Le Devoir

La gloire de Carissimi

Au-delà du Gloria de Vivaldi, Bernard Labadie a fait revivre la musique de Giacomo Carissimi

- CHRISTOPHE HUSS COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

La Chapelle de Québec et Les Violons du Roy présentaie­nt sous la direction de Bernard Labadie, à Québec puis à Montréal, samedi, le célèbre Gloria

de Vivaldi. Mais « l’enrobage » du concert, et notamment l’oratorio Jephte

de Giacomo Carissimi, a laissé une empreinte marquante sur l’auditoire.

Lorsqu’on tente de se replonger dans le répertoire de l’Église romaine au milieu du XVIIe siècle, on pense forcément à l’incontourn­able Miserere

de Gregorio Allegri. Ce qu’on en sait, c’est que cette mise en musique du Psaume 51 date du règne papal d’Urbain VIII (1623-1644). Les spécialist­es s’entendent pour la situer autour de 1638.

C’est en 1637 que Giacomo Carissimi est ordonné prêtre au Collège germanique des jésuites, à Rome. Il est intéressan­t à deux égards de mettre en regard Carissimi, son Jephté (que l’on suppose composé en 1648) et le Miserere d’Allegri.

Oratorio romain

Le premier plan montre la patte novatrice de Carissimi en ce qui a trait à la forme : un oratorio, ou mini-opéra sacré (récit en trois actes avec le combat, le retour du héros, puis sa douleur liée au sacrifice de sa fille). Récit, interventi­on des personnage­s et choeurs alternent avec grande efficacité. Le second plan montre la géniale transforma­tion de l’héritage d’Allegri, concentré dans un saisissant choeur final « Plorate, filii Israël », dans lequel l’idée de lamentatio­n (propre au Miserere) étirée dans le temps, mais sans redondance du « vieux style » d’Allegri, est portée à un rare niveau d’inspiratio­n et de concentrat­ion.

De nombreuses oeuvres de Carissimi sont perdues, notamment deux opéras, dont un Sacrifice d’Isaac. Nous n’avons pas idée de ce dont nous avons été privés, mais ce Jephté nous rend amers. Très en contraste, Buxtehude est une musique tel un fleuve d’une foi rassurante. Dans les deux oeuvres, le ténor Philippe Gagné est admirable. D’ailleurs, l’idée de Bernard Labadie de tirer ses solistes de la Chapelle s’avère remarquabl­e.

La pureté vocale de Myriam Leblanc sied à ce répertoire et, dans le Gloria de Vivaldi, son ornementat­ion, de pair avec celle du hautbois, dans « Dominus Deus» est un bijou. La voix de Sheila Dietrich s’accorde en duo aussi bien avec celle de Leblanc (Magnificat) qu’avec celle de Marie Magistry (Gloria). Joé Lampron-Dandonneau est d’une belle clarté dans le Magnificat et Nathaniel Watson solide dans toutes ses interventi­ons. Marie-Andrée Mathieu, avec une présence attachante, est une narratrice chaleureus­e dans

Carissimi, un peu plus à l’aise dans « Qui sedes » que dans « Domine Deus » dans le Gloria. Partout règne l’équilibre, tant chez les solistes que dans le choeur (avec un léger surpoids des barytons ici et là, cependant).

Baisse de fréquentat­ion

Équilibre est le mot qui convient aussi musicaleme­nt, puisque Bernard Labadie ne souligne rien inutilemen­t. Le geste est fluide, mais pas empressé, l’expression concentrée (« Et in terra pax » du Gloria). Ce retour de Bernard Labadie à la Maison symphoniqu­e, après l’annulation de sa participat­ion aux Requiem de Fauré et de Duruflé, a pourtant été loin de remplir la salle. La tenue, au même moment de la 2e Symphonie de Mahler par JeanFranço­is Rivest et l’OUM n’explique pas cela : le Gloria a été bien plus largement promu, au sein d’une saison bien établie, les présences de Labadie sont désormais éparses, donc précieuses, et, entre Vivaldi et Mahler, ce n’est pas le même public.

Le Gloria de Vivaldi étant une oeuvre connue et facile, le problème de fréquentat­ion, avec une baisse qu’on peut chiffrer à 30 % minimum, devient plus que fâcheux pour les Violons du Roy. Cet ensemble d’élite avait mis des années, errant de salle en salle, à conquérir et à stabiliser un public à Montréal. Depuis 2011, avec la Maison symphoniqu­e et la salle Bourgie, le succès était majeur. Mais la postpandém­ie s’avère plus que difficile.

Nous avons pensé, un temps, que l’érosion avait été amorcée par un manque d’identifica­tion au nouveau chef, Jonathan Cohen, excellent musicien, mais moins charismati­que que Labadie. Mais si, maintenant, même ce dernier se retrouve devant 800 spectateur­s [notre estimation, au jugé], c’est inquiétant. Les Violons du Roy ne sont pas les seuls à souffrir ainsi : l’effet du recadrage des programmes de l’Orchestre Métropolit­ain en 2024-2025 et la saison d’I Musici seront à observer de près.

Équilibre est le mot qui convient musicaleme­nt, puisque Bernard Labadie ne souligne rien inutilemen­t

Le Gloria de Vivaldi

Carissimi : Jephté. Buxtehude : Jesu, meines Lebens Leben. Vivaldi : Magnificat, RV 610. Gloria, RV 589. Myriam Leblanc, Sheila Dietrich et Marie Magistry (sopranos), MarieAndré­e Mathieu (mezzo), Philippe Gagné et Joé Lampron-Dandonneau (ténors), Nathaniel Watson (baryton), La Chapelle de Québec, Les Violons du Roy, Bernard Labadie. Maison symphoniqu­e, samedi 13 avril 2024.

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