Le mystère de l’île Sainte-Hélène
Les traces du dernier point de résistance de la Nouvelle-France auraient été mises au jour par des archéologues
À l’île Sainte-Hélène, des archéologues ont découvert les traces d’une cavité qui pourrait être associée aux retranchements français creusés en 1760 pour défendre Montréal contre les armées britanniques du général Amherst.
La cavité a été trouvée par hasard lors de la pose de conduites électriques souterraines. « Ça pourrait être [les retranchements], mais on n’a pas la confirmation hors de tout doute, prévient Mathieu Sévigny, de la firme Ethnoscop. On ne s’est pas rendus au fond de la tranchée », ajoute l’archéologue, en rappelant que les fouilles ont été réalisées dans le cadre d’une simple surveillance de chantier.
Une dépression similaire avait également été observée en 2012 sous le chemin du Tour de l’Isle qui correspond au tracé d’une partie des retranchements français de 1760. « C’est un peu crève-coeur », commente M. Sévigny, « le mystère reste entier ».
Bastion
La fortification de l’île Sainte-Hélène par les troupes du général Lévis est le dernier acte de la guerre de la Conquête qui oppose la France à la Grande-Bretagne pour le contrôle de l’Amérique du Nord. Les travaux commencent en août 1760, près d’un an après la chute de Québec dans la foulée de la bataille des plaines d’Abraham.
Armés de pelles et de pioches, les soldats du bataillon de Béarn et des troupes de la Marine creusent une tranchée en zigzags sur le pourtour de l’île. Les militaires en bras de chemise progressent lentement à travers les vergers et les vignes qui alimentent la cidrerie du baron de Longueuil, dont la résidence d’été se trouvait près de l’actuelle Biosphère.
La terre extraite du fossé est jetée vers l’arrière pour former un parapet à l’abri duquel les soldats français et les miliciens canadiens pourront fusiller le moment venu. Cet ouvrage temporaire est maintenu en place à l’aide de paniers de branchages, que l’on appelle des fascines. « Ça pouvait aussi être des pièces de bois coupées à l’horizontale ou de petits caissons, explique l’historien André Charbonneau dans un entretien avec Le Devoir, j’en ai vu de toutes les sortes. »
Le rebord extérieur du fossé est doté d’une palissade, comme l’indique la ligne pointillée que l’on aperçoit sur une carte britannique réalisée après la Conquête. « Il y a une double défense pour empêcher l’approche de l’ennemi, observe M. Charbonneau, c’était assez élaboré. »
Paradoxalement, les retranchements français de Sainte-Hélène sont défendus par l’artillerie britannique qui a été capturée devant Québec en avril 1760 lors de la bataille de Sainte-Foy. Les canons sont pointés en direction du courant Sainte-Marie qui longe le faubourg du même nom, en aval de Montréal. « L’idée c’était d’essayer de retarder la progression de l’ennemi », explique M. Charbonneau.
Autodafé
Les troupes britanniques parties de Québec, du fleuve Hudson et du lac Ontario convergent vers Montréal au début de septembre 1760. Le déséquilibre des forces amène le gouverneur de la NouvelleFrance, Vaudreuil, à entamer des pourparlers avec le général Amherst. Ce dernier refuse toutefois d’accorder les honneurs de la guerre à la garnison française, ce qui signifie que ses officiers ne pourront plus combattre pour le reste du conflit qui se poursuit en Europe.
Le général Lévis exige la rupture des pourparlers dans un échange houleux avec Vaudreuil. Ce partisan d’une guerre totale va jusqu’à proposer de livrer une ultime bataille à l’île SainteHélène avec les munitions restantes pour faire plier le commandant britannique. « Il serait inouï de se soumettre à des conditions si dures et si humiliantes pour les troupes, sans être canonnés », écrit Lévis dans un mémoire à Vaudreuil, qui est surtout destiné à impressionner les ministres de Versailles à son retour en France.
Face au refus du gouverneur, Lévis brise son épée puis ordonne à ses bataillons de brûler leurs drapeaux pour ne pas avoir à les remettre au conquérant. Cet autodafé textile va marquer l’imaginaire du Canada français. Selon une légende popularisée par le poète Louis Fréchette, la destruction des étendards n’aurait pas eu lieu à Montréal, mais à Sainte-Hélène, à l’endroit même où Lévis, ce héros « noir de poudre, couvert de sang », avait voulu livrer un baroud d’honneur digne de Fort Alamo.
La légende de Sainte-Hélène sera suffisamment évocatrice pour être reconstituée au musée de cire de Montréal. La scène mettant en vedette un mannequin de Lévis recouvert de cheveux humains sera inaugurée à un an de l’Expo 67 qui a entraîné la fusion de l’île Sainte-Hélène avec sa voisine, l’île Ronde, par le déchargement de 28 millions de tonnes de terres et de matériaux dans le fleuve Saint-Laurent.
Vestiges
Des segments des retranchements de 1760 étaient toujours visibles à SainteHélène au début des années 1930, selon un entrefilet du Devoir de l’époque. Les vestiges auraient toutefois été comblés dans les années suivantes lors des travaux d’aménagement paysager de l’île qui avait été ouverte au public dès 1874. Il en ira autrement pour les fortifications britanniques du XIXe siècle, intégrées au parc Jean-Drapeau, qui célèbre cette année son 150e anniversaire.
Pour l’historien André Charbonneau, la fouille des anciens retranchements français de Sainte-Hélène permettrait de comprendre l’ampleur de ces ouvrages oubliés qui devaient retarder de quelques jours la chute de la NouvelleFrance : « Si quelqu’un veut mettre en valeur ces vestiges du patrimoine, tant mieux parce que ça nous aiderait à mieux connaître notre passé. »