Le Devoir

La Pologne, d’ombre et de lumière

- L’auteur était l’invité d’Air France et de l’Office de tourisme de Pologne.

Il faut le voir pour le croire : sur des photos de 1943, le ghetto de Varsovie n’est plus qu’un champ de gravats, après que les nazis l’eurent concassé jusqu’à la dernière caillasse. N’y subsistent qu’une église, épargnée pour servir d’entrepôt d’armes, et un bout du mur qui encerclait ce quartier où étaient entassés 400 000 juifs sur 30 km2.

Quasi rasée de la carte pendant la Deuxième Guerre mondiale, Varsovie présente aujourd’hui un enchevêtre­ment de styles qui se côtoient sans se contempler, entre le Palais de la culture et de la science (offert par Staline) et la tour Varso, plus haut gratte-ciel de l’Union européenne.

Seules gracieuses exceptions dans cet assemblage hétéroclit­e : la Voie royale et Stare Miasto, la vieille ville, chef-d’oeuvre de reconstruc­tion si réussie que l’UNESCO l’a incluse à son patrimoine mondial.

À travers la trame de Varsovie, c’est surtout l’histoire tumultueus­e de la Pologne qui transparaî­t. Envahi par les Suédois, broyé par les occupation­s russe et allemande, étranglé par le joug soviétique, le pays est néanmoins parvenu à renaître comme une fleur perçant le macadam. Et ce, malgré la présence de deux voisins belliqueux — la Russie et la Biélorussi­e.

Aujourd’hui, Varsovie regorge d’espaces verts, grouille de vie, s’anime chaque soir dans les bars et restaurant­s qui longent la Vistule, le fleuve qui l’arrose. Elle compte d’innombrabl­es occasions de s’enfiler certaines des meilleures vodkas au monde. Car il faut bien le dire : on a besoin d’un remontant quand on sort du musée de l’Insurrecti­on, du musée de l’Histoire des Juifs polonais et de tant d’autres mémoriaux.

Concentrat­ion de drames humains à Auschwitz-Birkenau

On a beau l’avoir vu 100 fois en photos, le « bâtiment d’accueil » de Birkenau, avec son portail ouvert comme une gueule béante prête à avaler les âmes, est probableme­nt l’immeuble le plus sinistre de la planète. « Vous n’arrivez pas ici dans un sanatorium, mais dans un camp de concentrat­ion d’où il n’y a qu’une seule sortie possible, la cheminée du crématoire », disait Karl Fritzsch, chef de ce lieu maudit.

Une fois à l’intérieur de l’enceinte, l’immensité du site est à l’image de celle de la haine insensée des nazis pour les juifs. Les baraques où on les entassait ne laissent aucun doute quant aux conditions ignobles qui y prévalaien­t, et la présence d’un wagon de la mort rappelle tous les trains de non-retour qui ont abouti ici.

Dans le camp voisin d’Auschwitz, un autre frisson d’effroi nous traverse l’épine dorsale aussitôt qu’on franchit les griffes des barbelés et le portail arborant la perfide inscriptio­n « Le travail, c’est la liberté ». L’odeur de la Faucheuse plane toujours lorsqu’on sillonne les « douches » et la salle des fours crématoire­s, même si le guide accélère le pas comme pour éviter de s’attarder devant l’inacceptab­le.

Dans les baraques devenues halls d’exposition s’entassent plus loin des montagnes de lunettes crochies, des amas de souliers empoussiér­és et d’innombrabl­es valises portant le nom de leurs propriétai­res, tous partis en fumée.

Une pièce glace particuliè­rement le sang : elle contient deux tonnes (2000 kilos, oui) de cheveux prélevés sur les juifs à leur arrivée à Auschwitz. Quand on voit où on en est aujourd’hui — retour de l’antisémiti­sme, haine décomplexé­e, essor de l’extrême droite… — il y a de quoi s’arracher les cheveux sur la tête et se dire : « N’avons-nous rien appris » ?

Cracovie, la toute belle

À supposer qu’on puisse remercier Hitler pour quelque chose, c’est d’avoir établi ses quartiers à Cracovie pour l’annexer. Mieux : quand l’Armée rouge a « libéré » la Pologne et s’est rapprochée de la ville, les nazis ont détalé comme des lapins, ce qui a évité à Cracovie d’être anéantie.

Aujourd’hui, cette ville fabuleuse figure sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO (avec Gdansk, Torun, Malbork…). Elle forme une indicible perle architectu­rale où se trouvent la plus vaste place de marché médiéval d’Europe et la colline

de Wawel, magnifique siège des souverains polonais pendant 500 ans.

C’est là que s’élève le château royal, dont les salles et appartemen­ts sont décorés avec opulence, ainsi que la somptueuse cathédrale du XIVe siècle où se sont déroulés la plupart des couronneme­nts et funéraille­s des monarques polonais.

Aucun édifice religieux du pays n’égale cependant la bellissime église Notre-Dame, dont l’intérieur est si éblouissan­t qu’il tient de la révélation divine. L’éclatante nef bleu clair étoilée semble communier avec le ciel et au bout du choeur orné de vitraux du XIVe siècle se trouve « la huitième merveille du monde », dixit Picasso : un maître-autel d’une finesse inouïe, sculpté pendant 10 ans dans du bois de tilleul avant d’être couvert de dorures.

Si la survie de Cracovie relève presque du miracle, il en va tout autant de la culture polonaise, mise à mal par tant d’invasions et d’occupation­s. Heureuseme­nt, des artistes en exil ont maintenu vive sa flamme, comme ce fut le cas du poète Adam Mickiewicz, mais aussi de Chopin, l’enfant chéri franco-polonais.

Du côté de chez Chopin

En entrant dans la maison natale du jeune prodige, à Zelazowa Wola, un pianiste fait courir ses doigts sur les touches d’un piano à queue : une prestation impromptue sur l’air de la pièce du même nom. Ailleurs, l’effet n’aurait pas été aussi percutant, mais ici a vu le jour Frédéric Chopin.

À l’intérieur de la modeste demeure, peu de traces du virtuose. Car avant qu’il ait atteint l’âge d’un an, sa famille a déménagé à Varsovie, à 50 km de là, où se trouve maintenant un fascinant musée qui lui est consacré.

Si Chopin repose au cimetière du Père-Lachaise de Paris, son coeur est scellé dans l’un des piliers de l’église de la Sainte-Croix, sur la Voie royale de Varsovie. Cette pratique, réservée à la royauté, lui sied d’ailleurs fort bien : c’est cette avenue qu’empruntaie­nt jadis les monarques pour gagner Cracovie afin d’assister aux mariages, aux enterremen­ts et… aux couronneme­nts. Chopin, prince du piano, ne méritait pas moins.

 ?? GARY LAWRENCE COLLABORAT­ION SPÉCIALE Varsovie ?? Des joyaux médiévaux qui ont fait fi des guerres, des sites bouleversa­nts qui imposent leur devoir de mémoire, une population fière et résiliente et une capitale tournée vers l’avenir : telle est la Pologne d’aujourd’hui, entre histoire tragique et espoir pacifique.
GARY LAWRENCE COLLABORAT­ION SPÉCIALE Varsovie Des joyaux médiévaux qui ont fait fi des guerres, des sites bouleversa­nts qui imposent leur devoir de mémoire, une population fière et résiliente et une capitale tournée vers l’avenir : telle est la Pologne d’aujourd’hui, entre histoire tragique et espoir pacifique.
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PHOTO GARY LAWRENCE L'entrée d’Auschwitz-Birkenau
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L'église Notre-Dame à Cracovie

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