Les États sont dans l’obligation de combattre les changements climatiques
Ils ont le devoir de défendre les droits de la personne auxquels ils ont adhéré dans le cadre de conventions internationales
Le 20 mars 2024, le Centre international de droit comparé de l’environnement (le CIDCE) a produit un mémoire de l’amicus curiae auprès de la Cour internationale de justice (la CIJ), qui a été appelée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) à rendre un avis consultatif sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques. Cet avis consultatif devrait être rendu plus tard cette année ou l’an prochain. L’auteur de ces lignes fait partie d’un comité international de 14 juristes provenant de six pays différents qui ont préparé le mémoire de 67 pages du CIDCE.
Dans ce mémoire, le CIDCE soutient que le droit international général prévoit d’emblée les obligations pour les États de combattre les changements climatiques en s’appuyant d’abord sur un des principes fondamentaux les plus anciens du droit international, à savoir la souveraineté de l’État. En effet, la souveraineté de l’État qui implique le plein exercice de la puissance publique sur un territoire, sur ses habitants et sur ses ressources, y compris les espaces extracôtiers qui relèvent de son autorité, est menacée par les changements climatiques causés par les émissions anthropiques d’autres États.
Or, il est une règle de base du droit international qu’un État a le devoir de veiller à ce que des activités exercées dans les limites de son autorité respectent l’environnement dans les autres États et dans les zones qui ne relèvent d’aucune juridiction nationale. Les États ont notamment une obligation de prévenir les rejets de gaz à effet de serre eu égard aux effets de ces rejets dans l’Antarctique, qui joue un rôle fondamental dans le système climatique mondial, et dans le système océanique, qui joue un rôle majeur dans la protection du climat et dans l’existence même de nombreux États insulaires que les États de la communauté internationale se sont engagés à protéger dans le cadre de l’accord sur le traité international de protection de la haute mer de 2023.
Le CIDCE rappelle à la CIJ que l’effet des changements climatiques peut porter atteinte aux éléments constitutifs de la souveraineté de l’État, tel le territoire de l’État qui peut être affecté par l’érosion des zones littorales, par la désertification, par les événements météorologiques extrêmes ou même pas sa submersion dans le cas de certains États insulaires, ce qui pourrait être susceptible de mener à la création d’un éventuel statut d’apatride climatique ou à la survivance fictive de certains territoires nationaux qui pourraient disparaître.
La population, cet autre élément de la souveraineté de l’État, subit les effets du réchauffement planétaire, sur le plan des risques pour la santé, des nouvelles pathologies susceptibles de se présenter, de la privation de l’accès à des ressources essentielles pour la vie en société, ce qui minera la capacité d’adaptation aux changements climatiques de certaines populations qui seront susceptibles d’être contraintes à effectuer des mouvements migratoires.
Outre les obligations issues de la règle de la souveraineté de l’État en droit international public, il y a celles qui sont issues du droit international de l’environnement, plus spécifiquement du droit international des changements climatiques, qui s’articule autour de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992 et de l’Accord de Paris de 2015.
Il est important de noter que les obligations des États à l’égard des changements climatiques en vertu du droit international de l’environnement se fondent sur un certain nombre de principes dont certains remontent tout au début des balbutiements de ce droit nouveau, à savoir la Déclaration de la Conférence de Stockholm, en 1972, et dont plusieurs ont été codifiés en droit interne québécois en 2006.
Citons à cet égard le principe pollueurpayeur, le principe de prévention des dommages environnementaux transfrontières, le principe de précaution, le principe de l’évaluation de l’impact sur l’environnement, le principe de participation du public et le principe de responsabilité et de réparation des dommages à l’environnement, le tout sur un fond d’équité intergénérationnelle qui interpelle la génération actuelle qui doit agir pour assurer la qualité de vie et même la survie des générations à venir.
Les obligations des États à l’égard des changements climatiques procèdent également du droit international des droits de l’homme et des droits de l’enfant. Ce que le CIDCE souligne, à l’instar du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, c’est que les changements climatiques portent atteinte à l’exercice normal et effectif de ces droits, qui n’ont cessé de se développer depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948.
Droits de la personne fondamentaux
Ainsi, ce sont les droits de la personne fondamentaux suivants, protégés et garantis par plusieurs traités internationaux, qui sont menacés par les changements du climat : le droit à la vie, le droit à l’alimentation, le droit à la santé, le droit à l’eau, le droit à un logement convenable et même le droit à l’autodétermination.
Ainsi, les États ont-ils le devoir de défendre et de faire respecter les droits de la personne auxquels ils ont adhéré dans le cadre de conventions internationales, en gardant à l’esprit que les populations qui sont les plus susceptibles d’être touchées par le changement du climat sont les populations vulnérables de la planète, les populations pauvres, les femmes, les enfants, les peuples autochtones. Les États ont aussi, individuellement et collectivement, le devoir et la responsabilité d’assurer la qualité d’un environnement qui permette le plein exercice des droits économiques, sociaux et culturels de leur population.
Enfin, le CIDCE rappelle que les devoirs des États à l’égard de l’environnement, et plus spécifiquement du climat, ont été reconnus et affirmés par la propre jurisprudence de la CIJ et par la jurisprudence de juridictions internationales régionales en Europe, en Afrique et dans les Amériques et aussi par la jurisprudence des tribunaux nationaux de nombreux pays, dont les États-Unis d’Amérique, la France, le Pakistan, les Pays-Bas et la Colombie. Ces devoirs portent notamment sur l’adoption de lois et de règlements pour contrôler les émissions de gaz à effet de serre, pour atténuer les effets des changements climatiques et aussi pour obliger la préparation d’études d’impact avant de réaliser des ouvrages pouvant avoir un effet sur le climat.
Quant aux conséquences juridiques de ces obligations pour les États, notamment les 152 États en développement et, parmi eux, les 38 petits États insulaires en développement, le mémoire du CIDCE est d’avis que cellesci doivent être évaluées en fonction du droit au développement reconnu en droit international public et du concept de traitement spécial et différencié pour ce qui est de la responsabilité internationale des États et des mesures de réparation qui doivent être envisagées à leur égard.