Citoyenneté et identité numérique
Si vous êtes la personne responsable d’une petite entreprise ou si vous participez aux activités d’un organisme à but non lucratif (OBNL) — que ce soit votre association de quartier, un club de jeu d’échecs ou d’ornithologie — ou, encore, si vous vivez en copropriété et participez à la gestion de votre syndicat, il est vraisemblable, à votre grand étonnement, que l’on vous ait demandé de fournir une copie de votre permis de conduire.
Depuis le 1er mars dernier, le Registraire des entreprises du Québec oblige les responsables de ces personnes morales à exiger le permis de conduire de ses administrateurs (terme non défini dans la loi). Cette mesure, qui touche des millions de Québécoises et Québécois, découle du projet de loi 78, la « Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises », adopté le 8 juin 2021. Comme son titre l’indique, la nouvelle loi vise « principalement à améliorer la transparence ».
Deux poids, deux mesures
À peine trois mois plus tard, le 22 septembre 2021, le gouvernement du Québec adoptait le projet de loi 64, lequel visait à accroire la protection des renseignements personnels détenus par les entreprises privées. Si comme moi, votre conseiller financier, votre comptable, votre dentiste ou quiconque exploite une petite entreprise a refusé de vous transmettre par courriel des renseignements vous concernant (comme il le faisait depuis 20 ans), dites-vous que c’est en raison des nouvelles obligations faites par cette loi.
S’il est vrai que l’interprétation de mon comptable est prudente (elle découle néanmoins de la formation qu’il a reçue de son ordre professionnel), elle est toutefois la plus répandue en raison des sanctions pécuniaires considérables — pouvant aller jusqu’à 10 millions de dollars — imposées par la loi.
Loin de moi l’idée de juger la sagesse du gouvernement, mais le hic est qu’il impose — sous prétexte de protéger les renseignements personnels — des obligations considérables et des sanctions pécuniaires excessives à une petite entreprise, un OBNL ou un syndicat de copropriété, alors qu’il les oblige à transmettre au Registraire des entreprises (sous prétexte d’accroître la transparence) le permis de conduire de millions de personnes sans leur consentement, et sans qu’ils sachent qu’il est interdit au Québec de le demander.
Des exigences illégales
Une chose est certaine, ces deux lois sont incontestablement en porte à faux, et les mesures qu’elles prévoient sont inconciliables et incontestablement illégales, et cela, pour deux raisons.
Premièrement, le gouvernement oblige une personne à lui transmettre des renseignements personnels sur une autre personne, en violation de sa propre loi (la Loi sur la protection des renseignements personnels), dont les amendes ont été substantiellement augmentées par le projet de loi 78 (L.Q. 2021, c. 19) ; à défaut de violer la loi comme l’exige le gouvernement, cette personne écopera d’une amende substantielle en vertu du projet de loi 64 (L.Q. 2021, c. 25).
Deuxièmement, il est illégal, par l’effet d’une disposition législative expresse adoptée par l’Assemblée nationale du Québec (l’article 61 du Code de la sécurité routière) — sauf de la part d’un agent de la paix et qu’aux seules fins de la sécurité routière — d’exiger le permis de conduire. C’est illégal. Point barre.
Le même principe vaut aussi pour la carte d’assurance maladie (l’article 9.0.0.1 de la Loi sur l’assurance maladie), le numéro d’assurance sociale (l’article 237 (1) de la Loi de l’impôt sur le revenu) et le passeport (Décret sur les passeports canadiens). C’est là où le bât blesse, il est illégal d’exiger ces pièces d’identité, sauf aux fins desquelles elles ont été délivrées.
En d’autres termes, le gouvernement vous oblige à transmettre le permis de conduire d’une personne, ce qui est contraire à deux lois validement adoptées par l’Assemblée nationale du Québec (le Code de la sécurité routière et la Loi sur la protection des renseignements personnels) et le défaut pour vous de violer la loi à la demande du gouvernement constitue une violation d’une troisième loi (la Loi sur la publicité légale des entreprises). Et moi qui trouvais saugrenue la bande dessinée Les 12 travaux d’Astérix !
Comme le souligne si justement la Commission d’accès à l’information du Québec, « il n’existe, ni au Canada ni au Québec, de carte d’identité dont l’objectif est de prouver qu’une personne est ce qu’elle prétend être ». Il arrive cependant qu’il soit essentiel d’établir l’identité des gens, c’est pourquoi le gouvernement du Québec devrait adopter et délivrer à chaque Québécois, une carte de citoyenneté, ou encore, comme le promet le ministre Éric Caire depuis 2019, une identité numérique, dont le régime juridique serait conforme aux lois adoptées par l’Assemblée nationale du Québec.