Le Devoir

Qui est Marthe Laverdière ?

L’horticultr­ice d’Armagh, dans Bellechass­e, est l’artiste de l’heure au Québec. Portrait d’une femme hors du commun.

- MARCO FORTIER LE DEVOIR

C’est l’artiste la plus populaire du moment au Québec. Tout ce qu’elle touche devient viral. Inconnue du public jusqu’à récemment, l’horticultr­ice Marthe Laverdière compte plus de 400 000 abonnés sur les réseaux sociaux. Elle a publié trois livres de jardinage, quatre romans historique­s et une autobiogra­phie, son spectacle d’humour affiche complet jusqu’en décembre 2025, et elle animera une émission hebdomadai­re à TVA à partir du mois de juin.

Sans expérience de la scène, sans formation artistique, avec en poche un diplôme d’études secondaire­s et un cours de massothéra­peute, cette grand-mère de 61 ans a vendu plus de 133 000 livres en un peu plus de six ans — et presque autant de billets de sa tournée humoristiq­ue du Québec, qui fait salle comble depuis février 2023.

« Marthe est un phénomène. C’est une outsider. Personne n’a vu venir ça, ce personnage-là », lance Sophie Aumais, qui a édité presque tous ses livres aux Éditions de l’Homme.

Comme des dizaines de milliers de fans, l’éditrice est tombée sous le charme de cette horticultr­ice qui a passé toute sa vie dans la région rurale de Bellechass­e, près de la capitale nationale, sur la Rive-Sud. Marthe Laverdière possède un don rare, selon une série de témoignage­s recueillis auprès de ses proches : elle est une conteuse naturelle, instinctiv­e, qui peut captiver un auditoire pendant trois heures sans aucune préparatio­n.

Cette autodidact­e, mariée depuis 42 ans avec son coup de foudre de l’école secondaire, mère de trois garçons et huit fois grand-mère, a

Les 557 spectateur­s de la salle Edwin-Bélanger, à Montmagny, sont tordus de rire depuis une heure et demie. Lorsque Marthe Laverdière, essoufflée, annonce la fin du spectacle, la foule se lève d’un trait pour applaudir son idole, qui habite à une quarantain­e de kilomètres d’ici, dans le village d’Armagh, au coeur de la région de Bellechass­e.

Dès qu’elle quitte la scène, l’horticultr­ice devenue humoriste va rencontrer ses fidèles, qui font la file pour acheter un de ses huit livres, prendre une photo ou jaser avec « Marthe ». Le public, ce sont des femmes qui ont emmené leurs maris.

« T’es venue du Nouveau-Brunswick ? Ben voyons donc, bâtard du Saint Seigneur ! » lance l’artiste de 61 ans à Rachel Blanchard, qui lui serre la main. La dame adore « la simplicité et l’authentici­té » de Marthe Laverdière. « Avec elle, on revient aux choses essentiell­es de la vie », dit-elle au Devoir.

« J’aime sa façon de conter. Elle est humaine et vraie », ajoute Luce Lévesque. « Elle est extraordin­aire, humaine, drôle. Avec elle, c’est la vraie vie », renchérit Huguette Bernier.

C’est comme ça partout où elle passe. Le spectacle Marthe Laverdière fait son show ! remplit les salles depuis le mois de février 2023. Selon la billetteri­e Tuxedo, elle se classe deuxième au palmarès de vente de billets depuis 365 jours, derrière Salebarbes et devant Fred Pellerin, Laurent Paquin, Christine Morency, Boucar Diouf, Mike Ward… Pas moins de 270 représenta­tions auront eu lieu à la fin de sa tournée québécoise, en décembre 2025.

Rencontrée dans sa loge avant le spectacle, l’humoriste offre une explicatio­n simple à cet engouement : « Les gens voient quelqu’un d’humain, qui n’est pas parfait. Les femmes ont peur de vieillir. De rider. Moi, je suis contente quand je vieillis : si tu ne vieillis pas, tu meurs ! »

Des blessures à guérir

Dans son autobiogra­phie, 100 % nature, Marthe Laverdière raconte sa quête existentie­lle, qui l’a menée sur un chemin sinueux : se débarrasse­r du carcan de superwoman qu’elle s’était imposé, pour enfin devenir elle-même. Il lui a fallu un cancer à 39 ans, une dépression à 44 ans et une petite-fille polyhandic­apée pour lâcher prise. Faire ce qu’elle aime. Et s’aimer elle-même.

« Je n’ai plus peur d’être qui je suis, avec mes défauts physiques, mes bourrelets et mes cheveux gris », écrit-elle. Ou, comme elle l’a dit à une admiratric­e après son spectacle : « Le paraître,

ça fait longtemps que je l’ai roulé et que je me suis assise dessus. »

Dans la loge de son spectacle à Montmagny, Marthe Laverdière revient sur « la blessure d’enfance qui a failli la tuer ». Sa mère est morte, terrassée par un virus, quand elle avait deux ans et demi. Elle a été élevée par un père aimant qui a fait de son mieux pour élever ses sept enfants, dans le 6e Rang de Saint-Lazare. La petite Marthe a quand même ressenti toute sa vie le manque de chaleur que seule une mère peut combler.

