La gloire de Carissimi
Au-delà du Gloria de Vivaldi, Bernard Labadie a fait revivre la musique de Giacomo Carissimi
La Chapelle de Québec et Les Violons du Roy présentaient sous la direction de Bernard Labadie, à Québec puis à Montréal, samedi, le célèbre Gloria
de Vivaldi. Mais « l’enrobage » du concert, et notamment l’oratorio Jephte
de Giacomo Carissimi, a laissé une empreinte marquante sur l’auditoire.
Lorsqu’on tente de se replonger dans le répertoire de l’Église romaine au milieu du XVIIe siècle, on pense forcément à l’incontournable Miserere
de Gregorio Allegri. Ce qu’on en sait, c’est que cette mise en musique du Psaume 51 date du règne papal d’Urbain VIII (1623-1644). Les spécialistes s’entendent pour la situer autour de 1638.
C’est en 1637 que Giacomo Carissimi est ordonné prêtre au Collège germanique des jésuites, à Rome. Il est intéressant à deux égards de mettre en regard Carissimi, son Jephté (que l’on suppose composé en 1648) et le Miserere d’Allegri.
Oratorio romain
Le premier plan montre la patte novatrice de Carissimi en ce qui a trait à la forme : un oratorio, ou mini-opéra sacré (récit en trois actes avec le combat, le retour du héros, puis sa douleur liée au sacrifice de sa fille). Récit, intervention des personnages et choeurs alternent avec grande efficacité. Le second plan montre la géniale transformation de l’héritage d’Allegri, concentré dans un saisissant choeur final « Plorate, filii Israël », dans lequel l’idée de lamentation (propre au Miserere) étirée dans le temps, mais sans redondance du « vieux style » d’Allegri, est portée à un rare niveau d’inspiration et de concentration.
De nombreuses oeuvres de Carissimi sont perdues, notamment deux opéras, dont un Sacrifice d’Isaac. Nous n’avons pas idée de ce dont nous avons été privés, mais ce Jephté nous rend amers. Très en contraste, Buxtehude est une musique tel un fleuve d’une foi rassurante. Dans les deux oeuvres, le ténor Philippe Gagné est admirable. D’ailleurs, l’idée de Bernard Labadie de tirer ses solistes de la Chapelle s’avère remarquable.
La pureté vocale de Myriam Leblanc sied à ce répertoire et, dans le Gloria de Vivaldi, son ornementation, de pair avec celle du hautbois, dans « Dominus Deus» est un bijou. La voix de Sheila Dietrich s’accorde en duo aussi bien avec celle de Leblanc (Magnificat) qu’avec celle de Marie Magistry (Gloria). Joé Lampron-Dandonneau est d’une belle clarté dans le Magnificat et Nathaniel Watson solide dans toutes ses interventions. Marie-Andrée Mathieu, avec une présence attachante, est une narratrice chaleureuse dans
Carissimi, un peu plus à l’aise dans « Qui sedes » que dans « Domine Deus » dans le Gloria. Partout règne l’équilibre, tant chez les solistes que dans le choeur (avec un léger surpoids des barytons ici et là, cependant).
Baisse de fréquentation
Équilibre est le mot qui convient aussi musicalement, puisque Bernard Labadie ne souligne rien inutilement. Le geste est fluide, mais pas empressé, l’expression concentrée (« Et in terra pax » du Gloria). Ce retour de Bernard Labadie à la Maison symphonique, après l’annulation de sa participation aux Requiem de Fauré et de Duruflé, a pourtant été loin de remplir la salle. La tenue, au même moment de la 2e Symphonie de Mahler par JeanFrançois Rivest et l’OUM n’explique pas cela : le Gloria a été bien plus largement promu, au sein d’une saison bien établie, les présences de Labadie sont désormais éparses, donc précieuses, et, entre Vivaldi et Mahler, ce n’est pas le même public.
Le Gloria de Vivaldi étant une oeuvre connue et facile, le problème de fréquentation, avec une baisse qu’on peut chiffrer à 30 % minimum, devient plus que fâcheux pour les Violons du Roy. Cet ensemble d’élite avait mis des années, errant de salle en salle, à conquérir et à stabiliser un public à Montréal. Depuis 2011, avec la Maison symphonique et la salle Bourgie, le succès était majeur. Mais la postpandémie s’avère plus que difficile.
Nous avons pensé, un temps, que l’érosion avait été amorcée par un manque d’identification au nouveau chef, Jonathan Cohen, excellent musicien, mais moins charismatique que Labadie. Mais si, maintenant, même ce dernier se retrouve devant 800 spectateurs [notre estimation, au jugé], c’est inquiétant. Les Violons du Roy ne sont pas les seuls à souffrir ainsi : l’effet du recadrage des programmes de l’Orchestre Métropolitain en 2024-2025 et la saison d’I Musici seront à observer de près.
Équilibre est le mot qui convient musicalement, puisque Bernard Labadie ne souligne rien inutilement
Le Gloria de Vivaldi
Carissimi : Jephté. Buxtehude : Jesu, meines Lebens Leben. Vivaldi : Magnificat, RV 610. Gloria, RV 589. Myriam Leblanc, Sheila Dietrich et Marie Magistry (sopranos), MarieAndrée Mathieu (mezzo), Philippe Gagné et Joé Lampron-Dandonneau (ténors), Nathaniel Watson (baryton), La Chapelle de Québec, Les Violons du Roy, Bernard Labadie. Maison symphonique, samedi 13 avril 2024.