Le Devoir

La touche finale de Jean-François Rivest

« On joue comme on est » est le credo du chef, qui dirige Mahler samedi

- ENTREVUE CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

Samedi, à la salle Claude-Champagne, Jean-François Rivest dirigera l’Orchestre de l’Université de Montréal dans la 2e Symphonie de Gustav Mahler, un concert qui marquera le départ à la retraite de ce professeur qui, en tant que créateur de cet orchestre, a marqué l’histoire de la Faculté de musique.

« Alors que je n’étais pas un chef, j’ai appris à diriger tranquille­ment par moi-même », se souvient JeanFranço­is Rivest, grand violoniste, entré à la faculté pour enseigner le violon. « Je suis allé voir Robert Leroux, le doyen de l’époque, pour lui dire qu’il fallait créer un orchestre. » Le doyen lui a donné carte blanche. Trente années plus tard, Jean-François Rivest fait le décompte. « Il y a eu 25 production­s d’opéras mis en scène, 2000 étudiants passés par l’orchestre, dont beaucoup jouent dans les orchestres un peu partout au Canada et dans une vingtaine de pays. J’ai fait créer une centaine d’oeuvres et mis sur scène une centaine de solistes, des étudiants de la faculté choisis par concours. Je suis très, très fier d’avoir pu apprendre le métier à tout ce mondelà », résume le chef au Devoir.

Le pragmatism­e de la formation est capital aux yeux de M. Rivest. « Créer l’orchestre, c’était très bien, mais le but premier était d’apprendre un métier par de bonnes pratiques. Pour ce faire, j’ai mis sur pied toute une “machine profession­nalisante” autour de l’orchestre dans ce qui touche à la manière dont c’est géré, par exemple la musicothèq­ue ou les horaires. Je suis très sévère sur les retards et absences. Les étudiants apprennent à être ponctuels très vite, car j’enlève des points, et ça, dans le métier, on le sait. »

Cette mentalité de profession­nalisme est inculquée sous toutes les coutures, « que ce soit dans le jeu, les partielles [répétition­s par pupitre], les sectionnel­les [répétition­s par famille d’instrument­s], le concert, la façon de travailler et l’administra­tion ».

Avoir une constance de qualité est impossible dans un orchestre universita­ire comme l’Orchestre de l’Université de Montréal (OUM), puisque la qualité dépend du vivier estudianti­n. Pour le concert de la 2e Symphonie de Mahler, aucun problème de niveau à craindre, cependant. Plusieurs musiciens ont voulu marquer le départ de Jean-François Rivest en offrant leurs services, tels le trompettis­te Stéphane Beaulac ou le corniste Louis-Philippe Marsolais, eux-mêmes professeur­s. « Plusieurs anciens m’ont aussi tendu la main en me disant : “On veut jouer à ton dernier concert.” » Des étudiants de la Haute École de musique de Lausanne seront également de la partie dans le cadre d’un échange,

entrepris il y a quatre ans lors d’un Così fan tutte de Mozart en Suisse, auquel avaient participé huit jeunes Montréalai­s.

Il n’en demeure pas moins que la baisse de la pratique et de l’enseigneme­nt musical à l’école ont désormais des conséquenc­es très concrètes au sein de l’OUM et à la faculté dans son ensemble.

Chercher ailleurs

« La transforma­tion la plus radicale à laquelle je rêve, c’est que dans chaque école primaire il y ait une petite chorale et qu’on en fasse 15 minutes tous les matins. Ça changerait complèteme­nt la société », avoue le futur retraité.

« On sait que l’école Pierre-Laporte a renoncé à produire des musiciens sérieux il y a quelques années. PierreLapo­rte était une pépinière pour mes jeunes violoniste­s quand j’enseignais le violon. On les retrouve aux Violons du Roy, chez I Musici ou à l’OSM », constate Jean-François Rivest, qui se souvient avec plus d’acuité encore de sa « parenthèse », la période heureuse où il a habité au Saguenay.

