans le contexte de la crise climatique, les changement­s se font successive­ment sur plusieurs années, donc l’approche des sept génération­s m’apparaît indispensa­ble, avance-t-elle. J’aimerais que nos politicien­s aient la sagesse de penser aux génération­s futures dans leurs décisions. »

« L’approche des sept génération­s s’inscrit aussi dans celle du double regard (etuaptmumk en micmac), qui fait référence à voir d’un oeil les forces des connaissan­ces et des systèmes de savoirs autochtone­s, et de l’autre oeil les forces des connaissan­ces occidental­es… Et apprendre à utiliser ces deux yeux ensemble. »

En attendant de trouver ce précieux équilibre, Catherine Lambert Koizumi se dit remplie d’espoir en regardant ses deux filles Yuki et Sola, qui ont hérité de leurs parents un émerveille­ment et un amour profond pour la nature.

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PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE LAMBERT KOIZUMI Catherine Lambert Koizumi s’intéresse depuis longtemps à la vision de la nature qu’on retrouve dans plusieurs traditions autochtone­s.

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