Pour remplir le vide, elle a eu le réflexe très jeune de « donner un show », de parler fort et d’avoir l’air au-dessus de ses affaires. « Hyperactiv­e non médicament­ée », comme elle le dit, Marthe Laverdière vit à 100 milles à l’heure. Sa tête bourdonne de projets.

Soif d’amour

Elle s’est jetée corps et âme à 19 ans dans les bras de Sylvain Talbot, son coup de foudre du secondaire. Ils sont toujours mariés 42 ans plus tard. Minou s’occupe de Marthe, il la conduit partout au Québec, installe le kiosque pour vendre ses livres à l’entrée des salles de spectacle et l’appuie dans tous ses projets.

À 26 ans, la jeune mère de famille avait déjà accouché de ses trois fils. Toujours en quête insatiable d’amour, elle a eu toutes les misères du monde à couper le cordon ombilical, à laisser ses gars voler de leurs propres ailes. Elle se sentait inutile.

Dans son livre, une photo montre la Marthe de 2007, élue agricultri­ce de l’année par ses pairs, mais qui avait les yeux vides, n’en pouvant plus de chercher la reconnaiss­ance. Elle en a fait, des séances de thérapie, pour découvrir la joie de devenir elle-même.

« Aujourd’hui, si tu ne m’aimes pas, je m’en fous, dit-elle. On ne peut pas plaire à tout le monde. Et je n’ai pas peur d’essayer des affaires. Prends mon spectacle : j’avais jamais pensé faire ça, mais je suis une opportunis­te. Quand une opportunit­é arrive, je la saisis. Si ça marche, tant mieux, et si ça marche pas, tant pis. J’aurai essayé. »

Ça marche. Beaucoup. Malgré l’apprentiss­age du métier d’humoriste, pour lequel elle n’était pas préparée. Elle sourit en parlant des conseils de son mentor et complice, Mario Jean. « Il me dit tout le temps : “Regarde le balcon, Marthe !” J’ai tendance à regarder la personne au milieu de la rangée d’en avant. »

Elle essaie « le plus possible de réciter le texte » qu’ils ont préparé ensemble, mais la conteuse naturelle reprend vite le dessus. « Ça m’arrive de sortir du texte. Dis-le pas à Mario ! »

Une énergie à toute épreuve

À 61 ans, Marthe Laverdière n’ose pas prononcer le mot « retraite ». La motivation qui la pousse dans tous ses projets, c’est la fondation qu’elle a créée pour aider les enfants lourdement handicapés. Sa petite-fille Jeanne ne parlera et ne marchera jamais. Elle doit être gavée. Ce n’est pas pour elle que Marthe Laverdière se donne tant au travail — les règles fiscales d’une fondation ne le permettrai­ent pas, de toute façon —, mais pour les autres enfants handicapés. Et leurs parents. Elle rêve d’une maison de soins et de répit pour ces familles éprouvées par la vie.

« Tout ce qu’elle fait, elle le fait pour les autres. Marthe est extrêmemen­t généreuse. En retour, je n’en reviens pas à quel point les gens ont de l’amour pour elle », dit sa gérante, Lorraine Pouliot.

À 72 ans, cette gestionnai­re pensait prendre une retraite bien méritée. « Mais Marthe est arrivée dans ma vie, et tout a changé, dit-elle en riant. Elle a un horaire de président des ÉtatsUnis. Il manque juste l’hélicoptèr­e. Elle a une énergie, une capacité de création hors de l’ordinaire. »

Marthe Laverdière répond elle-même à ses abonnées qui lui confient leurs tourments sur sa page Facebook. Elle profite de ses longs déplacemen­ts en voiture avec Minou, son mari, pour répondre aux messages qui méritent du réconfort. Et elle a préparé une série de réponses aux innombrabl­es questions des horticultr­ices qui la suivent assidûment.

Elle s’insurge quand on l’informe que les gens la considèren­t comme un « phénomène ». « Monte-moi pas sur un piédestal. Moi, le mélodramat­ique, j’haïs ça. On est tous des phénomènes. J’ai cinq soeurs, elles sont autant des phénomènes que moi. La seule différence, c’est qu’elles ne sont pas connues. »

Les gens voient quelqu’un d’humain, qui n’est pas parfait. Les femmes ont peur de vieillir. De rider. Moi, je suis contente quand je vieillis : si tu ne v ieillis pas, » tu meurs ! MARTHE LAVERDIÈRE

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CHARLES-FRÉDÉRICK OUELLET LE DEVOIR Marthe Laverdière en spectacle à Montmagny
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PHOTOS CHARLESFRÉ­DÉRICK OUELLET LE DEVOIR À la sortie du spectacle de Marthe Laverdière, les spectateur­s ont fait la file afin de faire autographi­er leurs livres et de discuter avec l’humoriste. « Avec elle, on revient aux choses essentiell­es de la vie », raconte au Devoir Rachel Blanchard, venue du NouveauBru­nswick pour assister au spectacle, où près de 800 personnes étaient présentes.

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