« Dans les années 1980, j’étais violoniste à l’OSM et j’enseignais à McGill. Pourtant, à 25 ans, en 1985, j’ai tout plaqué pour aller à Chicoutimi enseigner le violon. J’avais besoin de nature après mes années à New York. Je n’en pouvais plus. J’ai été tellement heureux de passer sept années au Saguenay. Au Conservato­ire, on m’avait mis en relation avec les Écoles de musique régionales. Rien qu’à Arvida, une école rassemblai­t, entre le jeudi, le vendredi et le samedi matin, 2000 petits enfants. Et il y en avait une semblable à Chicoutimi, une à La Baie, une à Alma ! Cela faisait des milliers de petits enfants, dont les professeur­s venaient me voir avec leurs meilleurs. »

La conséquenc­e tombe sous le sens : « Parmi mes meilleurs étudiants, par la suite, j’ai eu des jeunes qui venaient de là. » Le constat, aujourd’hui, est brutal : « Maintenant, il n’y a plus rien de tout cela. Or, la qualité est souvent liée au nombre ; ça prend des mauvais sculpteurs, pour faire des bons sculpteurs ! »

Avec ses années de recul, JeanFranço­is Rivest voit « un changement drastique dans notre société ». « À l’Université de Montréal, la qualité fluctue, mais le niveau général n’a pas baissé. » La recette est simple : les étudiants étrangers. « Au Québec, il y a énormément moins de petits enfants qui font de la musique et énormément moins d’écoles de musique. Donc, dans le recrutemen­t, au niveau des études supérieure­s, la proportion de jeunes Québécois est moindre. Pour l’instant, c’est compensé par des étudiants étrangers. À McGill, ce sont beaucoup d’Asiatiques, alors qu’à l’Université de Montréal, ce sont plutôt des Français et des Américains du Sud. » « La proportion a augmenté de 300 % par rapport au moment où je suis rentré, il y a 30 ans », juge le chef.

Ce qui ne s’enseigne pas

La formation des chefs a été marquée par d’autres mutations. « La tendance numéro 1 est qu’il y a eu de plus en plus de femmes. Nous avons tout à fait encouragé cela ; c’est bien de rétablir un équilibre qui était un peu faussé », constate Jean-François Rivest qui lance, un brin moqueur : « Je ne parlerai pas de la tendance qui fait, désormais, qu’on ne doit toujours engager que des femmes cheffes, mais j’ai beaucoup contribué à valoriser les femmes. » Dina Gilbert, par exemple, est son élève la plus connue.

À l’Université de Montréal, on enseigne la direction au doctorat, un cycle de 3 ans. La formation « a toujours été très internatio­nale, Europe, Amérique du Sud, Russie. Il y a donc beaucoup de chefs formés ici qui oeuvrent ailleurs ».

La vision de Jean-François Rivest sur cet enseigneme­nt est limpide : « La pensée musicale ne s’enseigne pas. On peut enseigner à quelqu’un comment avoir une bonne technique, être efficace, avoir une meilleure méthode de répétition ou de préparatio­n. Mais on ne peut pas enseigner comment être un meilleur interprète ni comment avoir plus de leadership. En tant que professeur de direction, j’enseigne la technique et la méthode. Mais l’évolution du leader chez un étudiant est liée à ses propres expérience­s et je ne peux pas faire de miracles. »

Pour Jean-François Rivest cela a quelque chose d’universel. « Je ne vois aucune frontière entre un chanteur, un chef ou un violoncell­iste : on prend la musique, on la fait sienne et on la restitue. À partir de là, c’est le même processus. Seuls les techniques et l’instrument diffèrent. Il y a quelque chose de fondamenta­l dans la musicalité de quelqu’un, qui ne peut pas s’inventer tout d’un coup. On est musical ou non dans son sang. » De ce point de vue, le credo du professeur Rivest est constant : « Dans ma position de chef de l’orchestre, de professeur de violon, de professeur de direction et de professeur de certains séminaires avancés, je vois bien plus de 100 jeunes par an et mon discours est : “Développe-toi comme personne et comme musicien.” On joue comme on est. »

Après l’été 2024, Jean-François Rivest, retraité de l’Université, sera à la tête d’I Musici et acceptera des invitation­s comme chef, ici et là. « Je suis en pleine forme humainemen­t, physiqueme­nt, musicaleme­nt. Je n’ai pas d’autre poste et je n’en veux pas. » Il se réjouit de diriger de temps à autre au Pays basque et en Suisse et pense surtout à un privilège précieux : « Ouvrir une symphonie juste pour le plaisir de l’étudier, moi qui suis toujours en train d’étudier le prochain truc au programme. »

Mahler, Symphonie no 2

L’Orchestre de l’Université de Montréal et Jean-François Rivest. Avec Layla Claire et Mireille Lebel, le Choeur de l’Orchestre étropolita­in, le Choeur collégial de l’École de musique Vincent-d’Indy et le Choeur de la Faculté de musique de l’UdeM. À la salle Claude-Champagne, le samedi 13 avril, 19 h 30.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR «La transforma­tion la plus radicale à laquelle je rêve, c’est que dans chaque école primaire il y ait une petite chorale et qu’on en fasse 15 minutes tous les matins. Ça changerait complèteme­nt la société », confie Jean-François Rivest.

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