Des bayous près de chez nous
Raphaël Dénommé, de Varennes à La Nouvelle-Orléans, s’est trouvé une Amérique à son goût
Est-ce la ligne de guitare un peu marécageuse qui fend des eaux que l’on jurerait stagnantes dans Sirène d’eau douce, la chanson d’ouverture de cet album au titre pas très « full keb » en soi, Delta Keb Mojo ? Les inflexions et le timbre ont du Lafayette dans le corps. L’anglais et le français qui se côtoient comme si c’était normal : « I’m a long way from your love / et si loin de tes bras » ? La question se pose, et la rencontre au Devoir, au neuvième étage, fournit l’occasion : Raphaël Dénommé, né à Varennes, établi à Sainte-Margueritedu-Lac-Masson, a-t-il de l’Acadien déporté à Lafayette dans l’histoire familiale ? « Eh non. Pas du tout. On me l’a demandé souvent ! »
Collection de disques dans la famille, alors ? « Absolument pas. J’ai trouvé ça tout seul, quand j’étais jeune. » Il a 29 ans. Quand on a vu le jour au beau milieu des années 1990, que toutes les musiques sont accessibles en CD, que le Web évolue à vitesse grand V et permet tous les approfondissements, on peut fort bien se définir hors de l’actualité musicale. « Tu découvres les Stones, tu trouves des extraits en noir et blanc d’une émission de télé où l’on voit Brian Jones et les autres gars du groupe complètement subjugués par un contrebassiste immense, extraordinaire, qui s’appelle Howlin’ Wolf. Tu fais : wow ! C’est bon, les Stones, mais lui ! Et puis tu découvres Muddy Waters… Et puis tout ce qui s’est fait à Chess Records. Ouf. L’effet que ça m’a fait, ça se dit pas. Ça se ressent. »
Un Saint-Laurent pour Mississippi
Comme quoi ça se peut, encore maintenant. Cela arrivait beaucoup dans les années 1960. Ces épiphanies de jeunes musiciens, où qu’ils soient. Un John Fogerty, de Berkeley, en Californie, se fit connaître en chantant Born on the Bayou et Green River avec son groupe Creedence Clearwater Revival. L’authenticité était affaire d’intention, de passion. Que le dénommé Raphaël ait un fleuve Saint-Laurent pour Mississippi n’empêchait rien. « Il y a juste moins d’alligators. » Et le jeune homme de raconter comment, avec peu ou pas de sous, « à 20 ans, avec [s]on pack sack et [s]a guitare », il est parti dans le sud du Sud des États voir s’il y était.