Le Saint-Laurent, un univers plus grand que nature
Cela fait une bonne dizaine d’années que le projet a germé dans la tête de la journaliste et autrice Hélène Raymond. Cette idée qu’il fallait rendre ses lettres de noblesse au fleuve Saint-Laurent et à toutes les espèces qui y vivent. En résulte la signature du livre Portraits du Saint-Laurent. Histoires des pêches et récits maritimes par la journaliste et autrice Hélène Raymond. Un livre, quasi encyclopédique, qui dresse le portrait de notre garde-manger marin et des différents acteurs qui gravitent autour de l’industrie de la pêche. Un bel ouvrage de plus de 200 pages qui nous permet de réfléchir à notre rapport à ce fleuve qu’on tient peut-être souvent pour acquis.
Quel est votre lien avec le fleuve SaintLaurent ? Pourquoi avez-vous eu envie de lui consacrer un livre ?
J’ai un rapport particulier au fleuve. Je suis née à La Pocatière, dans le Bas-Saint-Laurent, et j’ai passé mes étés d’enfance et d’adolescence au bord du fleuve à Rivière-Ouelle, en face de cette immensité-là. Je viens aussi d’une famille où les vacances d’été ne se passaient pas à Toronto ou à Montréal. On allait plutôt du côté des Maritimes, de la Gaspésie, de la Côte-Nord… Ma mère a des origines gaspésiennes ; son père vient de la Gaspésie. Il n’y avait pas de pêcheurs dans ma famille, mais il y avait cet intérêt pour eux, pour le fleuve, puis pour les poissons.
Après, c’est certain que c’est mon travail à Radio-Canada qui a continué à faire grandir ce lien. Le fait de pouvoir aller partout sur le territoire, de suivre l’ouverture de la pêche aux crabes de la zone 17, d’avoir été sur les quais à Terre-Neuve après le moratoire [sur la pêche de la morue], ça m’a marquée.
Au fil des années, avec votre travail à la radio de Radio-Canada, où vous avez notamment animé pendant de nombreuses années une émission quotidienne consacrée à l’agriculture et à l’alimentation, j’imagine que vous avez été témoin de l’éveil des Québécois pour les produits marins d’ici.
D’un soleil à l’autre,
Oui, je l’ai constaté et je vois que ce n’est pas terminé. Il y a des ponts qui se construisent grâce à des initiatives comme Fourchette Bleue ou Mange ton Saint-Laurent ! Je pense que les gens sont de plus en plus fiers et conscients de la richesse qu’ils ont au Québec.
Pendant des années, on a tourné le dos au fleuve. On n’a pas appris à aimer le poisson parce que c’était l’aliment du vendredi, des jours maigres, c’était la punition. Mais c’est en train de changer.
On a souvent l’impression, quand on entend parler des produits du SaintLaurent, que c’est compliqué, entre les quotas, les exportations, les prix, les raretés, l’accessibilité… Est-ce que c’est une industrie qui est un peu embourbée dans toutes ces contraintes ?
Je ne sais pas si je peux aller jusqu’à dire « embourbée », mais je pense que c’est complexe, en effet. Ce qui est particulier, c’est qu’on a affaire à des espèces sauvages, on est dans un milieu dans lequel elles interagissent. Devant cette immensité et cette complexité, on a du mal à jauger rapidement de l’état des populations. On le constate en ce moment avec le déclin de la crevette nordique. Je crois que l’apport de la science est primordial pour avoir une vision macro de la situation.
Pour le reste, c’est peut-être compliqué, mais, l’important, c’est de redonner une voix aux pêcheurs. Il y a des gens qui ouvrent des brèches. Mais ça reste un système qui est extrêmement complexe et qui est mondialisé depuis toujours. On est dans ce modèle partout et, lui résister, c’est possible, mais ça prend des nerfs et de la patience.
Après 10 ans à être plongée dans ce sujet, qu’avez-vous appris de plus surprenant ?
J’ai découvert une espèce de détermination commune chez pas mal tout le monde : du milieu scientifique, de celui des pêches et de la part des principaux acteurs de l’industrie. L’idée qui veut qu’à partir du moment où on tend l’oreille, un micro, on entende des gens drôlement préoccupés, éveillés, qui souhaitent qu’on parle d’eux.
Sinon, ce qui m’a le plus surprise, c’est l’immensité du territoire de pêche, c’est gigantesque. De Tadoussac à Blanc-Sablon… c’est hallucinant de démesure, ce Québec-là ! Qu’autant de gens pratiquent toujours cette activité partout, ça me fascine. Ça ne fait pas une grosse densité de pêcheurs au kilomètre carré, mais ce sont des gens qui continuent d’animer le fleuve, de vivre autour de lui.