Refusé pour avoir soumis des documents en noir et blanc
Le député Guillaume Cliche-Rivard exhorte la ministre de l’Immigration à alléger la bureaucratie de son ministère
La ministre sait-elle qu’on perd des candidats à l’immigration dont on a grandement besoin parce qu’un document n’est pas en couleur ?
GUILLAUME CLICHE-RIVARD
Le dossier refusé de Félix Devismes, un père de famille français pris dans la bureaucratie kafkaïenne du système d’immigration québécois, est la responsabilité du politique. C’est ce que prétend Québec solidaire, qui exhorte la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, à changer les « exigences déraisonnables » de son ministère sur le plan administratif.
En janvier dernier, l’homme de 33 ans, marié à une Québécoise, s’est vu refuser son certificat de sélection du Québec (CSQ) notamment pour avoir soumis des documents en noir et blanc, au lieu d’en couleur, et pour avoir omis de fournir certaines preuves impossibles à trouver. Dans la foulée, ce néoQuébécois, qui travaille pour une fromagerie à Saint-Antoine-de-Tilly, a perdu son permis de travail et est cloué chez lui depuis plus d’un mois.
« La ministre sait-elle qu’on perd des candidats à l’immigration dont on a grandement besoin parce qu’un document n’est pas en couleur ? » a demandé Guillaume Cliche-Rivard, député solidaire de Saint-Henri–Sainte-Anne, qui a adressé une lettre à Christine Fréchette dont Le Devoir a obtenu copie. « Je pose la question parce que le but de ma démarche, c’est de l’en informer. »
Selon lui, Mme Fréchette a le devoir d’intervenir. « Quand les procédures d’immigration manifestement déraisonnables et inappropriées nous privent d’un francophone établi dans une industrie comme la sienne, ça devient politique », affirme-t-il. « Au Québec actuellement, on ne peut pas se permettre de perdre un candidat comme Félix. »
Des demandes absurdes
Après huit ans de vie au Québec, trois diplômes québécois et divers emplois dans le secteur alimentaire et de la restauration, Félix Devismes a fait des démarches pour obtenir une résidence permanente auprès du gouvernement fédéral. Mais comme l’exige le Québec, il devait d’abord obtenir un CSQ.
En novembre 2023, il a reçu une lettre « d’intention de refus » accompagnée d’une liste de documents supplémentaires à fournir, sans quoi sa demande allait être rejetée. Malgré un ajout d’une trentaine de pages, son dossier a été fermé définitivement à la mi-janvier parce que quatre documents sont toujours « manquants ou ont été transmis dans un format différent de celui exigé », peut-on lire dans la lettre du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI).
Félix Devismes dénonce « l’absence de logique » derrière les demandes jugées absurdes des fonctionnaires du ministère. « Mon relevé d’emploi a été refusé parce qu’il était en noir et blanc. Mais j’ai appelé Service Canada et on m’a confirmé que ce n’était pas possible d’imprimer en couleur », a expliqué le résident de Sillery, qui dit être parti à la chasse à l’imprimante couleur dans d’autres bureaux de Service Canada. En vain.
On lui a aussi demandé d’envoyer une preuve de permis de travail pour une période donnée, impossible à fournir puisqu’il était à ce moment-là en transition entre deux entreprises, et un reçu postal pour un permis de travail post-diplôme obtenu en 2017, qu’il n’avait pas gardé. Enfin, on lui a demandé de fournir une attestation d’emploi signée à la main par son employeur et non électroniquement, une exigence complètement caduque étant donné que les documents doivent maintenant tous être numérisés et déposés en ligne sur un portail.
Pour le député péquiste de JeanTalon, Pascal Paradis, les raisons du refus s’apparentent « à des barrières administratives techniques plutôt que des raisons valables ». « [M. Devismes] se retrouve aujourd’hui dans une situation de grande précarité financière et émotionnelle à la suite du refus de sa demande de CSQ », a-t-il déploré, ajoutant qu’il est un « modèle d’intégration ».
Guillaume Cliche-Rivard déplore les façons de faire « archaïques » du MIFI et demande que le processus de traitement des dossiers soit entièrement revu. « Une telle exigence de fournir une copie couleur ne figure ni au règlement ni à la loi, et s’avère à sa face même déraisonnable », écrit le député dans sa lettre à la ministre.
Il demande également au MIFI de revoir sa façon de communiquer avec sa clientèle. À l’heure actuelle, dit-il, les candidats à l’immigration sont susceptibles de recevoir des « lettres d’intention de refus » dans lesquelles on les soupçonne d’avoir soumis des « documents faux ou trompeurs ». « Je ne pense pas que c’est le premier contact qu’un futur citoyen québécois doit avoir avec son pays d’accueil, affirmet-il. Le MIFI fait peur au monde. »
« Pas juste des bouts de papier »
M. Devismes se voit comme le candidat qui a perdu « à la loterie » et qui est tombé sur l’agent « qui a décidé d’être strict et de faire du zèle ». « Je n’ai pas envie d’être le Che Guevara de l’immigration, mais à un moment donné, il faut le dire qu’il y a un problème dans le système. »
Pour lui, ces misères administratives constituent un manque de reconnaissance à son égard. « Ça fait bientôt huit ans que je suis ici, j’ai toujours payé mes impôts, ma femme et mon enfant sont québécois, je suis impliqué dans une ligue de rugby, je fais un métier où il y a une pénurie… J’ai l’impression d’être un sous-citoyen », a dit M. Devismes, qui déplore ne pas avoir été convoqué en entretien, comme le permet la loi, pour s’expliquer au MIFI.
Il a eu envie de plier bagage et de retourner en France, mais sa conjointe l’a convaincu de se battre pour continuer la belle vie qu’ils se sont bâtie ici. « On est déterminés à montrer l’absurdité de la situation, de ce système qui manque d’humanité et d’empathie », a poursuivi celui qui a fait appel, la semaine dernière, du refus de son CSQ.
« On n’est pas juste des bouts de papier, il y a des humains derrière les numéros de dossier. »
Au cabinet de la ministre, on affirme préparer une réponse à la lettre du député. Si rien n’est fait, Félix Devismes devra quitter le pays à la fin mai.