Le Devoir

20 % moins d’avocats du privé acceptent des mandats d’aide juridique

Dans certaines régions, des citoyens peinent à trouver un représenta­nt en raison des trop faibles tarifs versés

- STÉPHANIE MARIN LE DEVOIR

Le nombre d’avocats du privé qui acceptent des mandats d’aide juridique a diminué de 20 % depuis cinq ans, déplore le Comité indépendan­t sur les tarifs d’aide juridique, le CITAJ, qui a été mis sur pied par le Barreau du Québec. Des ruptures de service sont déjà constatées dans certaines régions, comme en Gaspésie et au Saguenay– Lac-Saint-Jean, où les citoyens ne peuvent pas (ou peinent à) trouver des avocats pour les représente­r.

Afin de faire comprendre aux élus comment cette situation nuit aux Québécois les plus défavorisé­s, le CITAJ se pointera mardi matin à l’Assemblée nationale lors de l’étude par les parlementa­ires des crédits budgétaire­s du ministère de la Justice.

La diminution des effectifs est notable, selon le comité : alors qu’il y avait 2237 avocats en pratique privée qui prenaient en charge des dossiers d’aide juridique en 2018-2019, il n’y en avait plus que 1752 en 2022-2023.

Ces avocats au privé sont « essentiels » au bon roulement du système, a expliqué en entrevue au Devoir la présidente du CITAJ, Me Chantale Plante. On les retrouve notamment en droit familial, en droit criminel et en protection de la jeunesse. Lorsqu’ils acceptent un tel mandat, ils sont payés par l’État québécois selon des tarifs prédétermi­nés.

Ils accompliss­ent 52 % des mandats d’aide juridique, dit-elle, le reste étant pris en charge par les avocats permanents de l’État. Mais ces derniers ne peuvent s’occuper de tous les dossiers, parce qu’ils sont débordés ou encore parce qu’ils sont en conflit d’intérêts s’ils représente­nt déjà une autre personne impliquée dans un litige, explique l’avocate spécialisé­e en droit familial et protection de la jeunesse.

Sauf qu’« on est de moins en moins nombreux à accepter des mandats d’aide juridique ».

La raison ? Les conditions de travail sont peu attrayante­s, et la rémunérati­on est trop faible, a-t-elle fait valoir en entrevue avec sa collègue Me Alexandra Paquette, spécialist­e du droit carcéral et criminel. Et les conséquenc­es sont graves, insistent-elles.

Il y a déjà des « ruptures de service » dans certaines régions du Québec. Par exemple, au Bas-Saint-Laurent– Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, aucun avocat du privé n’accepte de mandats d’aide juridique dans la plupart des domaines de droit. Et en Abitibi et au Saguenay–Lac-Saint-Jean, personne n’en prend en droit familial.

Les dossiers vont de remise en remise alors que les citoyens tentent de se trouver un avocat qui accepte les mandats d’aide juridique. Outre les retards, cette situation peut aussi mener à l’engorgemen­t des tribunaux si, faute de conseils juridiques, les citoyens décident d’aller à procès plutôt que de régler à l’amiable, illustrent-elles.

Me Paquette, qui travaille à Montréal, ajoute que pas plus tard que lundi, un homme détenu à Val-d’Or lui a demandé de le représente­r puisqu’il était incapable de trouver un avocat en Abitibi.

Des tarifs trop bas

Les conditions de travail actuelles n’incitent pas les avocats à prendre de tels mandats dans le cadre de leur pratique, soutiennen­t les deux avocates. Le bât blesse surtout au niveau de la rémunérati­on. Celle-ci est prévue par un tarif de l’État — une combinaiso­n de paiement à forfait et à l’acte — qui fait en sorte que la rémunérati­on peut glisser en deçà du salaire minimum dans certains dossiers.

Le CITAJ offre un exemple type pour illustrer la situation : pour régler un dossier de garde d’enfant du début à la fin, le tarif est de 620 $ pour environ 45 heures de travail dans le cas où un procès a lieu. Si l’on ajoute une moyenne de 12 heures pour s’assurer de l’admissibil­ité du client à l’aide juridique et effectuer ce qui doit être fait pour se conformer aux exigences du Barreau, soit la numérisati­on et l’archivage, il y a un total de 57 heures de travail.

Ce qui représente 10,85 $ l’heure. Me Paquette, la représenta­nte des Jeunes Barreaux sur le CITAJ, indique qu’il est aussi de plus en plus difficile d’intéresser de jeunes avocats à la pratique de l’aide juridique. « Je n’ai aucun argument pour les convaincre », se désole-t-elle. Elle leur dit qu’il s’agit d’une « vocation ». Sauf « qu’il y a quand même des factures à payer », explique-t-elle.

Le CITAJ souhaite que le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, s’implique davantage et vienne s’asseoir à la table de négociatio­n pour convenir de nouveaux tarifs et de meilleures conditions de travail. Le Barreau dénonce d’ailleurs depuis 2017 la désuétude de la structure tarifaire de l’aide juridique.

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