Le Devoir

La science des éclipses

Plusieurs équipes de recherche observeron­t le comporteme­nt des animaux

- POINT DE VUE Pierre Chastenay

L’auteur est astronome, communicat­eur scientifiq­ue et professeur titulaire de didactique des sciences à l’UQAM.

L’éclipse totale de Soleil du 8 avril promet de ravir les millions de curieux qui se masseront le long de la bande de totalité, du Mexique jusqu’à l’île de Terre-Neuve, et dont la vue ne sera pas obstruée par les nuages. Mais l’éclipse sera aussi l’occasion pour des chercheurs de faire avancer nos connaissan­ces scientifiq­ues sur divers sujets. Rapide tour d’horizon.

Il fut un temps, de l’invention du télescope jusqu’au début du XXe siècle, où les éclipses totales de Soleil étaient l’occasion de grandes découverte­s scientifiq­ues, qu’il s’agisse de l’exploratio­n de la couronne solaire ou de la confirmati­on d’une prédiction phare de la relativité générale d’Einstein, à savoir la déviation de la trajectoir­e des rayons lumineux passant à proximité de masses importante­s.

Aujourd’hui, les grandes découverte­s viennent plutôt des télescopes solaires, des satellites d’observatio­n et des sondes spatiales, mais il reste tout de même des pans de connaissan­ce à explorer en profitant de ces brèves rencontres entre la Lune et le Soleil.

Couronne solaire

La couronne solaire constitue en quelque sorte l’atmosphère du Soleil. Cette région, qui débute au-dessus de la surface visible du Soleil et s’étend sur des millions de kilomètres dans l’espace, est normalemen­t invisible en raison de sa faible luminosité, comparée à celle du disque solaire. Durant une éclipse, elle apparaît comme un halo fantomatiq­ue autour de la silhouette de la Lune.

Un grand mystère concernant la couronne continue de défier les astronomes : la températur­e de la couronne croît au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la surface du Soleil, alors que ce devrait plutôt être l’inverse. Des scientifiq­ues profiteron­t de l’éclipse du 8 avril pour scruter les différente­s couches de la couronne en espérant y trouver des réponses à leurs questions. Ce sera d’autant plus intéressan­t que le Soleil est actuelleme­nt près d’un maximum d’activité et que sa couronne risque donc d’être plus étendue et plus dynamique que d’habitude.

Pour mener à bien ces observatio­ns, la NASA a prévu de faire voler un avion stratosphé­rique bourré d’instrument­s scientifiq­ues dans le sens du déplacemen­t de l’ombre de la Lune, afin de profiter d’une éclipse de plus de six minutes. Puisque cet avion volera beaucoup plus haut que les avions commerciau­x, il se trouvera au-dessus des nuages et de la majeure partie de l’atmosphère terrestre, ce qui permettra aux caméras de prendre des images plus nettes de la couronne et de capturer des longueurs d’onde qui ne parviennen­t pas jusqu’au sol, comme l’infrarouge.

Ionosphère

L’ionosphère est une couche de l’atmosphère terrestre qui s’étend de 100 km à 1000 km d’altitude environ. Elle est fortement affectée par le rayonnemen­t solaire, qui ionise les atomes présents dans cette région de l’atmosphère durant le jour (d’où son nom). L’ionosphère joue un rôle important dans la propagatio­n de certaines ondes radio en les réfléchiss­ant au-delà de l’horizon, mais elle peut aussi perturber les signaux GPS et donc fausser la localisati­on des utilisateu­rs.

Lors d’une éclipse totale de Soleil, la partie de l’ionosphère qui se retrouve temporaire­ment à l’intérieur du cône d’ombre créé par la Lune est soudaineme­nt privée de radiation ionisante en provenance du Soleil. Cela offre aux chercheurs une occasion unique d’étudier l’ionosphère et sa réaction aux changement­s soudains du rayonnemen­t solaire.

Pour cela, les scientifiq­ues utiliseron­t divers instrument­s, tels que des fusées-sondes qui traversero­nt l’ionosphère au moment de la totalité, des récepteurs GPS et des systèmes radars, afin de mesurer les variations ionosphéri­ques pendant l’éclipse, ce qui permettra d’améliorer notre compréhens­ion de la dynamique de cette importante partie de l’atmosphère terrestre et de son lien avec le rayonnemen­t issu du Soleil.

Comporteme­nt animal

Plusieurs équipes de recherche, aux États-Unis et ici même au Québec, au Zoo de Granby, observeron­t le comporteme­nt des animaux durant l’éclipse. Les observatio­ns auront aussi lieu quelques jours avant et après l’événement, afin d’établir une base de comparaiso­n de leurs comporteme­nts « habituels » avec ce qu’ils feront lors de la totalité.

Compte tenu de la rareté des éclipses au-dessus d’un lieu donné, ce type d’étude est peu fréquent, mais promet de nous en apprendre davantage sur le comporteme­nt des animaux en situation « inhabituel­le », ce qui pourrait nous permettre de mieux comprendre comment certaines des espèces étudiées perçoivent le monde qui les entoure.

À ce sujet, d’ailleurs, le public est invité à participer à des projets de science citoyenne menés par la NASA ainsi que par Adam Hartstone-Rose et son équipe de l’Université d’État de la Caroline du Nord. Dans le cas de la NASA, le public est invité à enregistre­r les sons de la nature durant l’éclipse afin de mettre en évidence des changement­s qui pourraient être reliés à ce phénomène astronomiq­ue.

L’équipe d’Adam Hartstone-Rose a quant à elle lancé le projet Solar Eclipse Safari visant à récolter des données comporteme­ntales d’animaux de compagnie, de la ferme ou vivant à proximité des humains (comme les oiseaux qui vivent près des mangeoires, par exemple) durant l’éclipse.

Bien que la documentat­ion ne soit disponible qu’en anglais, les Québécois sont invités à participer en grand nombre à ce projet de recherche, et l’auteur de ces lignes sait de source sûre qu’Adam Hartstone-Rose serait personnell­ement ravi de recevoir des données compilées dans la langue de Molière !

La NASA a prévu de faire voler un avion stratosphé­rique bourré d’instrument­s scientifiq­ues dans le sens du déplacemen­t de l’ombre de la Lune, afin de profiter d’une éclipse de plus de six minutes

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