12 citoyens ordinaires pour un procès extraordinaire
La justice new-yorkaise réussira-t-elle à trouver un jury impartial pour le procès au criminel de Donald Trump ?
L’histoire s’est écrite à New York lundi matin avec l’ouverture du tout premier procès criminel impliquant un ancien président américain, Donald Trump, accusé d’avoir falsifié des documents comptables pour dissimuler le versement d’un pot-de-vin à une actrice pornographique.
Cet affrontement spectaculaire entre le populiste et la justice s’est amorcé avec la délicate sélection du jury qui, dans les prochaines semaines, aura en main le destin du candidat républicain à l’élection présidentielle. Un exercice compliqué tant par le caractère impétueux et incontrôlable de l’accusé que par la nature singulière et hautement médiatisée de ce procès.
« La sélection de ce jury va être très difficile, en raison de la grande polarisation qui s’est installée dans notre pays, mais aussi à cause de Donald Trump lui-même, qui mène une vigoureuse campagne dans la presse depuis des mois pour affirmer qu’il ne devrait pas être poursuivi », résume en entrevue Valerie Hans, professeure de droit à l’Université Cornell et sommité en matière de procès criminel et de formation de jury aux États-Unis. « Bien sûr, le tribunal dispose de plusieurs outils pour surmonter ces difficultés. Et je reste optimiste sur le fait que le juge et les avocats vont réussir à sélectionner un jury juste et impartial dans cette affaire. »
Le processus risque toutefois de prendre plusieurs jours afin de traquer préjugés, inclinations politiques, partis pris ou arrière-pensées dans le bassin de plusieurs centaines de New-Yorkais convoqués par le tribunal de Manhattan — et dont 12 personnes seront extraites minutieusement afin de décider de la culpabilité (ou pas) de l’ex-président des États-Unis.
Le tout sous le regard non seulement des partisans radicalisés du républicain, mais aussi des Américains dans leur ensemble et du reste du monde.
« Ce ne sera pas facile de trouver des jurés qui n’ont pas de sentiments à l’égard de Trump », dit Cheryl Bader, spécialiste en droit criminel à l’Université Fordham, jointe par Le Devoir. « La clé va donc être de trouver des personnes qui n’ont pas une opinion trop tranchée sur lui, qui vont être capables de mettre de côté tout ce qu’elles ont entendu sur cette affaire, pour pouvoir le juger avec justesse dans un esprit ouvert. »
L’exercice est loin d’être une sinécure à New York, où 70 % des 1,1 million d’électeurs inscrits à Manhattan, l’arrondissement où se tient le procès, sont démocrates. Et où l’accusé est connu comme le loup blanc, pour de bonnes et de mauvaises raisons.
Sa réputation s’est construite au rythme des immeubles qu’il a fait émerger dans le ciel de la mégalopole depuis les années 1980, mais aussi de l’extravagance d’une vie, d’affaires, de relations et de frasques minutieusement racontées pour favoriser la présence de son nom non seulement au sommet d’un gratte-ciel, mais aussi en première page des tabloïds. Une image fort entachée depuis par ses quatre années chaotiques à la Maison-Blanche, par sa tentative d’annulation des élections de 2020, par ses accointances avec plusieurs autocrates et dictateurs, et par plusieurs condamnations récentes par la justice de l’État.
Il a notamment été reconnu responsable d’agression sexuelle à l’encontre de l’écrivaine E. Jean Carroll, et un jury l’a condamné fin janvier à verser à cette dernière plus de 83 millions de dollars en dommages pour diffamation. Sa dernière présence dans un tribunal de la ville, dans le cadre d’un procès au civil, s’est soldée en février dernier par une autre condamnation pour fraude orchestrée au sein de la Trump Organization. Il fait face depuis à une amende exemplaire de près d’un demi-milliard de dollars.
