Le collègue respecté, l’adversaire respectueux
Benoît Pelletier s’est comporté avec la dignité que devraient rechercher les officiers de l’État québécois
Un homme d’exception s’est éteint le 30 mars 2024 : l’enseignant, le chercheur, le député et le ministre Benoît Pelletier. Son départ prématuré nous attriste collectivement et a donné lieu à de touchants témoignages.
J’aimerais ajouter ma voix à ce concert d’éloges si mérités auxquels a eu droit un collègue respecté et un adversaire respectueux.
Benoît fut d’abord et avant tout un universitaire. En sa qualité d’enseignant, il aura été apprécié par de nombreuses générations d’étudiants de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. À titre de chercheur, il laisse une production de haute qualité et s’est distingué par des publications caractérisées par leur rigueur scientifique.
Faisant fond sur sa thèse de doctorat, son ouvrage sur La modification constitutionnelle au Canada publié en 1996 demeure aujourd’hui l’une des contributions majeures à l’étude du chapitre V de Loi constitutionnelle de 1982.
Tout en étant promoteur des droits individuels, il était convaincu de l’importance d’assurer, comme l’affirmeront tour à tour la Loi sur la laïcité de l’État et la Loi sur langue officielle et commune, le français, un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne.
Dans ses récents écrits et allant à l’encontre des vues exprimées au sein de sa famille politique libérale, il s’est d’ailleurs porté à la défense de ses deux lois fondamentales et s’est également fait partisan de l’adoption d’une Constitution québécoise.
Sa voix ne pourra pas, à mon grand regret, être entendue le 22 juin 2024 lors d’un colloque célébrant le 250e anniversaire de l’adoption de l’Acte de Québec et ayant pour thème « La Constitution du Québec : le temps d’agir », durant lequel notre collègue respecté avait accepté de prendre la parole.
Un adversaire respectueux
Durant les dix années où il a exercé une charge publique en siégeant à l’Assemblée nationale comme député de Chapleau et a assumé plusieurs fonctions ministérielles au sein du Conseil exécutif du Québec, Benoît Pelletier s’est comporté avec la dignité qui devrait être toujours recherchée des officiers de l’État québécois.
Dans l’exercice de l’ensemble de ses fonctions ministérielles, qu’il s’agisse de la Francophonie canadienne, des Affaires autochtones, de la Réforme des institutions démocratiques, de l’Accès à l’information ou de l’Accord sur le commerce intérieur, il aura été à l’écoute de ses partenaires et avait à coeur les intérêts des Québécois.
Dans son portefeuille des Affaires autochtones, il s’est avéré un interlocuteur apprécié des dix Premières Nations et de la nation inuite. Dans le dossier des Affaires intergouvernementales canadiennes, qui était sans doute celui pour lequel il désirait véritablement faire des avancées pour le Québec, il aura joué un rôle déterminant dans la création du Conseil de la fédération et la conclusion de l’Accord entre le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada relatif à l’UNESCO.
Sur la question du statut politique du Québec, nous étions d’accord pour fonder celui-ci sur le droit du peuple québécois à l’autodétermination. Dans nos échanges lors de l’étude des crédits du Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes qu’un chroniqueur du journal Le Soleil, le regretté Jean-Jacques Samson, avait qualifié d’« élégants », il affirmera que son fédéralisme reposait « sur un principe qui est le droit des Québécois de choisir leur avenir ». Il ajoutait : « Mais qui dit droit de choisir dit forcément qu’il y a plus d’une option sur la table, sinon on ne parlerait pas d’un choix. Une de ces options légitimes, certes, c’est l’option sécessionniste, mais ce n’est pas l’option que nous privilégions. »
Benoît Pelletier aura été un adversaire respectueux des indépendantistes québécois, et les partisans de la souveraineté auront aussi été admiratifs devant ces efforts pour « renforcer le Québec dans l’espace canadien […], d’améliorer la fédération canadienne, mais dans un sens qui est compatible avec les intérêts fondamentaux des Québécois et des Québécoises ».
Une confidence
L’occasion m’a été donnée d’avoir de multiples échanges avec Benoît Pelletier, lors de colloques, de conférences et de séminaires universitaires, sur les plateaux de télévision, dans Le Devoir et sa page Idées et, bien sûr, au Salon Bleu l’hôtel du Parlement à Québec.
Ne doutant jamais qu’un débat avec Benoît Pelletier serait empreint de courtoisie, j’ai toujours accepté des face-à-face, et notamment sur la question du statut politique du Québec, où nos positions divergeaient.
J’ai le souvenir d’un seul rendezvous qui ne s’est pas matérialisé. Le 30 octobre 1995, Radio-Canada nous avait invités à commenter le résultat du référendum organisé par le gouvernement de Jacques Parizeau si le OUI l’emportait. Mais, à 23 h 10, lorsqu’il fut annoncé que l’option du NON l’avait emporté et obtenu à peine d’un peu plus de 50 000 voix de plus que le OUI (50,56 % contre 49,44 %), nous apprenions qu’il n’était plus nécessaire de commenter… la victoire du OUI. Je prévoyais que l’adversaire respectueux, en grand démocrate, accepterait le résultat et accompagnerait le peuple du Québec dans sa décision d’accéder à l’indépendance.
À mon grand regret, il ne sera pas des nôtres lors d’un prochain rendez-vous référendaire, qui pourrait se produire entre 2026 et 2030, et à l’occasion duquel il aurait pu à nouveau faire entendre sa voix. Et, qui sait, si cette fois-là, il aurait choisi de se joindre au camp du OUI.
Tu me manqueras, Benoît. Tu manqueras au Québec tout entier, Benoît Pelletier.