Un procès au pénal comme tribune politique
Donald Trump sera tenté de faire campagne depuis un tribunal de New York, un exercice non sans risque, toutefois, pour le populiste
L’événement est loin d’être anodin. Lundi prochain, pour la première fois dans l’histoire des ÉtatsUnis, un ex-président va entrer dans la salle d’audience d’un tribunal pour faire face à un procès criminel.
Après des mois d’instruction et plusieurs tentatives orchestrées par ses avocats pour repousser la date de cet affrontement avec la justice — et même tenter de la faire annuler —, Donald Trump va faire face durant plusieurs semaines, à New York, à un jury chargé de trancher sur sa culpabilité dans une affaire de pot-de-vin versé à une ex-actrice pornographique. Le paiement visait à maintenir dans l’ombre une relation adultère passée que le populiste ne voulait pas voir entrer dans sa campagne électorale de 2016.
Mais ce procès devrait aussi être utilisé par Donald Trump, candidat républicain à la présidentielle de 2024, comme tribune pour attaquer ses opposants démocrates et faire campagne, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du tribunal. Une instrumentalisation prévisible des déboires judiciaires du tempétueux politicien qui vise à rallier ses partisans à sept mois du scrutin de novembre, mais qui pourrait aussi produire des images susceptibles de se retourner contre lui.
« Donald Trump sait très bien comment tirer profit des situations délicates dans lesquelles il se trouve, et on peut s’attendre à ce qu’il suive le même chemin durant sa prochaine comparution, résume le spécialiste en communication politique Jeffrey McCall, joint par Le Devoir à l’Université DePauw dans l’Indiana. Trump va devoir se battre devant le tribunal de l’opinion publique en faisant attention de ne pas se montrer trop instable, désarticulé ou sur la défensive, car au bout du compte, l’image de lui assis dans une salle d’audience risque de lui être dommageable. Et plus le procès va durer, plus cela va être pire pour lui. »
Se poser en victime
Le républicain, sur lequel la justice américaine fait peser désormais 88 chefs d’accusation dans quatre dossiers criminels distincts, a largement utilisé ses mises en accusation pour soutenir sa nouvelle ascension sur la route de la Maison-Blanche, et ce, en se posant en victime d’une cabale téléguidée par Joe Biden et « l’État de l’ombre », prétend-il, cherchant à le faire taire.
En août dernier, la prise de sa photo d’identité judiciaire — d’ordinaire source d’humiliation pour une personnalité publique — par la justice du comté de Fulton, en Géorgie, où il fait face à des accusations de complot en vue de monter une fraude électorale, est devenue l’occasion pour lui de lustrer son image de candidat antisystème. Le cliché a aussi été un moteur de sa collecte de fonds destinée au paiement de ses factures d’avocats et au financement de sa nouvelle campagne présidentielle.
Or, si l’exploitation de ses passages devant la justice a trouvé un écho favorable jusqu’à maintenant auprès de sa base électorale, qui a placé le populiste en avance dans la course à l’investiture républicaine et qui va bientôt le porter officiellement au sommet de cette primaire, elle risque désormais de perdre en efficacité à l’approche d’une élection générale.
Placé dans les prochaines semaines au centre d’un prétoire, Donald Trump va par le fait même être éloigné du terrain électoral, tout en offrant à ses opposants et à ses détracteurs, y compris au sein de son propre parti, de quoi se faire attaquer.
« Ce procès va devenir de la publicité gratuite pour la campagne électorale de Joe Biden, qui depuis des mois se plaît à définir Donald Trump comme un politicien sinistre et irrespectueux des lois, dit Jeffrey McCall. Pour les républicains modérés, comme ceux qui ont soutenu la candidature de Nikki Haley [lors de la primaire], cette couverture médiatique répétée des problèmes judiciaires de Donald Trump pourrait renforcer quotidiennement la preuve voulant que, selon eux, il ne soit pas apte à revenir à la Maison-Blanche. »
Sondages
Début mars, un sondage mené par Ipsos pour le compte de Politico a révélé que plus de 50 % des électeurs américains étaient déjà arrivés à un verdict dans ce procès alliant fraude, pot-devin et ex-actrice pornographique en jugeant Donald Trump coupable de tous les crimes qui lui sont reprochés ici. Ce sentiment est partagé par 54 % des électeurs indépendants, dont l’influence sur les résultats du prochain scrutin présidentiel risque d’être cruciale.
Au passage, près du tiers des répondants ont également affirmé qu’une condamnation dans cette affaire viendrait compromettre un appui possible à l’ex-président le jour du vote.
En Virginie et en Caroline du Nord, un coup de sonde a mis en lumière qu’entre 31 % et 37 % des électeurs ayant participé aux primaires dans ces États il y a quelques semaines estiment qu’une culpabilité reconnue de Trump devant les tribunaux ferait en sorte qu’il perdrait à leurs yeux le statut de présidentiable.
À la veille du retour du populiste devant un tribunal de New York — après un passage remarqué dans les dernières semaines dans le cadre d’un procès au civil pour fraude qui a condamné sa Trump Organization à une amende de près d’un demi-milliard de dollars —, le principal intéressé préfère toutefois répéter ad nauseam que rien de tout cela ne va porter atteinte à sa candidature et que ce procès devrait même, selon lui, le rendre encore plus populaire, « parce que les gens savent qu’il s’agit d’une arnaque », dénonce-t-il.
Samedi dernier, il s’est une nouvelle fois comparé à Nelson Mandela — figure emblématique du mouvement antiapartheid et ex-président de l’Afrique du Sud — pour se poser en victime d’une répression qu’il considère comme comparable à celle qui a fait de Mandela le plus célèbre prisonnier politique du siècle dernier. « Je deviendrai avec plaisir un Nelson Mandela des temps modernes, ce sera mon grand honneur, a-t-il écrit sur son réseau social. Nous devons sauver notre pays de ces agents politiques se faisant passer pour des procureurs et des juges, et je suis prêt à sacrifier ma liberté pour cette noble cause. »
Avec le début de ce procès pénal, sans doute le seul à pouvoir être tenu avant la soirée électorale de novembre, Donald Trump va devoir composer avec « un nid-de-poule sur le chemin de la Maison-Blanche », poursuit Jeffrey McCall, tout en précisant qu’il est encore difficile de voir si ce rendezvous avec la justice va porter un coup fatal à sa campagne. « Mais peu importe ce qui va se produire durant ce procès, ce ne sera qu’un élément de plus parmi les nombreux autres événements qui vont compliquer davantage la période électorale d’ici novembre prochain », conclut-il.
Ce procès va devenir de la publicité gratuite pour la campagne électorale de Joe Biden, qui depuis des mois se plaît à définir Donald Trump comme un politicien sinistre et irrespectueux des lois JEFFREY McCALL