Et « le problème dans cette affaire » de pot-de-vin et de falsification de documents comptables, fait remarquer en entrevue Margaret Bull Kovera, professeure de droit au Collège de justice criminelle John Jay de New York, « c’est qu’il n’existe pas non plus d’autre lieu, d’autre juridiction vers lesquels la déplacer et qui n’auraient pas été exposés au même niveau élevé de publicité ».
Toute partialité rejetée
Dans ce contexte, le juge Juan Merchan, qui préside ce procès historique, a indiqué qu’il allait révoquer l’ensemble des candidats jurés indiquant clairement un parti pris ou déclarant ne pas pouvoir juger l’affaire équitablement — le tout sans possibilité pour les procureurs de l’État et les avocats de la défense de « réhabiliter » un tel candidat juré écarté, comme cela peut être le cas dans d’autres causes moins médiatisées.
« Ce processus de réhabilitation n’est pas particulièrement efficace, d’ailleurs », ajoute Mme Bull Kovera, qui a mené plusieurs recherches sur cette stratégie dans le cadre de ses travaux. « La décision du juge de révoquer tout juré qui exprime des inquiétudes sur sa partialité ne peut donc que se traduire par un jury qui va être plus équitable. »
Autre décision remarquée : le juge Merchan a ordonné que l’anonymat des jurés soit assuré afin de réduire les risques de harcèlement, de manipulation et d’intimidation « par des ultraloyalistes de Trump », souligne Cheryl Bader. Le milliardaire républicain est devenu un incroyable moteur de violence politique aux États-Unis depuis sa défaite de 2020.
Les avocats de Donald Trump connaîtront toutefois leur identité, mais n’auront pas accès à leur adresse. L’exprésident américain s’est aussi fait imposer une injonction du tribunal l’empêchant de rendre publiques toutes les informations sur les jurés détenues par son équipe d’avocats. Des informations cruciales, tant pour les procureurs que pour la défense, issues des formulaires remplis par les candidats, mais aussi de recherches menées en ligne par les deux camps afin de prendre le pouls de leurs valeurs et ainsi de tenter d’instiller dans le jury des idées qui leur seraient favorables. « Donald
Donald Trump et ses avocats vont certainement rechercher des candidats qui remettent en question l’autorité et qui cherchent des réponses “alternatives” aux problèmes tout en se méfiant du gouvernement » THADDEUS HOFFMEISTER
Trump et ses avocats vont certainement rechercher des candidats qui remettent en question l’autorité et qui cherchent des réponses “alternatives” aux problèmes tout en se méfiant du gouvernement », prédit Thaddeus Hoffmeister, professeur de droit à l’Université de Dayton, en Ohio, joint par Le Devoir.
Le camp du populiste devrait favoriser les hommes blancs issus de la classe ouvrière, moins éduqués ou plus réceptifs au complotisme, parfois employés de la fonction publique dans le maintien de l’ordre, de la sécurité ou de l’entretien ; les procureurs de l’État, eux, devraient préférer se tourner vers des candidats « plus éduqués, qui lisent et écoutent les médias plus progressistes, mais aussi des penseurs nuancés capables d’aborder les problèmes sous plusieurs angles », estime Cheryl Bader.
Au passage, la spécialiste en droit criminel minimise toutefois l’importance de cette « science », qu’elle considère comme incertaine : « Même s’il s’agit d’une phase importante d’un procès, les avocats surestiment leur capacité à prévoir une manière de voter en se basant sur des informations démographiques générales et en soumettant un candidat à une poignée de questions. »
En effet, pour le groupe de 12 jurés choisi, cette décision, ce vote, arrivera au terme de plusieurs semaines d’audiences, d’éléments de preuves, de témoignages et de contre-témoignages. Des éléments qui, au bout du compte, restent sans doute plus déterminants dans l’ancrage ou la mise à mal des préjugés d’un jury — y compris lorsqu’il s’agit de décider du sort d’un ex-président.