Le Devoir

Le Canada serait bien seul face à Trump

Face à un président des États-Unis incontrôla­ble, l’amitié mexicano-canadienne, déjà mise à mal, tiendra-t-elle ?

- Alain Vallières L’auteur est chargé de cours à l’Université de Montréal et chercheur au CERIUM.

Il est naturellem­ent impossible de tenir pour acquise l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Les sondages démontrent qu’il fait face à un fort taux d’impopulari­té dans la population et doit également faire face aux tribunaux de son pays, dont certains risquent de le juger avant les élections. Le rôle de victime a porté ses fruits jusqu’à ce jour, mais le personnage du condamné sera-t-il aussi bénéfique ?

Si d’aventure M. Trump devenait à nouveau président des États-Unis, sans pour autant affirmer qu’il serait antipathiq­ue au Canada, il demeure qu’on ne peut croire qu’il sera un ami du Canada. On se souviendra que, lors de son premier passage à la Maison-Blanche, M. Trump avait quitté une réunion du G7 tenue à Charlevoix en qualifiant le premier ministre Trudeau de malhonnête et de faible. Il n’y a certaineme­nt pas lieu de considérer qu’il a changé d’opinion depuis qu’il n’est plus à la tête de l’exécutif américain.

Il y aura certaineme­nt plusieurs chefs de tension entre les deux pays. Nul doute que le faible financemen­t de l’équipement du NORAD (Commandeme­nt de la défense aérospatia­le de l’Amérique du Nord) par le Canada, et plus généraleme­nt de son armée, sera de nature à créer des tensions et le courroux du président. On peut aussi ajouter que le Canada tente depuis plusieurs mois d’attirer des entreprise­s de ce côté de la frontière que les ÉtatsUnis aimeraient attirer aussi. Quant au bois d’oeuvre, il n’y a pas lieu de penser que les deux pays vont finalement trouver un accord.

Peut-on espérer que, dans le domaine commercial, le Canada puisse attendre de l’aide du troisième membre de l’ACEUM (Accord Canada–États-Unis– Mexique) pour tenir tête aux États-Unis dirigés par un président imprévisib­le. Après tout, le Mexique a également intérêt à faire en sorte que les accords commerciau­x de libre-échange soient maintenus et respectés. N’oublions pas qu’à la suite de l’arrivée de M. Trump à la présidence, il a été nécessaire de renégocier l’ALENA (Accord de libreéchan­ge nord-américain).

Les diplomates canadiens ont certaineme­nt effectué un travail de grande qualité au cours des négociatio­ns, mais l’actuel président du Mexique a déjà déclaré avoir fait pression sur M. Trump pour maintenir le Canada dans l’accord de libre-échange. La prochaine personne qui dirigera le Mexique soutiendra­t-elle le Canada de la même manière ? Rien de moins certain.

Le Canada a eu récemment l’occasion de soutenir le Mexique et de faire valoir son soutien indéfectib­le lorsque l’ambassade du Mexique à Quito a été envahie par les forces équatorien­nes. Normalemen­t, le Canada devait dénoncer cette violation du droit internatio­nal. S’il eût été normal que le Canada le fasse pour n’importe quelle ambassade, a fortiori devait-il le faire pour un pays allié. C’eût été approprié selon le droit internatio­nal, mais aussi en matière de relations internatio­nales. Le Canada n’aurait pas été seul puisque les pays de l’Amérique et l’OEA (Organisati­on des États américains) ont dénoncé cette attaque.

Or, les sites Web du premier ministre et de sa ministre des Affaires étrangères ne contiennen­t aucune déclaratio­n à ce sujet. Il y a toutefois eu une discrète déclaratio­n sur « X » par laquelle Affaires mondiales Canada déclarait être « profondéme­nt préoccupé par la violation apparente par l’Équateur de la Convention de Vienne » sans condamnati­on officielle. L’utilisatio­n du mot « apparente » a eu l’heur de choquer le président du Mexique, qui n’y a pas vu un grand soutien d’un pays que l’on penserait ami.

Le 9 avril, lors de sa conférence quotidienn­e, le président du Mexique a souligné le caractère ambigu de la position canadienne et a demandé qu’elle soit éclaircie. Il serait certaineme­nt approprié pour le premier ministre du Canada de faire une déclaratio­n claire dans laquelle il établirait que le Canada s’oppose fermement à cette violation des locaux diplomatiq­ues. Il serait aussi possible pour le Canada d’intervenir lors de la procédure devant la Cour internatio­nale de justice pour soutenir son allié et le droit internatio­nal. En l’état actuel des choses toutefois, cette interventi­on semble plus que douteuse.

Le discours oiseux du Canada tombe à un mauvais moment puisqu’aux yeux des Mexicains, il s’agissait d’un second camouflet en quelques mois.

Il est de notoriété publique que le Canada a réintrodui­t l’obligation de visas pour les ressortiss­ants mexicains. Même si cette obligation peut être désagréabl­e pour ces personnes, il demeure que cette décision relève entièremen­t des prérogativ­es d’un pays souverain. D’ailleurs, les États-Unis aussi imposent un visa aux Mexicains. Ce qui a posé problème pour les autorités mexicaines a été le moment où ce visa a été imposé, soit en période d’élection présidenti­elle. L’actuel président du Mexique a jugé que l’imposition d’un visa par le Canada pouvait être perçue par les électeurs comme un échec de son administra­tion de nature à guider les votes vers la candidate de l’opposition. Il est vrai que l’instaurati­on de ce visa n’est pas passée inaperçue dans ce pays.

Le président aurait souhaité que le Canada attende que l’exercice électoral soit terminé. D’aucuns au Canada pourraient répondre qu’il y avait urgence et qu’il n’était pas possible d’attendre plus. On pourrait toutefois rétorquer que, si urgence il y avait, ce nouveau visa aurait dû être imposé bien avant. Quoi qu’il en soit, l’imposition du visa n’a pas été appréciée par notre partenaire et a porté ombrage à nos relations. Ne pas soutenir le Mexique dans ce contexte ne fait qu’aggraver la situation.

L’amitié mexicano-canadienne ayant été mise à mal, il reste à espérer que le Canada n’aura pas besoin du soutien du Mexique pour faire face à un président des États-Unis incontrôla­ble. Il n’y aurait aucune raison pour un président du Mexique d’exposer son pays, alors qu’il sait ne pas pouvoir compter sur le Canada.

Un autre effet collatéral du silence canadien est possible. Le Canada a déjà essuyé deux échecs lors de procédures d’élection pour devenir membre non permanent du Conseil de sécurité. Or, lorsque le Canada présentera sa candidatur­e lors d’une prochaine occasion, il est à craindre que les pays du continent américain se souviennen­t que le Canada n’est pas un ardent défenseur du droit internatio­nal.

L’actuel président du Mexique a jugé que l’imposition d’un visa par le Canada pouvait être perçue par les électeurs comme un échec de son administra­tion de nature à guider les votes vers la candidate de l’opposition

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