Le Devoir

Rwanda, la mémoire de la douleur

Vues d’Afrique propose une journée thématique de commémorat­ion du génocide par le cinéma

- CAROLINE MONTPETIT LE DEVOIR

Fiacre avait 4 ans quand il a été tué, avec sa soeur Fidéline, au beau milieu d’un village du Rwanda. Les deux enfants ont hurlé toute la nuit en agonisant, avant d’être achevés par un homme du village, au petit matin. Cela, tous les villageois qui sont encore là s’en souviennen­t. De cette famille, qui fait partie des 800 000 morts du génocide des Tutsis, commis en 1994, il ne reste plus rien, pas une photo, pas une planche de maison, pas un souvenir, les génocidair­es ayant voulu effacer toute trace de leur existence.

Ces fantômes, le réalisateu­r belge Bernard Bellefroid est parti à leur recherche. Avec son film Une des mille collines, il redonne une histoire, une identité à cette famille de cinq disparus, le père, la mère et les trois enfants, au nom de tous les autres. Il filme les gacaca, ou tribunaux locaux, qui ont tenté d’élucider ces meurtres en opposant des voisins, presque des frères. Il mesure l’ampleur de la tâche de réconcilia­tion à travers un père dont les enfants ont été tués par un voisin, enterrés vivants, avant d’être dévorés par les chiens. Ce père accepte de pardonner au bourreau de ses enfants, parce que c’est la seule façon de surmonter cette épreuve. En braquant la caméra sur les victimes, mais aussi sur les génocidair­es, le film révèle les limites douloureus­es de la réconcilia­tion, mais aussi ses exploits.

Une des mille collines fait partie de la programmat­ion du festival Vues d’Afrique, qui célèbre ses 40 ans cette année. Toute la journée du 13 avril y sera consacrée à la commémorat­ion du génocide du Rwanda. Organisée en collaborat­ion avec Page Rwanda (Associatio­n des parents et amis des victimes du génocide contre les Tutsis du Rwanda), elle prévoit la projection de trois films et une discussion avec les réalisateu­rs.

Le pouvoir d’une chanson

Parmi ces histoires hallucinan­tes de violence, de destructio­n, de souffrance, au milieu des cris et du sang versé, on retrouve, contre toute attente, le chanteur de country québécois Patrick Norman et son célèbre tube des années 1980 Quand on est en amour.

Très connue au Rwanda en 1994, cette chanson toute simple a servi de phare et de réconfort pendant le génocide, a aidé des Tutsis à tenir durant leurs heures les plus atroces. C’est ce que raconte le film Patrick Norman au Rwanda. Le devoir de mémoire, également projeté dans le cadre du festival.

Tout a commencé lorsqu’une femme a un jour approché Patrick Norman pour lui dire que cette chanson lui avait fait du bien au moment où toute sa famille était en train de se faire assassiner. « Cette femme m’a confié qu’elle chantait la chanson en boucle dans sa tête, cachée, pendant que sa famille se faisait massacrer », raconte le chanteur, aujourd’hui septuagéna­ire.

Bouleversé par cette déclaratio­n, Patrick Norman décide de se rendre au Rwanda. C’est un voyage qui changera sa vie. Le film, réalisé par Charles Domingue, raconte cette visite, tout en remontant le fil du génocide de 1994.

Avec sa prémisse étonnante, ce film fait un compte rendu du génocide à travers de nombreuses entrevues. Accompagné de sa blonde et de sa guitare, Norman effectue une tournée des villages, et sa chanson fait souvent monter les larmes aux yeux de ceux qui l’écoutent. On comprend alors que, quand on a tout perdu, les notes d’une musique, des mots d’espoir, tout simples, trouvent leur but.

« Si un jour, tu sens que dans ta vie plus rien ne t’appartient / En bohème, tu erres dans la nuit, apaisant ton chagrin / Souviens-toi qu’il y a toujours quelqu’un qui n’attend que ta main / Ouvre grand ton coeur, ne cherche pas ailleurs, écoute ce qu’il te dit / Ne laisse pas passer la chance d’être aimé / Le coeur devient moins lourd / quand on est en amour ». Avec cette chanson, coécrite en 1984 avec Robert Laurin, Patrick Norman ne croyait sûrement pas si bien dire. En visitant le Rwanda avec sa conjointe, il mesure l’ampleur des conséquenc­es du génocide, « atteint ses limites » lorsqu’il visite le Mémorial du génocide du Rwanda, à Kigali, particuliè­rement la salle rendant hommage aux enfants victimes. Devant cet innommable massacre, le film impose une réflexion sur le pouvoir de la musique et de la chanson.

Participer­ont aussi à la discussion les réalisatri­ces du film Après coup, Amélie Mutarabayi­re Schafer et Susan Solomon. Le film explore la persistanc­e du traumatism­e avec à la fois des victimes du génocide des Tutsis au Rwanda et des victimes de l’Holocauste. Il sera aussi projeté au cours de la journée.

Vues d’Afrique

Au Méga-Plex Guzzo Marché central, du 11 au 21 avril.

 ?? PHOTO FOURNIE PAR VUES D’AFRIQUE ?? Une des mille collines, de Bernard Bellefroid, redonne une histoire et une identité à une famille rwandaise dont les cinq membres ont disparu, le père, la mère et les trois enfants, au nom de tous les autres.
PHOTO FOURNIE PAR VUES D’AFRIQUE Une des mille collines, de Bernard Bellefroid, redonne une histoire et une identité à une famille rwandaise dont les cinq membres ont disparu, le père, la mère et les trois enfants, au nom de tous les autres.

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