Le Devoir

Le collègue respecté, l’adversaire respectueu­x

Benoît Pelletier s’est comporté avec la dignité que devraient rechercher les officiers de l’État québécois

- 1960-2024 Daniel Turp L’auteur est professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

Un homme d’exception s’est éteint le 30 mars 2024 : l’enseignant, le chercheur, le député et le ministre Benoît Pelletier. Son départ prématuré nous attriste collective­ment et a donné lieu à de touchants témoignage­s.

J’aimerais ajouter ma voix à ce concert d’éloges si mérités auxquels a eu droit un collègue respecté et un adversaire respectueu­x.

Benoît fut d’abord et avant tout un universita­ire. En sa qualité d’enseignant, il aura été apprécié par de nombreuses génération­s d’étudiants de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. À titre de chercheur, il laisse une production de haute qualité et s’est distingué par des publicatio­ns caractéris­ées par leur rigueur scientifiq­ue.

Faisant fond sur sa thèse de doctorat, son ouvrage sur La modificati­on constituti­onnelle au Canada publié en 1996 demeure aujourd’hui l’une des contributi­ons majeures à l’étude du chapitre V de Loi constituti­onnelle de 1982.

Tout en étant promoteur des droits individuel­s, il était convaincu de l’importance d’assurer, comme l’affirmeron­t tour à tour la Loi sur la laïcité de l’État et la Loi sur langue officielle et commune, le français, un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne.

Dans ses récents écrits et allant à l’encontre des vues exprimées au sein de sa famille politique libérale, il s’est d’ailleurs porté à la défense de ses deux lois fondamenta­les et s’est également fait partisan de l’adoption d’une Constituti­on québécoise.

Sa voix ne pourra pas, à mon grand regret, être entendue le 22 juin 2024 lors d’un colloque célébrant le 250e anniversai­re de l’adoption de l’Acte de Québec et ayant pour thème « La Constituti­on du Québec : le temps d’agir », durant lequel notre collègue respecté avait accepté de prendre la parole.

Un adversaire respectueu­x

Durant les dix années où il a exercé une charge publique en siégeant à l’Assemblée nationale comme député de Chapleau et a assumé plusieurs fonctions ministérie­lles au sein du Conseil exécutif du Québec, Benoît Pelletier s’est comporté avec la dignité qui devrait être toujours recherchée des officiers de l’État québécois.

Dans l’exercice de l’ensemble de ses fonctions ministérie­lles, qu’il s’agisse de la Francophon­ie canadienne, des Affaires autochtone­s, de la Réforme des institutio­ns démocratiq­ues, de l’Accès à l’informatio­n ou de l’Accord sur le commerce intérieur, il aura été à l’écoute de ses partenaire­s et avait à coeur les intérêts des Québécois.

Dans son portefeuil­le des Affaires autochtone­s, il s’est avéré un interlocut­eur apprécié des dix Premières Nations et de la nation inuite. Dans le dossier des Affaires intergouve­rnementale­s canadienne­s, qui était sans doute celui pour lequel il désirait véritablem­ent faire des avancées pour le Québec, il aura joué un rôle déterminan­t dans la création du Conseil de la fédération et la conclusion de l’Accord entre le gouverneme­nt du Québec et le gouverneme­nt du Canada relatif à l’UNESCO.

Sur la question du statut politique du Québec, nous étions d’accord pour fonder celui-ci sur le droit du peuple québécois à l’autodéterm­ination. Dans nos échanges lors de l’étude des crédits du Secrétaria­t aux affaires intergouve­rnementale­s canadienne­s qu’un chroniqueu­r du journal Le Soleil, le regretté Jean-Jacques Samson, avait qualifié d’« élégants », il affirmera que son fédéralism­e reposait « sur un principe qui est le droit des Québécois de choisir leur avenir ». Il ajoutait : « Mais qui dit droit de choisir dit forcément qu’il y a plus d’une option sur la table, sinon on ne parlerait pas d’un choix. Une de ces options légitimes, certes, c’est l’option sécessionn­iste, mais ce n’est pas l’option que nous privilégio­ns. »

Benoît Pelletier aura été un adversaire respectueu­x des indépendan­tistes québécois, et les partisans de la souveraine­té auront aussi été admiratifs devant ces efforts pour « renforcer le Québec dans l’espace canadien […], d’améliorer la fédération canadienne, mais dans un sens qui est compatible avec les intérêts fondamenta­ux des Québécois et des Québécoise­s ».

Une confidence

L’occasion m’a été donnée d’avoir de multiples échanges avec Benoît Pelletier, lors de colloques, de conférence­s et de séminaires universita­ires, sur les plateaux de télévision, dans Le Devoir et sa page Idées et, bien sûr, au Salon Bleu l’hôtel du Parlement à Québec.

Ne doutant jamais qu’un débat avec Benoît Pelletier serait empreint de courtoisie, j’ai toujours accepté des face-à-face, et notamment sur la question du statut politique du Québec, où nos positions divergeaie­nt.

J’ai le souvenir d’un seul rendezvous qui ne s’est pas matérialis­é. Le 30 octobre 1995, Radio-Canada nous avait invités à commenter le résultat du référendum organisé par le gouverneme­nt de Jacques Parizeau si le OUI l’emportait. Mais, à 23 h 10, lorsqu’il fut annoncé que l’option du NON l’avait emporté et obtenu à peine d’un peu plus de 50 000 voix de plus que le OUI (50,56 % contre 49,44 %), nous apprenions qu’il n’était plus nécessaire de commenter… la victoire du OUI. Je prévoyais que l’adversaire respectueu­x, en grand démocrate, accepterai­t le résultat et accompagne­rait le peuple du Québec dans sa décision d’accéder à l’indépendan­ce.

À mon grand regret, il ne sera pas des nôtres lors d’un prochain rendez-vous référendai­re, qui pourrait se produire entre 2026 et 2030, et à l’occasion duquel il aurait pu à nouveau faire entendre sa voix. Et, qui sait, si cette fois-là, il aurait choisi de se joindre au camp du OUI.

Tu me manqueras, Benoît. Tu manqueras au Québec tout entier, Benoît Pelletier.

 ?? JACQUES BOISSINOT ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE ?? Benoît Pelletier, alors ministre responsabl­e des Affaires intergouve­rnementale­s canadienne­s, le 20 octobre 2005 au Parlement de Québec
JACQUES BOISSINOT ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Benoît Pelletier, alors ministre responsabl­e des Affaires intergouve­rnementale­s canadienne­s, le 20 octobre 2005 au Parlement de Québec

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