Une paix continentale dans la cour du chevalier de Callière
La guerre est plus facile à décrire et à circonscrire que la paix
La notion de paix est aujourd’hui bien malmenée. L’embrasement du monde que l’on connaît, aux conflits fratricides, souvent lancés au nom d’une juste cause, dévaste des pays entiers, déplace des populations, entraîne souffrances et désespoir et un grand sentiment d’impuissance face à ces désastres humanitaires.
Sur le plan historique, la guerre a tout pour marquer l’imaginaire : des camps bien définis qui s’affrontent, des dates mémorables, des statistiques précises, des lieux de mémoire incontournables, des biens culturels préservés au fil du temps et convoités par des collectionneurs, des personnalités devenues héros ou dictateurs, des inventions technologiques mises au profit de la destruction. Les histoires de guerre captivent et font de bons récits.
Les histoires de paix… y a-t-il des histoires de paix captivantes et importantes ? Par exemple, celle de 1701, conclue à Montréal en « Grande Paix de Montréal » ? La question se pose.
Des découvertes archéologiques réalisées au cours de la dernière décennie sur le lieu de fondation de Montréal et le domaine de Callière, dans le VieuxMontréal, nous motivent à explorer les thèmes de la guerre et de la paix dans l’espace colonial nord-américain.
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Le chevalier de Callière, instigateur français de cette grande conférence, a réussi, en compagnie de plusieurs alliés, à sceller une paix dont la caractéristique principale est certainement sa longue durée. Est-il possible que les bases sur lesquelles il a échafaudé en partie son approche soient inspirées du manuel De la Manière de Négocier avec les Souverains, qu’a écrit son frère, François de Callières ? C’est le parti pris que nous adoptons.
On peut s’étonner du fait que les études sur la paix, pourtant essentielles à notre compréhension de la marche du monde, fassent piètre figure à côté du nombre phénoménal d’études historiques, politiques, sociales et économiques portant sur la guerre. Il faut pourtant souligner qu’un intérêt de plus en plus marqué a été accordé à l’étude de la paix au cours des trente dernières années […].
Paix négative
La guerre est certainement plus facile à décrire et à circonscrire que la paix. Toutefois, dès 1969, le mathématicien norvégien Johan Galtung a développé le concept, très repris par la suite, selon lequel il y a deux sortes de paix : la paix négative et la paix positive.
La paix négative serait l’absence de guerre ou de toute forme de violence directe ; la paix positive, outre l’absence de violence, est indissociable d’un contexte d’épanouissement, d’équité et de justice sociale. Cette nuance est fondamentale et nous aide à analyser les enjeux politiques et diplomatiques auxquels faisaient face à la fin du XVIIe siècle les Premières Nations dans leurs relations avec les autorités coloniales, françaises et anglaises.
Tout le XVIIe siècle est une suite presque ininterrompue d’allers et de retours entre des faits d’armes, des escarmouches, des envahissements repoussés ou subis, des trêves forcément ponctuelles, suivies de rebondissements armés […].
Dans l’Amérique coloniale du XVIe au XVIIIe siècles, les preuves matérielles liées à la guerre sont bien documentées par l’archéologie. Fortifications, pièces d’armement, munitions et trophées de guerre laissent inévitablement des traces. En contrepartie, les preuves tangibles de mouvements pacifiques, d’alliances, d’échanges entre groupes requièrent une attention supérieure des archéologues pour en décoder les significations à partir des traces matérielles.
Alors que les sources archivistiques et ethno-historiques de l’Amérique coloniale procurent des balises et des références précises pour évoquer les épisodes de paix, elles ne sont cependant guère utiles pour étudier les périodes antérieures à l’arrivée des Européens sur le continent.
La présence de biens particuliers, comme des pipes accompagnant des rituels diplomatiques, ou encore des matériaux exogènes trouvés en abondance au sein de communautés, comme du cuivre natif ou des minerais recherchés pour la fabrication d’outils, procurent des indices intéressants pour explorer des relations entre groupes proches ou lointains et leurs échanges basés sur la réciprocité ou la négociation.
Dans la sphère sociale à la période précoloniale, c’est par les alliances et les mariages que se réalisent les dynamiques culturelles entre les groupes, mais aussi par l’expression de prières et de rituels spirituels codifiés et reconnus pour favoriser l’abondance et la survie […].
La dynamique coloniale a entraîné la recrudescence d’épisodes violents, davantage que la seule transition du nomadisme à la sédentarité des groupes. Jeux d’influence, alliances stratégiques, arrivée de nouveaux biens et de technologies jusque-là inconnues, maladies contagieuses, conversions, etc.
Globalement, les foyers de colonisation, les réseaux de forts et de postes de traite en territoire autochtone ainsi que les missions ont contribué à modifier en profondeur les modes de vie et les cultures autochtones et à accentuer les affrontements en tous genres, souvent au sein d’une même communauté.
En 1701, au pied du mont Royal, LouisHector de Callières, gouverneur général de la Nouvelle-France, est entouré de tous les dignitaires et civils de la colonie pour la signature du traité de la Grande Paix. À sa gauche, on voit le grand chef huron-wendat Kondiaronk.
LA PAIX DE MONTRÉAL, TOILE DE JEAN-BAPTISTE LAGACÉ, ILLUSTRATION POUR HISTOIRE DU CANADA D’ADÉLARD DESROSIERS. DÉPOSÉE À MONTRÉAL PAR GRANGER FRÈRES, LIMITÉE [ENTRE 1921 ET 1933], BANQ