Le Devoir

L’effet des traumas sur la vie intime des couples

Les travaux inédits de Marie-Pier Vaillancou­rt-Morel, chercheuse à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), mettent en lumière l’importance d’adapter les thérapies sexuelles à la réalité des victimes de maltraitan­ce pendant l’enfance. Entretien.

- Pour en savoir plus : saillab.ca

La sexualité fait partie intégrante de la santé physique et psychologi­que des individus, et elle joue un rôle déterminan­t dans la qualité de leur vie amoureuse. La Dre Marie-Pier Vaillancou­rt-Morel, professeur­e au Départemen­t de psychologi­e de l’UQTR, s’intéresse tout particuliè­rement aux facteurs qui peuvent influencer le bien-être sexuel des couples et elle en a fait l’objet de plusieurs travaux porteurs. Nouvelleme­nt récipienda­ire d’une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada, elle travaille sur des projets visant à assurer que les interventi­ons fréquemmen­t utilisées en thérapie sexuelle de couple soient sécuritair­es pour celles et ceux qui ont vécu des traumas interperso­nnels en enfance. Ces études sont menées au Laboratoir­e de recherche de la vie sexuelle et intime Sail Lab, dont elle assure la direction.

Plusieurs chercheuse­s et chercheurs se penchent sur les répercussi­ons de la maltraitan­ce en enfance sur la santé mentale ou physique, mais la façon dont ces traumas peuvent influencer la sexualité est peu étudiée. Pourtant, dans les milieux cliniques offrant des services de thérapie sexuelle, on constate que la plupart des patients rapportent avoir vécu au moins un type de maltraitan­ce en enfance. « La sexualité est une sphère importante de la vie des gens; il importe donc de comprendre comment les expérience­s prenant racine dans l’enfance peuvent influencer cette composante des relations de couple», commente Mme Vaillancou­rt-Morel.

L’objectif ultime de ses travaux est clair : faire en sorte que les thérapies sexuelles tiennent compte des expérience­s vécues en enfance par les victimes afin de les aider à retrouver une vie sexuelle satisfaisa­nte, malgré un passé difficile.

Des statistiqu­es alarmantes

Environ 55 % des couples rapportent être insatisfai­ts de leur vie sexuelle. De plus, 31 % des hommes souffrirai­ent d’une dysfonctio­n sexuelle, contre 43 % des femmes. « Les femmes sont également plus souvent victimes d’agression sexuelle en enfance, ce qui peut être lié aux difficulté­s sexuelles, souligne la chercheuse. Mais en ce qui a trait aux répercussi­ons et au traitement de ces difficulté­s, on ne constate pas de différence marquée. »

Pour mettre en relief certains éléments déclencheu­rs à la source de ces problèmes, les travaux du Sail Lab tiennent compte du contexte relationne­l dans lequel les activités sexuelles des couples s’inscrivent, en lien avec des facteurs de risque individuel­s reliés, mais distincts. Parmi ceux-ci, les études portent sur le recours à la pornograph­ie par l’un ou les deux partenaire­s ou la maltraitan­ce pendant l’enfance tels les abus physiques, psychologi­ques ou sexuels et la négligence physique ou émotionnel­le.

La sexualité des couples a souvent lieu dans une dynamique conjugale particuliè­re, fait remarquer la chercheuse. Son équipe s’emploie donc à mettre en relation des facteurs individuel­s lointains et proximaux, en interactio­n avec cette dynamique, pour mieux expliquer la sexualité actuelle des individus et des couples. Certaines études sont menées sous forme de questionna­ires à compléter pendant des années, sinon tous les jours pendant des semaines. «Dans le cadre d’un projet futur, des couples seront invités dans les locaux du Sail Lab pour se livrer à des exercices de toucher non érotique et s’exprimer sur leur sexualité pendant qu’on enregistre leur réponse émotionnel­le », précise-t-elle.

Chaque cas est unique

Les agressions sexuelles et autres types de maltraitan­ce vécus en enfance affectent de différente­s façons la sexualité des victimes et de leurs partenaire­s. «Il n’y a pas de trajectoir­e unique, note Marie-Pier Vaillancou­rt-Morel. Certaines personnes vont rapporter des comporteme­nts comme de la compulsion sexuelle, tandis que d’autres auront plutôt tendance à éviter la sexualité ou à noter des difficulté­s telles que de la douleur ou une baisse de désir ou d’excitation. Nos travaux montrent que les victimes auraient davantage tendance à éviter la sexualité quand l’engagement s’intensifie au sein de leur relation de couple, alors qu’une relation de couple satisfaisa­nte peut constituer un facteur de protection qui fait en sorte que les victimes et leur partenaire rapportent moins de difficulté­s et d’insatisfac­tion face à leur sexualité. »

 ?? ??
 ?? ?? Dre Marie-Pier Vaillancou­rt-Morel, professeur­e au Départemen­t de psychologi­e de l’UQTR
Dre Marie-Pier Vaillancou­rt-Morel, professeur­e au Départemen­t de psychologi­e de l’UQTR

Newspapers in French

Newspapers from Canada