Le Devoir

Pour un métro sanctuaire

La réponse aux plus vulnérable­s est le point de départ d’une meilleure sécurité pour tous

- Ted Rutland L’auteur est professeur agrégé à l’Université Concordia.

À la suite de deux incidents violents survenus dans une station de métro la semaine dernière, la sécurité des transports en commun fait de nouveau les manchettes. Même si le métro demeure extrêmemen­t sûr, il y a lieu d’examiner de près ce qui se passe sous terre et les lacunes des mesures de sécurité actuelles.

Les responsabl­es de la Société de transport de Montréal (STM) disent vrai lorsqu’ils affirment que le métro est extrêmemen­t sûr. Les crimes violents y ont atteint leur apogée à la fin des années 1980, puis ont amorcé une baisse qui a duré trente ans. Même si les actes criminels et violents ont considérab­lement augmenté depuis 2021 (une hausse de 63 %), et que cette situation doit être prise au sérieux, leur niveau demeure historique­ment bas.

La hausse des crimes violents observée depuis 2021 a amené bien des gens à revendique­r une présence accrue des policiers et des agents de sécurité dans le métro. Ces appels ont été entendus. Depuis la fin de 2021, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) achemine à ses postes de quartier la plupart des appels au 911 provenant des stations de métro, ce qui permet à la centaine de patrouille­urs de la section métro de se concentrer sur les enquêtes criminelle­s à l’intérieur du réseau.

La STM a également engagé davantage d’agents de sécurité, faisant passer son équipe de constables spéciaux de 170 membres en 2021 à 200 à la fin de 2023. De plus, en janvier dernier, elle a créé une unité de six « ambassadeu­rs de sûreté », et celle-ci devrait atteindre 20 membres d’ici la fin du printemps. Enfin, une nouvelle escouade mixte, l’Équipe métro d’interventi­on et de concertati­on (EMIC), fut introduite en novembre 2020, et 8 intervenan­ts psychosoci­aux de l’escouade civile, l’Équipe mobile de médiation et d’interventi­on sociale (EMMIS), furent déployés dans les stations de métro en décembre dernier.

Ces acteurs jouent divers rôles dans un modèle d’interventi­on policière « multinivea­ux », qui va de la simple interventi­on psychosoci­ale (diriger une personne en situation d’itinérance vers des services sociaux extérieurs) à la délivrance de constats d’infraction pour des « incivilité­s » (par exemple, dormir sur un banc) à la répression et à l’incarcérat­ion (en cas de véritable acte criminel).

Les limites de l’interventi­on policière multinivea­ux

Tous ces niveaux d’interventi­on policière visent le même objectif : préserver la sécurité ou le sentiment de sécurité de l’usager moyen du métro. La sécurité des personnes en situation d’itinérance et marginalis­ées est reléguée au second plan. En fait, ces personnes sont généraleme­nt considérée­s comme une menace à la sécurité des autres, alors qu’elles sont les personnes les plus susceptibl­es de subir des actes violents et criminels dans le métro et ailleurs.

Les organisati­ons communauta­ires sont les seules à accorder la priorité aux besoins des personnes marginalis­ées, mais leurs ressources sont de plus en plus limitées. Alors que Montréal a augmenté son budget consacré à la police et aux agents de sécurité, elle ne finance plus, depuis l’année dernière, les services des travailleu­rs de rue et de soutien. Selon le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérante­s de Montréal (RAPSIM), ce désinvesti­ssement entraînera la disparitio­n de 30 postes de travailleu­rs de rue et de soutien d’ici 2025.

La portée de cette approche à la sécurité est de toute évidence limitée, comme presque tout le monde le comprend maintenant. Alors que des personnali­tés de Québecor continuent de réclamer une présence policière accrue, il est largement accepté, y compris par le SPVM, que les problèmes de sécurité actuels ne sont que le symptôme d’autres problèmes sociaux que la police n’a pas la capacité de résoudre. Selon le nouveau consensus, la solution réside en un financemen­t accru des services d’hébergemen­t et des autres services sociaux, et c’est au gouverneme­nt du Québec qu’on demande de le fournir.

Et pourtant, ce nouveau consensus présente lui aussi certaines lacunes. Premièreme­nt, il continue à présenter les personnes vulnérable­s comme un problème, une présence à éliminer — bien sûr, de la manière la plus douce possible. Ensuite, les services sociaux sont perçus comme la pièce manquante du casse-tête de la sécurité, sans que personne se demande si les pièces actuelles (les énormes forces policières et de sécurité) sont bien les bonnes.

Ces deux suppositio­ns peuvent et doivent être remises en question. En fait, de nombreux modèles de sécurité les rejettent entièremen­t.

Vers une sécurité globale des transports

Au cours des trois dernières années, des villes comme San Francisco et Philadelph­ie et des organismes sans but lucratif tels que ACT-LA et TransForm se sont dotés de plans de sécurité globale des transports axés en priorité sur les besoins des plus vulnérable­s. Ces plans reconnaiss­ent que la police n’est pas toujours synonyme de sécurité. Pour bien des gens, notamment les personnes racisées et itinérante­s, la police est en fait une source d’insécurité, et sa présence peut interférer avec le soutien offert par les travailleu­rs de rue — deux constats qui ont aussi été effectués à Montréal.

Par ailleurs, plutôt que de chercher à faire disparaîtr­e les personnes vulnérable­s, les plans de sécurité globale visent à répondre à leurs besoins à l’intérieur des stations de transport en commun (entre autres endroits). Pour ce faire, des partenaria­ts avec des organismes communauta­ires peuvent apporter un soutien direct aux personnes marginalis­ées dans les stations, et des centres de services sociaux (avec des centres de consommati­on supervisée) peuvent même être introduits dans certaines stations.

Les usagers des transports en commun peuvent aussi être éduqués sur les façons de naviguer dans les environnem­ents socialemen­t diversifié­s. À l’aide de brochures, d’affiches et de vidéos, ces derniers peuvent apprendre à distinguer les véritables menaces à leur sécurité des situations simplement inconforta­bles. Il est aussi possible de leur enseigner des techniques de base pour désamorcer les crises et intervenir en tant que témoins.

L’objectif général de ces mesures, comme l’explique l’alliance ACT-LA, n’est pas de purifier les stations de transport en commun des dangers perçus, mais d’en faire des « sanctuaire­s », où la réponse aux besoins des population­s les plus vulnérable­s devient le point de départ et le vecteur clé d’une meilleure sécurité pour tous.

Ce dont Montréal a besoin, finalement, ce n’est pas une pièce manquante dans un casse-tête de sécurité tout fait. Ce dont Montréal a besoin plutôt, c’est une nouvelle orientatio­n.

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OLIVIER ZUIDA ARCHIVES LE DEVOIR À Montréal, la sécurité des personnes en situation d’itinérance et marginalis­ées est reléguée au second plan, dit l’auteur.

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