Le Devoir

« On s’adapte à son univers »

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pratiqué 1000 métiers. Elle a été gestionnai­re de la ferme laitière familiale, comptable, massothéra­peute, conférenci­ère, cuisinière, propriétai­re de salle de réception, puis horticultr­ice exploitant des serres, écrivaine, humoriste et bientôt animatrice de télévision.

La carrière publique de l’horticultr­ice la plus populaire du Québec a commencé en 2016 : une cliente de son salon de massothéra­pie, qui filait un mauvais coton, lui a demandé de produire une vidéo pour la divertir. Marthe Laverdière a mis en ligne une capsule où elle émaillait ses conseils horticoles de références à des « graines » et à des « touffes ». La vidéo est devenue virale. Des dizaines d’autres capsules ont suivi.

« C’était grivois, mais d’une authentici­té, d’une simplicité et d’une générosité qui ont touché les gens. Marthe, c’est la matante préférée, celle qui s’intéresse au monde et à qui on vient se confier », dit son éditrice Sophie Aumais.

Un univers unique

Devant le succès des chroniques vidéo de Marthe Laverdière, les Éditions de l’Homme lui ont proposé d’écrire un livre de jardinage.

Cette tradition s’était perdue avec la toute-puissance du Web, mais l’influenceu­se aux dizaines de milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux a relevé le défi avec brio : elle a publié non pas un, mais trois tomes de Jardiner avec Marthe. Tous des succès vendus à plus de 10 000 exemplaire­s, comme son autobiogra­phie et ses quatre romans historique­s.

En dix ans d’édition, Sophie Aumais n’avait jamais travaillé avec une autrice comparable à Marthe Laverdière. Elle écrit ses livres la nuit, pendant ses insomnies. Chaque matin, elle envoie un nouveau chapitre à son éditrice, qui assemble le tout en respectant l’esprit du texte. Elle se permet même de raconter des épisodes marquants de sa vie dans ses livres de jardinage.

« Marthe, on la prend comme elle est. On s’adapte à son univers. C’est ses histoires, ses personnage­s, elle sait exactement ce qu’elle veut en faire, où elle les amène, par quoi ils doivent passer », dit Sophie Aumais.

Au-delà de la matante qui fait rire gras, cette catholique pratiquant­e raconte des histoires d’une grande profondeur, inspirées par ses propres épreuves — dépression, cancer, petite-fille polyhandic­apée. Comme elle a aussi le don de faire jaser les gens, Marthe Laverdière connaît comme le fond de sa poche les anecdotes — d’hier et d’aujourd’hui — de son coin de pays, qu’elle met en scène dans ses romans historique­s.

Les guerres de clocher, les manigances des curés, les « filles-mères », les viols restés impunis : sa trilogie Les collines de Bellechass­e décrit le côté sombre de la vie à la campagne au siècle dernier. Mais la lumière revient toujours après les épreuves.

Sur scène, le ton est plus léger : elle s’étonne entre autres qu’une entreprise de jouets érotiques ait tenté d’en faire sa porte-parole.

Seule dans sa ligue

Son éditrice, son producteur de spectacles et sa gérante la comparent à un mélange de Fred Pellerin, Michel Barrette, Lise Dion et Jean-Marc Parent.

« Il n’y en a pas deux comme elle. Marthe n’a pas de compétitio­n. C’est rare de pouvoir découvrir une nouvelle artiste de scène qui a 60 ans », dit Emmanuel Reichenbac­h, de la section spectacle et télévision du Groupe Encore.

On rencontre le producteur dans son bureau du Mile End, à Montréal. Les étagères sont remplies de Félix et d’Olivier remportés par les artistes de l’agence. Des affiches des vedettes de la maison, dont Martin Matte, ornent les murs. Il n’y a ni trophée ni poster de Marthe Laverdière : elle vient tout juste d’entamer sa carrière d’humoriste. Mais elle impression­ne le producteur et son équipe.

« On avait entendu parler d’une horticultr­ice qui produisait des vidéos et racontait des histoires. On l’a invitée. Elle est venue s’asseoir avec nous dans la salle, là-bas. On a passé à peu près une heure avec elle. Quand elle est sortie, on s’est dit : “C’est une star, cette personne-là !” On a ri du début à la fin. Elle avait un magnétisme, un sens de la répartie. On était complèteme­nt charmés », raconte Emmanuel Reichenbac­h.

« Tout était dans sa tête ! »

En plus de donner des conférence­s, Marthe Laverdière avait commencé à faire une sorte de one-woman show dans de petites salles du Québec. Le Groupe Encore a demandé à un vétéran de la maison, Mario Jean, d’accompagne­r la nouvelle recrue pour l’aider à fignoler son spectacle.

L’humoriste d’expérience a eu la surprise de sa vie. « J’ai demandé à Marthe de me montrer ses textes : elle n’en avait pas. Tout était dans sa tête ! »

Marthe Laverdière improvisai­t sur scène durant deux heures en racontant des histoires qu’elle avait vécues. Seuls les noms des personnage­s avaient été changés. « Je lui ai dit qu’il faudrait ajouter des choses un peu fausses, dit Mario Jean en riant. Chaque fois, elle répondait la même chose : “Je peux vraiment dire ça même si c’est pas vrai ?” »

L’humoriste de 59 ans n’en revient pas de la vitesse à laquelle sa recrue a appris les rudiments du métier. Après un spectacle, il pouvait lui mentionner une douzaine de points à améliorer. Le lendemain, tout était réglé. Oui, Marthe Laverdière possède un talent brut, mais c’est une travailleu­se acharnée, souligne Mario Jean.

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