Effendi, l’instrument du jazz d’ici
La maison de disques québécoise spécialisée en musique jazz de création célèbre son 25e anniversaire pendant le festival Odd Sound
Fondé par le compositeur et trompettiste Jacques Kuba Séguin « pour célébrer les musiques jazz et instrumentales », le festival montréalais Odd Sound proposera dès ce soir une dizaine de concerts, jusqu’à sa grande finale du 30 avril, date consacrée par l’UNESCO depuis 2012 comme la Journée internationale du jazz. À l’honneur de cette troisième édition, l’étiquette de disques québécoise Effendi Records, née il y a 25 ans grâce au travail du compositeur et bassiste Alain Bédard et de ses collègues.
Passé le concert d’ouverture, offert mercredi soir à la Cinquième salle par l’Orchestre national de jazz et son invité américain Donny McCaslin, les artistes associés à Effendi Records se succéderont sur les planches montréalaises : François Bourassa le 14 avril, le Jazzlab Orchestra le 17, l’Auguste Quartet dirigé par Alain Bédard le 27 avril, et, enfin, le concert du 25e anniversaire d’Effendi au Lion d’Or, le 30 avril , avec la crème du jazz d’ici, Félix Stüssi et le projet SuperNova, l’incontournable Bourassa, Kuba Séguin, la révélation du piano jazz Gentiane MG et quelques autres, suivi de la séance d’improvisation finale.
L’étiquette a joué, et joue toujours après un quart de siècle, un rôle essentiel dans le rayonnement du jazz québécois en éditant les albums des musiciens d’ici, sinon en donnant un coup de main aux autres pour la distribution ou l’organisation de tournées. Effendi est également l’image d’un insaisissable son jazz québécois, moderne et touche-à-tout, « du répertoire au jazz contemporain », indique Alain Bédard. « Le marché pour le jazz n’est pas énorme au Québec, alors il faut se débrouiller et apprendre à jouer toutes sortes de styles. Si le label avait été créé en France ou aux États-Unis, nous n’aurions pas la même démarche. »
« Alex Dutilh, animateur à Radio France [l’émission Open jazz] et critique, m’a déjà dit : “C’est intéressant, vous faites un jazz plus lyrique que ce qu’on fait, nous, en France.” En ce sens, [notre son] est peut-être plus proche de celui du jazz italien que français. »
La polyvalence esthétique du jazz québécois rend difficile l’apposition d’une étiquette ou d’une personnalité intrinsèque, convient Alain Bédard, qui relève toutefois une caractéristique propre à la maison de disques qu’il gère toujours aujourd’hui : « Chez Effendi, on fait de la musique de création, c’est-à-dire que j’aime que les musiciens proposent leurs propres compositions » plutôt que de revisiter des standards. « Après, c’est sûr qu’au niveau du son, nous n’avons pas de studio à nous comme les gens [de la légendaire étiquette américaine] Blue Note à l’époque, mais on a trouvé notre propre manière de faire, et notre identité visuelle », impressionniste et moderne depuis la parution, en 1999, du tout premier album d’Effendi, Signal commun, du compositeur et pianiste Yves Léveillé.
Il y a 25 ans, la scène locale n’était pas dépourvue de structures de production et d’édition d’albums jazz (Justin Time Records, fondée à Montréal en 1983, Lost Chart, aujourd’hui disparue), mais elles n’arrivaient pas à accueillir tous les projets. À cette époque, Alain Bédard s’occupait de la petite salle de concert du Saint-Sulpice, rue Saint-Denis, qui invitait les acteurs de la scène jazz à s’y produire : « Des musiciens me confiaient rencontrer des difficultés à produire leurs albums. On m’a demandé : “Pourquoi tu ne pars pas un label ?” À l’origine, Effendi, c’était un collectif d’une dizaine de musiciens qui ont mis ça sur pied, mais une fois [le tout] lancé, je me suis retrouvé à gérer la structure seul avec Carole » Therrien, soprano, qui lançait son album Oracle en 2003.
En 25 ans, Effendi Records a lancé plus de 170 albums et organisé près de 125 tournées, ici et en Europe, récoltant près de 90 distinctions (Félix, Juno, prix Opus du Conseil québécois de la musique, etc.). La maison de disques a édité les premiers albums de la saxophoniste Christine Jensen (Collage, 2000), du pianiste et claviériste Daniel Thouin (Organique, 2001), du saxophoniste Rémi Bolduc (Renaissance, 2001) et du pianiste et professeur Rafael Zaldivar (Life Directions, 2010), entre autres.
Le plus grand succès commercial de cette étiquette, qui existe d’abord pour servir la scène ? Un album hommage à André Gagnon, intitulé Berceuse pour Philou, réunissant, entre autres, Oliver Jones, Julie Lamontagne, Lorraine Desmarais, Coral Egan et François Bourassa. Et pour la petite histoire, cet homme que l’on voit sur la pochette de l’album, photographié de dos, recourbé sur le clavier d’un piano à queue, se trouve à être Maurin Auxéméry, directeur de la programmation du Festival international de jazz de Montréal (et des Francos) depuis 2022, qui travaillait autrefois pour Effendi Records.
Le festival Odd Sound se déroulera jusqu’au 30 avril.
Le marché pour le jazz n’est pas énorme au Québec, alors il faut se débrouiller et apprendre à jouer toutes sortes de styles. Si le label avait été créé en France ou aux États-Unis, nous n’aurions »
pas la même démarche. ALAIN BÉDARD