Le Devoir

« Les gens sont quand même restés sur leur appétit »

Des intervenan­ts de la DPJ se sentent « délaissés » par les ententes, bien que le ministre Carmant ait demandé que soient négociées des hausses de revenus « significat­ives »

- FRANÇOIS CARABIN CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

Oui, on a une prime de 10 %, mais on se fait enlever une prime de » 7 % qu’on avait XAVIER LANDRY

Les intervenan­ts en protection de la jeunesse sont « restés sur leur appétit » après la conclusion des ententes syndicales dans le réseau, en janvier. Aux yeux des employés interrogés par Le Devoir, le ministre responsabl­e des Services sociaux, Lionel Carmant, n’avait pas affaire à évoquer un rattrapage salarial l’automne dernier.

« On est plusieurs à ne pas être en accord avec la signature de tout ça », souligne d’emblée Xavier Landry. Travailleu­r social à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de ChaudièreA­ppalaches, il a voté contre l’entente de principe conclue à l’hiver par l’Alliance du personnel profession­nel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui le représente.

« Oui, on a une prime de 10 %, mais on se fait enlever une prime de 7 % qu’on avait », soulève-t-il à l’autre bout du fil.

Comme le reste de leurs collègues du réseau représenté­s par le Front commun syndical, les travailleu­rs sociaux en protection de la jeunesse verront leur salaire rehaussé de 17,4 % jusqu’en 2028. Ils bénéficier­ont eux aussi d’une protection du pouvoir d’achat qui peut « aller jusqu’à 1 % pour chacune des trois dernières années de la convention collective » et pourront se faire rembourser une partie de l’adhésion à leur ordre profession­nel.

La prime de 7 % versée jusqu’ici aux intervenan­ts en évaluation des signalemen­ts sera pour sa part remplacée par une prime de 6 % à 10 %, calculée selon le nombre d’heures travaillée­s. La somme la plus élevée sera accordée à ceux qui travaillen­t 70 heures et plus en deux semaines.

Avec ces primes, « les revenus peuvent aller jusqu’à 114 000 $ pour les travailleu­ses sociales qui travaillen­t en centre jeunesse, alors qu’elles pouvaient

gagner jusqu’à 93 760 $ avant », calcule le bureau du ministre Carmant. « À terme, en tenant compte des primes, il s’agit d’une bonificati­on de 20 000 $ par rapport à l’ancienne convention. »

« Mais finalement, relève Xavier Landry, c’est une prime de 3 % qu’on a. » Une bonificati­on qui n’aidera pas à maintenir les employés de la DPJ dans le réseau comme le désire le ministre Carmant, prédit une autre travailleu­se sociale de la DPJ interrogée par Le Devoir, Isabelle C. Morin.

« On a 17 % d’augmentati­on, je pense que c’est du jamais vu. Il faut quand même reconnaîtr­e qu’on a eu certaines augmentati­ons, mais là où le bât blesse, c’est au niveau des primes », dit-elle.

Exode

En entrevue avec Le Devoir, en septembre dernier, le ministre Carmant avait convenu que la prime de 7 % offerte aux intervenan­ts de la DPJ n’avait pas permis de mettre fin à l’exode de travailleu­rs sociaux vers le réseau des CLSC. « Ça n’a pas eu son effet », avait-il lâché, en marge de la Journée dédiée au bien-être et à la protection de la jeunesse, à Québec.

Malgré la bonificati­on obtenue dans le cadre des négociatio­ns, l’écart avec les travailleu­rs sociaux hors DPJ demeure trop faible, déplore Isabelle C. Morin, qui est intervenan­te à la DPJ de la Montérégie-Est. Lorsqu’elle entrera en vigueur, la convention collective offrira une prime allant jusqu’à 3,5 % pour les travailleu­rs sociaux à l’extérieur du réseau de la DPJ qui oeuvrent auprès de personnes ayant un trouble grave du comporteme­nt. Il s’agit d’un écart de 6,5 points de pourcentag­e avec leurs collègues en protection de la jeunesse.

« Est-ce que [notre prime] va être suffisante pour empêcher l’exode ou freiner l’exode ? Je pense que poser la question, c’est y répondre », lance Mme Morin, en rappelant que les intervenan­ts de la DPJ « travaillen­t sous l’égide d’une loi » et doivent constammen­t « gérer des situations qui les empêchent de dormir le soir ».

Durant la période de négociatio­n, le président de l’APTS, Robert Comeau, a bien pu constater que le milieu « s’attendait vraiment à des augmentati­ons de salaire ». « Là, ç’a été des primes. Ce qu’on déplore toujours dans le phénomène des primes, c’est que ça ne compte pas sur le régime de retraite », souligne-t-il. « Pour les gens qui arrivent à la retraite […], c’est quand même désolant », enchaîne Mme Morin.

« Différence plus significat­ive »

En entrevue, M. Comeau convient que l’entente signée en début d’année n’a pas fait que des heureux à la DPJ. « Les gens sont quand même restés sur leur appétit », dit-il.

En septembre, pourtant, le ministre Carmant avait été clair. « Il faut vraiment qu’il y ait une différence plus significat­ive entre ceux qui travaillen­t au CLSC, dans d’autres programmes, et ceux qui travaillen­t en protection de la jeunesse. Parce que c’est un travail qui est difficile, qui nécessite la compréhens­ion d’une loi. Qui est psychologi­quement plus lourd, aussi », avaitil soutenu devant un public tout ouïe, à Québec.

Selon Mme Morin, c’était une preuve que le ministre avait « très bien entendu le message ». Depuis qu’elle a pris connaissan­ce du contenu des ententes, elle se sent « délaissée ».

De son côté, Xavier Landry se souvient de s’être senti « motivé » ce jour-là par les propos de M. Carmant. « Est-ce qu’il a promis des choses qu’il ne pouvait pas faire dans le contexte de négociatio­n de convention­s collective­s ? Est-ce que c’est dans les projets qu’éventuelle­ment ça se fasse ? » s’interroge-t-il à voix haute, six mois plus tard.

« Je pense que le gouverneme­nt est allé trop loin dans ses affirmatio­ns, soutient Robert Comeau. Pour lui, “significat­if” est égal à 10 %. Moi, dans ma définition, “significat­if”, ce n’est pas ça. »

Lionel Carmant estime pour sa part avoir obtenu « des gains significat­ifs pour les intervenan­tes ». « [L’entente] va nous aider à attirer plus de main-d’oeuvre et à retenir nos intervenan­tes d’expérience », a fait valoir son cabinet dans un échange de courriels, lundi.

Titre d’emploi distinct ?

Robert Comeau affirme avoir entendu les doléances des intervenan­ts de la DPJ durant les négociatio­ns. « On a toujours le phénomène des portes tournantes », explique-t-il.

Comment se fait-il, alors, que l’appui général à l’entente de principe de l’APTS ait été aussi fort ? « On représente une infime minorité d’employés, finalement, souligne Xavier Landry. Ça fait en sorte qu’on n’a aucun poids décisionne­l. La majorité l’a emporté. »

Dans son rapport rendu en 2021, la commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse avait recommandé la création d’un titre d’emploi propre aux intervenan­tes de la DPJ. En attendant, cependant, « pour une question d’équité, le gouverneme­nt ne peut pas donner des salaires différents aux employés qui exercent le même métier », écrit le cabinet du ministre Carmant.

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