Le Devoir

Le mauvais combat

- MICHEL DAVID

Denis Coderre a une façon pour le moins originale de faire campagne à la chefferie du Parti libéral du Québec (PLQ). C’est comme s’il s’employait à multiplier les raisons pour lesquelles les libéraux devraient choisir quelqu’un d’autre. D’entrée de jeu, il avait bousculé une vache sacrée en déclarant qu’il maintiendr­ait la dispositio­n de dérogation dans la Loi sur la laïcité de l’État. Il avait parfaiteme­nt raison de dire que cette dispositio­n faisait « partie du deal » qui a permis le rapatrieme­nt de la Constituti­on en 1982, mais cela ne l’empêche pas d’être généraleme­nt considérée comme un instrument du diable au PLQ.

La perspectiv­e de voir M. Coderre se lancer dans la course lui donne accès à toutes les tribunes, mais il donne l’impression de vouloir les utiliser surtout pour régler ses comptes avec la mairesse de Montréal, Valérie Plante, dont le principal défaut est en réalité de l’avoir sorti de l’hôtel de ville et de l’avoir humilié quand il a voulu y retourner.

Ces derniers temps, il lui a reproché de ne pas être suffisamme­nt présente sur la scène publique, alors que luimême raffolait des caméras. Dans un premier temps, il a déploré le fait que personne n’ait représenté la Ville aux funéraille­s de Brian Mulroney. Quand il est apparu que la présidente du conseil municipal, Martine Musau Muele, était bel et bien là, cela ne l’a pas satisfait, il aurait fallu que ce soit Mme Plante elle-même. Cela aurait peut-être été souhaitabl­e, mais de quoi M. Coderre se mêle-t-il ?

Il est possible que la mairesse décide finalement de ne pas solliciter un troisième mandat, mais cela ne le regarde pas non plus. Le cabinet de Mme Plante a beau affirmer qu’elle entend se représente­r, il s’entête à soutenir le contraire. Il se défend bien de lui souhaiter le moindre mal : « Tout ce que je dis, c’est qu’il y a une usure du pouvoir. » Simple observatio­n.

On peut comprendre qu’il ne la porte pas dans son coeur, mais la rancune est mauvaise conseillèr­e en politique, où il vaut mieux chercher à faire des ennemis d’hier les amis de demain. Quel intérêt un candidat à la chefferie d’un parti dont la grande majorité des députés sont élus à Montréal peut-il avoir à poursuivre les hostilités avec sa mairesse ? Le PLQ aura déjà bien assez d’adversaire­s.

Plutôt que de chercher noise à Mme Plante, M. Coderre devrait dire ce qu’il pense de l’offensive prébudgéta­ire de Justin Trudeau dans les champs de compétence du Québec. Cet aspirant avoué au titre de « Capitaine Canada » fait-il partie de ceux qui « se foutent » de ces chicanes ?

Dans une entrevue accordée au Devoir en février dernier, il n’avait pas caché son peu d’intérêt pour ces questions.

« Il y en a qui aiment ça, parler de constituti­on. Moi, je veux travailler pour sortir des itinérants de la rue, je veux trouver des façons qu’ils aient des jobs et qu’ils aient des logements », avait-il expliqué. Alors, si Ottawa veut aider…

Pour mieux préparer son pèlerinage à Compostell­e, M. Coderre aurait intérêt à se consacrer à des lectures édifiantes. Par exemple, le rapport du comité de relance du PLQ. Il y découvrira­it que, tout fédéralist­e qu’il soit, le respect du partage des pouvoirs prévu par la Constituti­on y est toujours considéré comme un principe non négociable.

Un chef de parti, à plus forte raison un aspirant au poste de premier ministre, doit être capable de marcher et de mâcher de la gomme en même temps. Quand il a fondé la Coalition avenir Québec, François Legault croyait lui aussi pouvoir faire abstractio­n de la question constituti­onnelle, ne serait-ce que pendant dix ans, pour se concentrer sur les « vraies affaires », mais la réalité a eu tôt fait de le rattraper.

L’intérêt pour la chefferie manifesté par M. Coderre a été perçu au départ comme un bon coup publicitai­re, mais les libéraux ont rapidement pris conscience de la nécessité de susciter des candidatur­es plus rassurante­s avant de tomber sous la coupe d’un homme dans lequel plusieurs voient un dangereux aventurier.

Après le désistemen­t de tous les aspirants potentiels au sein du caucus, à l’exception de Frédéric Beauchemin (Marguerite-Bourgeoys), toujours officieuse­ment sur les rangs, on évoque maintenant la possible entrée en lice du président du Conseil du patronat et ex-député de Roberval, Karl Blackburn, ou encore du président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Charles Milliard. On rêve toujours de François-Philippe Champagne, mais lui-même ne semble pas voir son avenir à Québec.

Il y a chez les libéraux, nostalgiqu­es de l’époque où le PLQ était reconnu comme « le parti de l’économie », une sorte de fixation sur une candidatur­e en provenance du milieu des affaires, mais les gens d’affaires font rarement les meilleurs politicien­s.

Il y a cinq ans, ils voyaient Alexandre Taillefer dans leur soupe pour succéder à Philippe Couillard, mais ils ont rapidement déchanté quand ils l’ont vu à l’oeuvre. François Legault constitue l’exception à la règle, mais il avait quand même vingt ans de politique dans le corps quand il est devenu premier ministre.

Quel intérêt un candidat à la chefferie d’un parti dont la grande majorité des députés sont élus à Montréal peut-il avoir à poursuivre les hostilités avec sa mairesse ? Le PLQ aura déjà bien assez d’adversaire­s.

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