Nous vaincrons
Simon Shuster, Harper Collins, Paris, 2024, 480 pages
Il est 4 h 30 du matin, ce 24 février 2022. Vladimir Poutine décide d’envoyer ses centaines de milliers de soldats russes envahir l’Ukraine sur plusieurs fronts. Pour le maître du Kremlin, ce n’est qu’une question de jours avant de prendre le pays sous sa coupe. À Kiev, c’est la stupéfaction. Plusieurs gouvernements occidentaux pressent alors Volodymyr Zelensky de fuir, mais le président refuse l’exil. « Tu es un symbole, il faut désormais te comporter comme un chef d’État », se répète-t-il, comme pour mieux se convaincre que son avenir est, à partir de ce moment-là, scellé. Il prend conscience qu’il n’y a plus d’autre option. Il devra devenir chef de guerre.
Cet épisode crucial du début du conflit qui oppose Russes et Ukrainiens est rapporté dans le livre Nous vaincrons de Simon Shuster, qui dresse au fil des chapitres un portrait inédit de Zelensky après quatre ans passés à ses côtés, sur le front, dans le bunker présidentiel ou entre les murs de son quartier général. Le journaliste d’origine russo-ukrainienne, qui couvre l’actualité de la région depuis 2014, a joué un rôle privilégié puisque son ouvrage est le résultat de nombreux entretiens avec le président et son entourage et de confidences intimes faites par Zelensky.
Le correspondant nous fait d’abord découvrir l’individu derrière le président, car avant d’accéder à la fonction suprême en 2019, Zelensky était un comédien populaire. Ses connaissances des affaires de l’État se résumaient au scénario d’une série satirique dont il est le héros. L’homme de 45 ans que personne ne prenait vraiment au sérieux n’était visiblement pas prêt à porter le costume de président. Il s’engage toutefois durant les trois premières années de son mandat à lutter contre la corruption tout en se rapprochant des Occidentaux. Il promet la paix à son peuple. Néanmoins, l’invasion russe vient bouleverser ses aspirations et fait voler en éclats sa naïveté.
Shuster signe ici une redoutable enquête biographique au coeur des coulisses du pouvoir. Sous forme de journal de guerre, il montre la métamorphose d’un président qui n’a jamais cru en une invasion russe jusqu’aux premiers bombardements sur la capitale, et ce, malgré les alertes du gouvernement américain. On est littéralement aspiré par ce destin hors du commun aux accents churchilliens.
Entre l’ancien trublion des débuts et le chef d’État aux traits tirés, la transformation est radicale, souligne le reporter. Il décrit la bravoure de Zelensky, qui n’a pas hésité à sacrifier sa vie de famille pour la survie de sa nation. Tout n’est pas élogieux. L’auteur mentionne aussi son refus de la critique. Il a un besoin viscéral « d’être applaudi ». Aujourd’hui, le président ukrainien ne rit plus et voit son combat contre Vladimir Poutine comme une lutte existentielle pour la démocratie et la liberté.