Emmanuelle Pierrot remporte le Prix littéraire des collégiens
Le jury de près de 1000 cégépiens et cégépiennes a tranché : c’est l’écrivaine Emmanuelle Pierrot, pour son roman La version qui n’intéresse personne, qui a reçu les lauriers de la 21e édition du Prix littéraire des collégiens et des collégiennes, un des trophées les plus convoités dans l’univers des lettres québécoises.
L’écrivaine de 29 ans a remporté la palme avec une oeuvre « crue, honnête et sans tabous », selon les mots du jury, qui décrit « l’instinct de prédation tapi au fond de chacun de nous ». Il s’agissait de son premier roman.
Un tonnerre d’applaudissements a accueilli le triomphe de La version. L’autrice, visiblement sonnée par l’honneur, a remercié les jeunes de « l’avoir lu, de l’avoir cru, de l’avoir aimé. »
« C’est le plus touchant de tous les prix, a-t-elle indiqué, parce que ce sont des adultes en train de se créer qui le donnent. »
La version qui n’intéresse personne ancre son récit punk dans la froidure du Yukon, au sein d’une communauté anarchiste et libertaire capable d’une misogynie lapidaire à l’endroit des membres qu’elle ostracise. L’autrice a trempé sa plume dans sa propre expérience pour enfanter de ce roman irrigué à la sous-culture qui raconte la résilience de Sacha, 18 ans.
« En 2020, toutes les personnes que Sacha aimait lui ont dit que ce serait mieux si elle disparaissait, a souligné la lauréate au micro. Au lieu de disparaître, elle a existé plus fort que jamais en racontant son histoire. J’espère que ce que vous retiendrez de Sacha, c’est qu’un jour, quand quelqu’un qui vous aime, votre ex, ou votre chum, ou votre communauté, ou la société, ou votre famille, va vous dire de vous écraser, de vous conformer ou de disparaître, j’espère que ça va être votre call pour ne pas le faire et pour exister plus fort que jamais. »
Ce récit d’une jeune femme mise au ban dans l’isolement de Dawson City a résonné particulièrement fort auprès du jeune public. « C’est quelque chose qu’on a tous vécu à plus petite échelle au secondaire, indique Emmy Dumont, du cégep Champlain-St. Lawrence de Québec. Tu es dans une gang, et tout à coup, tes amis se retournent contre toi. »
Pour Maya Larouche, du cégep de Saint-Hyacinthe, c’est l’hypocrisie mise en lumière à des endroits où peu soupçonnent son existence qui l’a touchée. « Mis à part le côté féministe, le roman expose la dissonance cognitive qui existe dans des communautés en marge de la société qui prônent la liberté et l’intégrité, mais où il y a aussi de grandes violences. »
La voix de Sacha, anticonformiste, mais rejetée même parmi les marginaux, expose, selon les mots de l’autrice, « les systèmes qui sont en place, qui sont violents et qui mettent une pression pour qu’on ait honte ou pour qu’on s’haïsse nous-mêmes ».
Son récit a su mettre en mots la colère de Yekta Shabani, élevée dans l’étroit carcan des ayatollahs, en Iran, et exilée depuis quatre ans au Québec. « Je viens d’un pays très, très misogyne où être femme, ça passe proche d’être un crime. Ce livre-là, ça m’a fait sentir toutes les émotions que je sentais en moi, raconte-t-elle, mais que je n’étais pas capable de décrire. »
Emmanuelle Pierrot a su se démarquer parmi une cuvée littéraire particulièrement relevée.
« C’est la troisième année que je fais le prix et, pour vrai, cette année, tous les livres avaient le niveau pour gagner », souligne Élyse Dumouchel, du cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu. Jean-Christophe Réhel, gagnant du Prix littéraire en 2019 avec Ce qu’on respire sur Tatouine, revenait à la compétition avec La blague du siècle. Éric Chacour était aussi en lice avec son très remarqué Ce que je sais de toi, auréolé du prix Femina des lycéens en France l’automne dernier. Louis-Daniel Godin avait aussi reçu bon nombre d’accolades pour Le compte est bon. Mikella Nicol complétait la compétition avec son roman Mise en forme.
Emmanuelle Pierrot repart avec les honneurs — et la bourse Bourgie-Lemieux, d’une valeur de 5000 $. Son roman est aussi en lice pour le Prix des libraires et le Prix littéraire FranceQuébec.