« Les gens sont quand même restés sur leur appétit »
Des intervenants de la DPJ se sentent « délaissés » par les ententes, bien que le ministre Carmant ait demandé que soient négociées des hausses de revenus « significatives »
Oui, on a une prime de 10 %, mais on se fait enlever une prime de » 7 % qu’on avait XAVIER LANDRY
Les intervenants en protection de la jeunesse sont « restés sur leur appétit » après la conclusion des ententes syndicales dans le réseau, en janvier. Aux yeux des employés interrogés par Le Devoir, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, n’avait pas affaire à évoquer un rattrapage salarial l’automne dernier.
« On est plusieurs à ne pas être en accord avec la signature de tout ça », souligne d’emblée Xavier Landry. Travailleur social à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de ChaudièreAppalaches, il a voté contre l’entente de principe conclue à l’hiver par l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui le représente.
« Oui, on a une prime de 10 %, mais on se fait enlever une prime de 7 % qu’on avait », soulève-t-il à l’autre bout du fil.
Comme le reste de leurs collègues du réseau représentés par le Front commun syndical, les travailleurs sociaux en protection de la jeunesse verront leur salaire rehaussé de 17,4 % jusqu’en 2028. Ils bénéficieront eux aussi d’une protection du pouvoir d’achat qui peut « aller jusqu’à 1 % pour chacune des trois dernières années de la convention collective » et pourront se faire rembourser une partie de l’adhésion à leur ordre professionnel.
La prime de 7 % versée jusqu’ici aux intervenants en évaluation des signalements sera pour sa part remplacée par une prime de 6 % à 10 %, calculée selon le nombre d’heures travaillées. La somme la plus élevée sera accordée à ceux qui travaillent 70 heures et plus en deux semaines.
Avec ces primes, « les revenus peuvent aller jusqu’à 114 000 $ pour les travailleuses sociales qui travaillent en centre jeunesse, alors qu’elles pouvaient
gagner jusqu’à 93 760 $ avant », calcule le bureau du ministre Carmant. « À terme, en tenant compte des primes, il s’agit d’une bonification de 20 000 $ par rapport à l’ancienne convention. »
« Mais finalement, relève Xavier Landry, c’est une prime de 3 % qu’on a. » Une bonification qui n’aidera pas à maintenir les employés de la DPJ dans le réseau comme le désire le ministre Carmant, prédit une autre travailleuse sociale de la DPJ interrogée par Le Devoir, Isabelle C. Morin.
« On a 17 % d’augmentation, je pense que c’est du jamais vu. Il faut quand même reconnaître qu’on a eu certaines augmentations, mais là où le bât blesse, c’est au niveau des primes », dit-elle.
Exode
En entrevue avec Le Devoir, en septembre dernier, le ministre Carmant avait convenu que la prime de 7 % offerte aux intervenants de la DPJ n’avait pas permis de mettre fin à l’exode de travailleurs sociaux vers le réseau des CLSC. « Ça n’a pas eu son effet », avait-il lâché, en marge de la Journée dédiée au bien-être et à la protection de la jeunesse, à Québec.
Malgré la bonification obtenue dans le cadre des négociations, l’écart avec les travailleurs sociaux hors DPJ demeure trop faible, déplore Isabelle C. Morin, qui est intervenante à la DPJ de la Montérégie-Est. Lorsqu’elle entrera en vigueur, la convention collective offrira une prime allant jusqu’à 3,5 % pour les travailleurs sociaux à l’extérieur du réseau de la DPJ qui oeuvrent auprès de personnes ayant un trouble grave du comportement. Il s’agit d’un écart de 6,5 points de pourcentage avec leurs collègues en protection de la jeunesse.
« Est-ce que [notre prime] va être suffisante pour empêcher l’exode ou freiner l’exode ? Je pense que poser la question, c’est y répondre », lance Mme Morin, en rappelant que les intervenants de la DPJ « travaillent sous l’égide d’une loi » et doivent constamment « gérer des situations qui les empêchent de dormir le soir ».
Durant la période de négociation, le président de l’APTS, Robert Comeau, a bien pu constater que le milieu « s’attendait vraiment à des augmentations de salaire ». « Là, ç’a été des primes. Ce qu’on déplore toujours dans le phénomène des primes, c’est que ça ne compte pas sur le régime de retraite », souligne-t-il. « Pour les gens qui arrivent à la retraite […], c’est quand même désolant », enchaîne Mme Morin.
« Différence plus significative »
En entrevue, M. Comeau convient que l’entente signée en début d’année n’a pas fait que des heureux à la DPJ. « Les gens sont quand même restés sur leur appétit », dit-il.
En septembre, pourtant, le ministre Carmant avait été clair. « Il faut vraiment qu’il y ait une différence plus significative entre ceux qui travaillent au CLSC, dans d’autres programmes, et ceux qui travaillent en protection de la jeunesse. Parce que c’est un travail qui est difficile, qui nécessite la compréhension d’une loi. Qui est psychologiquement plus lourd, aussi », avaitil soutenu devant un public tout ouïe, à Québec.
Selon Mme Morin, c’était une preuve que le ministre avait « très bien entendu le message ». Depuis qu’elle a pris connaissance du contenu des ententes, elle se sent « délaissée ».
De son côté, Xavier Landry se souvient de s’être senti « motivé » ce jour-là par les propos de M. Carmant. « Est-ce qu’il a promis des choses qu’il ne pouvait pas faire dans le contexte de négociation de conventions collectives ? Est-ce que c’est dans les projets qu’éventuellement ça se fasse ? » s’interroge-t-il à voix haute, six mois plus tard.
« Je pense que le gouvernement est allé trop loin dans ses affirmations, soutient Robert Comeau. Pour lui, “significatif” est égal à 10 %. Moi, dans ma définition, “significatif”, ce n’est pas ça. »
Lionel Carmant estime pour sa part avoir obtenu « des gains significatifs pour les intervenantes ». « [L’entente] va nous aider à attirer plus de main-d’oeuvre et à retenir nos intervenantes d’expérience », a fait valoir son cabinet dans un échange de courriels, lundi.
Titre d’emploi distinct ?
Robert Comeau affirme avoir entendu les doléances des intervenants de la DPJ durant les négociations. « On a toujours le phénomène des portes tournantes », explique-t-il.
Comment se fait-il, alors, que l’appui général à l’entente de principe de l’APTS ait été aussi fort ? « On représente une infime minorité d’employés, finalement, souligne Xavier Landry. Ça fait en sorte qu’on n’a aucun poids décisionnel. La majorité l’a emporté. »
Dans son rapport rendu en 2021, la commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse avait recommandé la création d’un titre d’emploi propre aux intervenantes de la DPJ. En attendant, cependant, « pour une question d’équité, le gouvernement ne peut pas donner des salaires différents aux employés qui exercent le même métier », écrit le cabinet du ministre Carmant.