Des commerçants du Plateau inquiets
Ils craignent que des changements réglementaires entraînent une détérioration de la cohabitation avec les résidents
Des associations de commerçants craignent que des changements réglementaires visant à s’attaquer à la crise du logement dans Le Plateau-Mont-Royal aient comme effet boomerang de créer des problèmes de cohabitation accrus entre commerçants et résidents, ce qui pourrait nuire à la scène culturelle et nocturne de l’arrondissement, a constaté Le Devoir.
Le 11 mars, un moratoire a été mis en place sur les conversions de logements en commerces sur l’ensemble du territoire de l’arrondissement, qui souhaite interdire celles-ci au terme de changements réglementaires actuellement à l’étude. L’arrondissement vise ainsi notamment à empêcher l’ajout de logements destinés à être loués à des fins commerciales sur des plateformes de type Airbnb sur les tronçons de la rue Saint-Denis et du boulevard Saint-Laurent où ces résidences de tourisme sont permises depuis 2019. Les logements de type Airbnb déjà présents dans ces secteurs pourront toutefois continuer d’être exploités.
Vitalité commerciale
« Si ça devait arriver, on met l’ADN même de la rue Saint-Denis en péril », lance en entrevue au Devoir le directeur général de la Société de développement commercial (SDC) de la rue Saint-Denis, Julien Vaillancourt Laliberté. Ce dernier craint qu’en raison de ces changements réglementaires, plus de propriétaires décident de convertir plutôt des locaux commerciaux en résidences de tourisme, pratique qui sera toujours permise, mais qui aurait pour effet de raréfier le nombre de commerces sur ces artères importantes de la métropole. Sur la rue Saint-Denis, ce sont d’ailleurs 16 % des locaux commerciaux qui sont vacants actuellement, ce qui laisse craindre une conversion « irréversible » de certains d’entre eux en logements, relève-t-il.
« Quelqu’un qui a un bureau et qui le transformerait en logement, bien après, ce sera terminé. Ce logement-là ne pourra plus jamais redevenir un bureau », prévient M. Vaillancourt Laliberté.
Le directeur général de la SDC de la rue Saint-Denis appréhende également une dégradation de la cohabitation entre les locataires de logements et les propriétaires de bars et de salles de spectacle du Plateau-Mont-Royal. Déjà, plusieurs institutions culturelles, comme les salles de spectacle Divan orange et La Vitrola, de même que le club social Le Scaphandre, ont dû fermer leurs portes dans les dernières années après avoir été la proie de plaintes répétées de la part de voisins incommodés par le bruit. Un phénomène qui pourrait s’aggraver si plus de commerces sont transformés en logements dans les secteurs les plus vibrants — et nocturnes — de l’arrondissement, prévient Julien Vaillancourt Laliberté.
« Tout le volet culturel n’est pas pris en compte dans ce type de projets là », déplore-t-il, faisant référence aux changements réglementaires prévus dans Le Plateau-Mont-Royal.
Le directeur général de la SDC de l’avenue du Mont-Royal, Claude Rainville, déplore pour sa part, comme son homologue de la rue Saint-Denis, de ne pas avoir été consulté dans les dernières semaines par l’arrondissement sur ces modifications à venir. « Ça aurait été bien qu’on ait des discussions à l’avance avec l’administration pour en connaître les tenants et aboutissants », lance celui qui se demande si ces changements réglementaires ne sont pas proposés pour « compenser le manque de mordant de la réglementation visant à contrer les Airbnb illégaux » mise en place par la Ville.
Des répercussions financières
« Ça m’ébranle énormément, parce que je comptais là-dessus pour m’en sortir », lance pour sa part Laurence Nadeau. La Montréalaise est propriétaire d’un bâtiment de trois étages de la rue Saint-Denis qui comporte un rez-dechaussée commercial et huit petits logements locatifs. Depuis des mois, elle peine à trouver un commerçant intéressé par son local au rez-de-chaussée, tandis que trois de ses appartements aux étages supérieurs sont vacants ou le seront bientôt. Ce sont ces trois logements que la propriétaire avait commencé à peinturer et à meubler pour en faire des résidences de tourisme, avant que l’arrondissement l’informe dans les derniers jours qu’un moratoire sur ce type de conversions est en cours.
« Cet immeuble, j’essaie qu’il soit autosuffisant, mais même pour qu’il soit autosuffisant, en ce moment, ça ne rentre pas », relève Mme Nadeau, qui affirme que les appartements de son bâtiment sont trop petits pour être intéressants pour des locataires à long terme. Elle envisage dans ce contexte de convertir son local commercial en logement, mais se bute cette fois aux exigences de l’arrondissement en matière de protection du patrimoine bâti, affirme-t-elle.
Usage conditionnel
L’arrondissement assure pour sa part que les propriétaires souhaitant convertir un logement en commerce, catégorie qui comprend les résidences de tourisme, pourront dans certains cas le faire, même si ces transformations seront interdites de plein droit, en effectuant une demande d’usage conditionnel. Ils devront alors débourser plusieurs milliers de dollars pour faire étudier leur projet par les fonctionnaires de l’arrondissement, sans avoir une garantie que celui-ci sera accepté. Si tel est le cas, ils pourront ensuite réclamer les permis requis pour concrétiser leur projet.
« Ça restera possible de le faire sous usage conditionnel dans certains cas, si c’est un logement au-dessus d’un bar, par exemple », explique au Devoir le responsable du soutien aux élus du Plateau-Mont-Royal, Julien Deschênes. Il s’agira toutefois de cas d’exception, l’arrondissement souhaitant limiter au maximum la diminution du nombre de logements locatifs sur son territoire. « On perd des logements à la pelletée, donc on essaie de limiter des pertes tout en créant de nouveaux logements », affirme M. Deschênes.
Ces changements réglementaires pourraient entrer en vigueur d’ici quelques mois.