Dans le sillon de nouveaux fleurons du Québec inc.
Le gestionnaire de portefeuille montarvillois Medici réunit dans un livre les histoires de cinq entreprises québécoises à succès
Modestie et authenticité. Voilà deux éléments qui distinguent ce qu’on pourrait appeler le rêve québécois du fameux rêve américain, selon Carl Simard et l’équipe de gestion de portefeuille stratégique Medici, dans un livre qu’ils publient eux-mêmes ces jours-ci sous le titre Dans les sillons de fleurons québécois.
« Dans le modèle québécois, ton entreprise est une famille », explique le président et cofondateur de Medici, Carl Simard, que Le Devoir a rencontré dans ses bureaux de Saint-Bruno-deMontarville, sur la Rive-Sud de Montréal. « Le modèle américain dit que l’argent est la solution à tout, mais ce n’est pas vrai pour le modèle québécois. Après avoir interviewé ces genslà, j’ai trouvé la distinction : ils sont authentiques, transparents. Ils ont une vision humaine des affaires. »
Un Québec inc. 2.0 ?
« Ces gens-là » sont les grands patrons de cinq entreprises québécoises dont les preuves ne sont plus à faire : le quincaillier Richelieu, les experts en entretien immobilier GDI, le franchiseur en restauration MTY, le géant de la plomberie et de la climatisation Groupe Deschênes et le spécialiste de logistique en camionnage ISAAC Instruments.
Ils forment une sorte de relève au Québec inc. original, dont l’héritage s’est en partie étiolé ces dernières années. On ne peut plus parler de Bombardier ni de Rona en 2024 comme on le faisait il y a 20 ans… Leurs remplaçants au sein des fleurons entrepreneuriaux québécois renforcent dorénavant un modèle axé sur la croissance, mais pas à tout prix. Ce que les gens de Medici appellent « un capitalisme humain ».
« Ces gens viennent de milieux modestes, mais avaient l’ambition de connaître du succès en affaires », poursuit Carl Simard. « On le remarque dans la gestion de portefeuille — il n’y a pas si longtemps, on trouvait très peu de millionnaires au Québec : l’argent était un péché. On a fini par régler ce problème dans les années 1960 et 1970, puis on a eu le régime d’épargne-actions de Jacques Parizeau. Le REA, ç’a été génial. »
Jacques Parizeau, alors ministre des Finances du Québec du gouvernement de René Lévesque, a annoncé la création du REA dans l’énoncé du budget provincial de l’exercice 1979-1980. Ce programme voulait favoriser l’investissement de l’épargne des ménages dans les entreprises québécoises. Ce régime a permis à des épargnants québécois d’investir dans plus d’une centaine d’entreprises du Québec, dont plus d’une vingtaine continuent d’être des fleurons de l’économie de la province : CGI, Metro…
Le REA avait aussi une vocation éducative : il voulait montrer aux Québécois qu’il était possible de faire fructifier leur épargne en achetant des actions, préférablement celles d’entreprises québécoises. De ce programme est née une génération d’épargnants qui sont aujourd’hui des clients des firmes de gestion de portefeuille comme Medici.
« Nos régimes de retraite ne sont plus si “étatisés” que ça, et il y a de moins en moins de régimes de retraite à prestation déterminée. En revanche, nous avons des sociétés de gestion qui sont excellentes — et c’est exceptionnel », affirme Carl Simard, qui a fondé Medici avec sa conjointe, Dany Foster, dans un appartement en 2008. L’entreprise de près de 20 employés gère aujourd’hui des actifs d’une valeur de 1,8 milliard de dollars.
Des défis à l’horizon
Illustrée comme dans le livre de Medici, la gestion de portefeuille peut sembler étonnamment facile. Les cinq cas présentés comme des fleurons du monde québécois des affaires qui occupent tout l’espace sont certainement le côté le plus lumineux de la profession.
En effet, tout n’est évidemment pas si simple. Le lecteur averti aura d’ailleurs pris note des défis soulevés par le gestionnaire montarvillois que ces cinq entreprises devront surmonter si elles souhaitent prolonger leur succès.
Le plus important de ces défis est celui d’une saine gouvernance durable — plus particulièrement d’une bonne planification de la relève. Remplacer le principal dirigeant d’une entreprise, qui est souvent son fondateur, n’est jamais une mince affaire. Parlez-en à Apple, à Disney ou à ces autres multinationales qui ont dû rapatrier leur ancien grand patron pour éviter la catastrophe provoquée par leur départ… « Il suffit souvent de quelques mauvaises décisions de gérance pour rompre le lien de confiance avec plusieurs collaborateurs dont l’engagement demeure essentiel à l’avancement de l’organisation à long terme », avertissent les gens de Medici dans leur livre.
Cet avertissement servi à cinq fleurons québécois vaut aussi pour l’ensemble de la communauté d’affaires du Québec. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante calculait l’an dernier que 76 % des propriétaires de PME au pays prévoient quitter leur poste au cours des 10 prochaines années. Ce sont plus de 2000 milliards de dollars en actifs commerciaux qui sont susceptibles de changer de mains durant la décennie à venir.
Il ne manquera pas de demande pour des dirigeants expérimentés, et il faudra bien les former d’ici là. Citer des exemples d’entreprises à succès est sans doute un pas dans la bonne direction. Aider les investisseurs, petits et grands, à reconnaître ces entreprises, ainsi que les raisons qui ont permis à leurs dirigeants d’en faire des fleurons de l’économie québécoise l’est tout autant.
C’est en tout cas ce que Dans les sillons de fleurons québécois tente de faire. En toute modestie, bien entendu.
Ces gens viennent de milieux modestes, mais avaient l’ambition »
de connaître du succès en affaires
CARL SIMARD