Pour l’amour de l’impro
J’ai récemment fait un crochet par Shawinigan pour y croiser 312 jeunes improvisateurs survoltés et heureux, rassemblés sous les auspices du Rendez-vous improvincial (RVI), le plus grand rassemblement non compétitif d’improvisation pour les élèves du secondaire. J’ai joué devant eux et je leur ai donné huit heures de formation. Croyez-moi, c’était vivifiant !
Pour ceux d’entre vous qui seraient moins familiers avec l’improvisation théâtrale, permettez-moi de tracer, à gros traits, le portrait de cette pratique artistique québécoise qui a conquis le monde.
Bien entendu, l’improvisation existe depuis le tout début des arts de la représentation, mais en 1977, Robert Gravel et Yvon Leduc, dans le cadre du Théâtre expérimental de Montréal, créent le match d’improvisation. On y mélange les codes du hockey et du théâtre. Les acteurs jouent sur une patinoire, ils sont répartis en deux équipes et ils portent des chandails de hockey. Pour marquer un point, il faut improviser une histoire et obtenir le vote du public, le tout sous la direction d’un arbitre qui s’assure du respect des règles. De ce spectacle expérimental naîtra la Ligue nationale d’improvisation (LNI), qui existe encore et qui présente toujours ce spectacle phare depuis 47 ans.
En 1982, la LNI est diffusée à la télévision (RadioQuébec), ce qui a pour effet de donner aux jeunes téléspectateurs l’envie de jouer aussi. Les écoles secondaires et les cégeps répondent à leur demande, et l’impro devient une activité parascolaire prisée. Puis, des ligues amateurs voient le jour partout dans la province. Tandis que la pratique s’étend aussi en Europe, des rencontres internationales sont organisées.
Depuis, la pratique de l’improvisation théâtrale s’est élargie et diversifiée, et, bien que le « match » soit toujours populaire, il existe aujourd’hui une multitude de concepts et de compagnies de théâtre qui misent sur la force de la spontanéité pour créer des oeuvres, sans notion de compétition.
Le Théâtre de la LNI a lui aussi créé plusieurs offres théâtrales en dehors du format du match. La LNI s’attaque aux classiques, par exemple, explore l’univers de grands auteurs et dramaturges, tels que Shakespeare, Molière, Ionesco, Robert Lepage ou Réjean Ducharme, entre autres. Le spectacle se déroule en deux temps. La première partie est consacrée à la décortication des oeuvres de l’auteur pour en extraire des mécanismes dramaturgiques qu’on va illustrer grâce à des improvisations dirigées. Ainsi, on pourra explorer le caractère comique de Molière ou le langage poétique de Ducharme. La seconde partie du spectacle est plus vertigineuse, car il s’agit d’une seule et longue improvisation à la manière de cet auteur.
C’est donc avec ce concept, adapté pour l’occasion, que je me suis présentée devant les jeunes. Il s’agissait de plonger dans l’oeuvre de Michel Tremblay. Si certains d’entre eux ignoraient tout de ce génie du théâtre québécois, tous bouillaient d’envie de le découvrir à travers le jeu. Après un peu d’histoire du théâtre et quelques notions sur l’époque dans laquelle on a vu naître ses oeuvres, on s’est lancés dans son univers en tentant de l’apprivoiser et de se l’approprier un peu.
Il a suffi de quelques minutes pour que des jeunes de 12 à 17 ans se mettent à créer des monologues émouvants et des choeurs engagés. Ils inventaient des fratries disloquées, des personnages aux rêves déchus. Ils osaient jouer des humains troublés ou révoltés. Ils mordaient à pleines dents dans notre joual. Vous dire le plaisir que j’ai eu à voir cette soixantaine d’ados embrasser l’oeuvre de Tremblay et tenter du mieux qu’ils pouvaient de créer de petits morceaux de théâtre à son image.
Il suffit de presque rien pour créer. Un peu d’espace, quelques personnes motivées, et la magie du théâtre peut opérer. Voilà pourquoi je cultive une passion démesurée pour l’improvisation. Passion que je partage avec plusieurs fervents. Mais ce n’est pas là l’unique vertu de cet art. Quand on pratique l’improvisation, on développe une foule de compétences : l’écoute, la solidarité, la confiance en soi, l’ouverture à l’autre et l’humilité.
Parmi ces 312 jeunes passionnés, seuls quelques-uns deviendront des acteurs ou des auteurs, mais tous auront eu la chance de se développer dans un espace de liberté qui ne ressemble à aucun autre. À un âge où appartenir à un groupe est tellement important, ils auront aussi eu accès à un puissant liant social.
À ce propos, voici ce qu’avait à en dire Antoine Lacasse, responsable du réseau Improvincial chez ACLAM, une pépinière de passions qui chapeaute aussi Secondaire en spectacle. « Offrir un événement non compétitif comme le nôtre, c’est aussi une occasion pour les jeunes de laisser l’anxiété de performance de côté, tout en leur donnant une bonne dose de confiance en soi et la chance de rencontrer d’autres passionnés comme eux. Côté santé mentale positive des jeunes, les témoignages des participants nous indiquent clairement qu’on a ajouté notre pierre à l’édifice cette fin de semaine. »
Après plus de 30 ans de spectacles improvisés divers, dont 900 improvisations à la LNI, imaginez mon émotion quand je vois cette belle jeunesse partager cette passion inusable. Si j’aime encore tant l’impro, c’est simplement parce que c’est de la création pure. On ne peut pas tout contrôler, mais il faut y croire et assumer toutes nos erreurs. Un peu comme un concentré de la vraie vie, quoi.