Le Devoir

Des bâtons dans les pattes des cafés canins

- BENOÎT VALOIS-NADEAU LE DEVOIR

Si les chiens sont plus nombreux que jamais dans les foyers québécois, il est toujours difficile, voire impossible, d’emmener toutou avec soi lorsqu’on a envie de casser la croûte. Les obstacles demeurent nombreux pour les cafés canins, établissem­ents nichés qui ont choisi d’ouvrir leurs portes au meilleur ami de l’homme, a constaté Le Devoir.

Le Café Lewis, à Victoriavi­lle, est nommé en l’honneur du chien du copropriét­aire Vincent Métivier, qui a ouvert le commerce il y a deux ans avec sa soeur Audrey. La bouille sympathiqu­e d’un bouledogue se retrouve également sur le logo de l’entreprise et est déclinée sur une panoplie d’accessoire­s vendus sur place.

Pourtant, aucune chance de croiser Lewis ou d’autres bêtes à poil à l’intérieur de l’établissem­ent, rue NotreDame, principale artère commercial­e de Victoriavi­lle.

La direction du café a renoncé à recevoir les compagnons canins de ses clients le mois dernier, après avoir été l’objet d’une plainte adressée au ministère de l’Agricultur­e, des Pêcheries et de l’Alimentati­on du Québec (MAPAQ).

Lors d’une visite subséquent­e, un inspecteur a indiqué que l’endroit « était placé sous surveillan­ce et risquait une amende de 1000 $ si un chien se trouvait sur place », explique Vincent Métivier.

La raison invoquée ? Même s’ils n’y avaient pas accès, les animaux se trouvaient dans la même pièce que le comptoir où sont préparés les grilled-cheese, sandwichs, salades et soupes qu’offre ce café « troisième vague ».

« Pour que ça passe auprès du MAPAQ, il ne faudrait pas qu’il y ait de préparatio­n complexe de nourriture sur place, et qu’on fasse l’assemblage des sandwichs dans une autre pièce », soutient Vincent Métivier. Ça pose un problème pour la qualité et la fraîcheur de nos produits. « Déballer un sandwich préparé, ce n’est pas la même chose que faire un sandwich sur place. »

S’il n’y a pas de réglementa­tion spécifique contre les cafés canins, le règlement (P-29) sur les aliments stipule que les animaux sont interdits dans tous les lieux où est exercée l’activité de restaurati­on.

Le MAPAQ affirme tolérer la présence d’animaux dans les « cafés animaliers », « puisque les consommate­urs qui fréquenten­t ces lieux sont conscients que la vocation de ces établissem­ents implique la présence d’animaux dans les aires de service d’aliments », a indiqué Yohan Dallaire Boily, porte-parole.

Ce type d’établissem­ent doit toutefois mettre en place une série de mesures pour diminuer les risques de contaminat­ion des aliments, notamment « des mesures raisonnabl­es pour que les animaux ne puissent accéder aux aliments mis à la dispositio­n du public ».

La configurat­ion des lieux n’avait pourtant pas posé problème lors de deux précédente­s visites de routine des inspecteur­s du MAPAQ, souligne Vincent Métivier.

« Durant tout le processus pour obtenir notre permis de restaurant, on a toujours été clairs sur notre intention que ce soit un café dog-friendly. Ça fait partie de nos valeurs et de notre mission. »

Le MAPAQ a préféré ne pas commenter le cas du Café Lewis, mais a confirmé que le dossier était connu de son service d’inspection et « que des interventi­ons en vertu de la Loi et du règlement sur les aliments ont eu lieu et sont toujours en cours ».

Courte espérance de vie

Camille Boulanger, créatrice du blogue On va se promener ?, répertorie depuis 2017 les endroits « amis des chiens » au Québec et dans les provinces voisines. Elle estime qu’environ 25 cafés canins ont ouvert leurs portes au Québec depuis sept ans, mais que seulement « 2 ou 3 » sont encore en activité.

« Ça va, ça vient, souvent ça ne reste pas ouvert longtemps, mais il y en a encore qui voient le jour de manière régulière. »

Le Café Emma, également à Victoriavi­lle, a aussi renoncé à sa vocation de café canin dans la dernière année. Dans son cas, c’est la facture élevée de son régime d’assurance responsabi­lité civile, qui est passée de 6000 à 10 000 $, qui a fait pencher la balance.

« On doit être assurés en cas d’incident, par exemple si un chien mord un client. [Avec la hausse des coûts], ce n’était simplement plus accessible pour nous. On a décidé d’enlever le volet café », résume Julie Gosselin, qui a fondé l’endroit avec son conjoint en septembre 2020, en pleine pandémie.

Le Café Emma est plutôt devenu un centre de jour pour les chiens, une garderie canine, où les maîtres peuvent laisser leur animal pour une demi-journée pour le faire jouer. Les clients peuvent toujours y prendre un café, mais ils doivent se le servir eux-mêmes.

La recette du succès reste encore à trouver pour les cafés canins. Le Café Arthur, à Laval, tente d’y arriver, malgré les embûches qui s’accumulent.

Installé depuis 2019 dans un ancien garage entièremen­t rénové, le restaurant a déroulé le tapis rouge pour accueillir la clientèle canine.

Des planchers chauffants s’assurent de garder au sec les coussinets des invités, tandis qu’un système de double porte empêche Fido et compagnie de prendre la poudre d’escampette. Des bols d’eaux sont à la dispositio­n constante des animaux, et la terrasse est conçue de telle façon que même un minuscule chihuahua ne puisse s’en échapper.

Exploiter un café canin s’accompagne de charges importante­s, rappelle Sébastien Bourget, qui a fondé l’endroit avec sa conjointe, Maria Bermudez.

« Juste en papier, en sacs à caca et en désinfecta­nt, ça doit nous coûter de 300 $ à 350 $ par mois », estime-t-il.

S’ajoutent à cela le prix des petites gâteries offertes aux visiteurs à quatre pattes et les frais pour aménager l’endroit de façon sécuritair­e et respectueu­se des normes du MAPAQ. Sans parler des prêts COVID à rembourser, de la main-d’oeuvre à trouver et de l’inflation galopante qui afflige le secteur de l’alimentati­on.

Le Café Arthur, qui offre un mélange de cuisine mexicaine et de classiques québécois, est aussi victime de son concept.

« Plusieurs personnes pensent que, s’ils n’ont pas de chien, ils ne peuvent pas venir, alors que ce n’est pas le cas », explique Sébastien Bourget. Faute d’achalandag­e suffisant, le restaurant n’est ouvert que trois jours par semaine, du vendredi au dimanche.

Près de cinq ans après son ouverture, le commerce peine encore à être rentable.

« C’est toujours un tirailleme­nt entre la sécurité des gens, la sécurité des chiens, le respect des règles du MAPAQ et l’argent. Ça me crée beaucoup de casse-tête. »

Malgré tout, Sébastien et Maria ne sont pas prêts à jeter l’éponge.

« Nous croyons tous les deux au potentiel de l’entreprise. On n’a jamais fait ça pour l’argent, on savait bien qu’on ne deviendrai­t pas riches avec ça. On l’a fait parce qu’on aime les chiens. »

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Installé depuis 2019 dans un ancien garage entièremen­t rénové, le Café Arthur, à Laval, a déroulé le tapis rouge pour accueillir la clientèle canine. Des planchers chauffants s’assurent de garder au sec les coussinets des invités, tandis qu’un système de double porte empêche Fido et compagnie de prendre la poudre d’escampette.

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