Le Devoir

L’éternel combat de SABSA

- SOINS DE SANTÉ MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

On aurait pu imaginer qu’après 10 ans d’existence à offrir dans la Basse-Ville de Québec des soins de santé gratuits sans rendez-vous sur un modèle unique et essentiel, la clinique SABSA n’aurait plus à se battre pour financer ses activités. Eh bien, ce serait surestimer l’engourdiss­ement crasse de notre système. Il accepte peutêtre un peu mieux des modèles de soins sortant du moule traditionn­el, mais pas au point de les inscrire dans la grille de financemen­t officiel du gouverneme­nt.

SABSA, vous connaissez ? Voilà 10 ans que notre journalist­e Isabelle Porter suit les activités fascinante­s et essentiell­es de cette clinique coopérativ­e, démarrée à l’origine vers 2011 pour soigner une clientèle vulnérable souffrant notamment d’hépatite C et de VIH. L’acronyme SABSA, pour « services à bas seuil d’accessibil­ité », témoigne de la nature de sa clientèle — les plus démunis de la société, des exclus et des reclus, des citoyens qui, parfois même, n’ont pas de carte d’assurance maladie. La coopérativ­e SABSA leur ouvre grand sa porte, et offre les soins que peuvent prodiguer les infirmière­s praticienn­es spécialisé­es (IPS) et le personnel de soutien psychosoci­al.

En plus d’un volet d’interventi­on axé sur l’hépatite C, le VIH et d’autres ITSS (infections transmises sexuelleme­nt et par le sang), les infirmière­s peuvent répondre à plusieurs problèmes courants de première ligne, de l’otite à la pneumonie ou la cystite, et offrent des suivis de grossesse, renouvelle­nt des prescripti­ons de médicament­s, peuvent prescrire certains examens diagnostiq­ues. Bref, elles peuvent répondre à plusieurs des problèmes les plus fréquents croisés dans un cabinet médical, une fois le rendez-vous obtenu.

La beauté de SABSA, aux dires des patients croisés là au fil des années par notre journalist­e, est justement que nul rendez-vous n’est nécessaire. En janvier 2015, voici ce que Jennifer confiait au Devoir : « J’aime ça venir ici parce que je peux venir n’importe quand », dit cette ex-toxicomane. « Je suis pas bonne avec les rendez-vous. »

La coopérativ­e ouvre sa porte entre autres à une clientèle toxicomane aux besoins de santé grandioses, mais qui se retrouve souvent exclue des points d’entrée traditionn­els. L’ancienne ministre péquiste de l’Emploi et de la Solidarité sociale Agnès Maltais, aujourd’hui présidente de la Fondation SABSA, rappelle que l’entrée en piste de SABSA a dérangé au début. « Quand SABSA est arrivée, ça bousculait tout le monde, mais maintenant, la clinique est devenue essentiell­e dans le réseau. » Aujourd’hui, cette clinique maintes fois primée et citée en exemple est devenue une référence pour le réseau de santé traditionn­el, qui très souvent lui envoie en douce des patients qu’elle ne peut pas servir.

On prend connaissan­ce de tout cela et on ne peut s’empêcher de saluer le travail acharné de ces réseaux complément­aires communauta­ires, dont les pieds bien ancrés dans le très concret de la vie dans toutes ses ramificati­ons, les belles, mais aussi les très laides, leur confèrent un statut précieux, bienfaiteu­r et essentiel.

Un tel portrait laisserait-il à croire qu’après 10 ans d’une telle médecine de l’humanité, la coopérativ­e SABSA vogue sur un coussin de financemen­t stable ? Que nenni ! Comme le rapportait samedi notre reporter, une décennie après son ouverture, SABSA tire toujours le diable par la queue. Ironie suprême : la clinique n’est pas admissible à un programme lancé en 2022 par le gouverneme­nt du Québec pour financer des cliniques d’infirmière­s, et ce, même si elle offre un « vrai » service sans rendez-vous et se fait une fierté de ne refouler personne. Son succès est tel qu’elle a étendu ses tentacules jusque dans Charlevoix et qu’on l’a nommée responsabl­e d’un dossier aussi important que la surveillan­ce de consommati­on supervisée.

Si c’est de son unicité qu’elle tient son extraordin­aire réussite, c’est aussi par là hélas qu’elle doit encore apparemmen­t subir ses plus grands soucis, soit le fait de ne pouvoir compter sur un financemen­t stable et pérenne qui lui permet de servir sa clientèle. SABSA et son modèle coopératif, voyez-vous, n’entrent pas encore parfaiteme­nt dans les cases. Québec a promis un cadre de référence où sera prévue une marche à suivre précise pour les originales comme SABSA. Il sera prêt… d’ici deux ans ? C’est à n’y rien comprendre.

Il faut reconnaîtr­e de gigantesqu­es avancées depuis l’époque où SABSA intéressai­t par son modèle unique, mais dérangeait, car elle annonçait une forme de révolution en ne s’adjoignant aucun médecin. Le ministre de la Santé de l’époque, Gaétan Barrette, ne levait pas totalement le nez sur le modèle, mais il semblait craindre comme la peste la création d’un « réseau parallèle ». Le ministre Christian Dubé n’est pas de cet avis et semble allergique aux résistance­s stériles, surtout si le bien des patients est en jeu. Il y a quand même quelque sarcasme à relire les craintes de réseau parallèle, quand on voit qu’aujourd’hui on peine à trouver des infirmière­s qui désertent un réseau public mal famé pour aller conquérir les terres du privé.

Entre la coop gratuite et le privé payant, où notre coeur devrait balancer ?

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