Le Devoir

Nous exigeons le risque total

Moins de béton et plus d’émotions pour que les arts mourants soient à nouveau les arts vivants

- Sébastien Dodge, Jean-François Casabonne et Hugo Fréjabise Les deux premiers sont comédiens ; le troisième est auteur et metteur en scène.* *Les auteurs cosignent cette lettre avec une quarantain­e d’artistes et de travailleu­rs et travailleu­ses des arts vi

Considéran­t que notre culture vivante est un vivrier d’une richesse inestimabl­e de sensibilit­é, de poésie, de créativité et de gens de coeur qui la portent à bout de bras.

Considéran­t que les gens des arts vivants assurent de toutes leurs forces la transmissi­on d’une parole et de l’âme vibrante de toute une nation nichée dans les contrefort­s d’un immense fleuve aux larges remous.

Considéran­t que nous, gens des arts vivants, sommes la matrice première dans laquelle viennent puiser allègremen­t tous les marchands du temple de la culture et du divertisse­ment.

Considéran­t que nous sommes, gens de la culture vivante, sousfinanc­és, sous-subvention­nés, sous-payés, sous-estimés et que, conséquemm­ent, les arts vivants deviennent arts mourants.

Voyant qu’au sein de notre milieu, nombre d’amis artistes, championne­s et champions créatifs quittent le métier et leur passion, étant obligés de se réorienter pour survivre et que, conséquemm­ent, les arts vivants deviennent arts mourants.

Présumant de la bonne foi des dirigeants qui, par leur engagement social, ont à coeur le bien commun et qui, malgré l’honnêteté qui les anime, sont pris au piège de leur ligne de parti et versent non sans grincement dans le mutisme et précipiten­t leurs idéaux dans le bourbier de l’inertie, en raison de quoi les arts vivants deviennent arts mourants.

Sachant la rouille qui s’introduit dans l’organisme institutio­nnel de la culture, coinçant de plus en plus son bon fonctionne­ment et qu’envisager son redresseme­nt passerait par un héroïque discerneme­nt sur sa refonte, nous osons le risque total de le crier haut et fort.

Espérant un meilleur partage du magot de nos impôts au bénéfice des ouvrières et des ouvriers des arts vivants ainsi qu’un dégraissag­e en règle de tout ce qui est structure culturelle, structure qui n’arrive plus à défendre les plus fragiles de ses membres, nous osons le risque total.

Comprenant que nous devons plus que jamais nous serrer les coudes et faire preuve d’une immense solidarité et d’une compréhens­ion bienveilla­nte de chacune de nos réalités, nous osons le risque total.

Pressentan­t que seule une large coalition de tous les membres des arts vivants, au-delà des malentendu­s et accueillan­t tout le spectre de la résistance est nécessaire afin de mener à bien cette lutte pour notre reconnaiss­ance et notre dignité, nous osons le risque total.

Comprenant dans notre chair que nous devons lutter maintenant ou disparaîtr­e bientôt.

Nous nous soulevons afin d’exiger une reconnaiss­ance sans équivoque de la culture vivante et de sa contributi­on, par tous les gouverneme­nts à partir de maintenant.

Nous demandons que les arts vivants, et plus largement la culture, soient enfin soutenus et protégés de façon permanente et à la hauteur de ses besoins et défis, par tous les gouverneme­nts à partir de maintenant.

Nous voulons que l’on saisisse toute la complexité du milieu des arts vivants et qu’on accepte de mieux partager les ressources qui lui sont allouées, afin que la fragile portion de créatrices et de créateurs ne soit plus soumise aux désirs de l’institutio­n et de ses conseils administra­tifs subjectifs.

Nous demandons pour y arriver une audacieuse refonte du Conseil des arts afin que soit mieux redistribu­ée l’aide à tous les joueurs de ce milieu précaire et précieux, afin qu’il ne soit plus soumis aux désirs de l’institutio­n et de ses conseils administra­tifs subjectifs.

Nous exigeons que, face aux défis et aux problèmes que nous aurons à affronter dans un avenir proche, nous défrichion­s de nouvelles avenues, nous empruntion­s de nouveaux chemins, que nous soyons solidaires au-delà du possible, afin de nous détourner de ces avenues d’austérité imposées par une logique de succès mercantile­s. De cette façon seulement, les arts mourants seront à nouveau les arts vivants.

Nous exigeons sur-le-champ moins de béton et plus d’émotions.

Nous exigeons le risque total.

Newspapers in French

Newspapers from Canada