Le Devoir

L’action indépendan­tiste au collège Sainte-Marie

- Denis Monière et Claude Cardinal Les auteurs sont respective­ment professeur de sciences politiques à la retraite et avocat. Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues ? Écrivez à dnoel@ledevoir.com.

Fréquenter le collège Sainte-Marie dans les années 1960 représenta­it une expérience stimulante intellectu­ellement et politiquem­ent. Le Québec d’alors était une société en mouvement, où régnaient l’enthousias­me et l’optimisme.

Tout changeait autour de nous. On construisa­it des autoroutes, des gratteciel, des édifices modernes comme la Place des Arts, même des îles pour accueillir l’Expo 67. On s’apprêtait à inaugurer le métro. Rien n’illustrait mieux ce passage entre deux mondes que de prendre le métro neuf, qui nous transporta­it en 20 minutes des banlieues au centre-ville.

Venir en ville chaque jour changeait notre vision du monde. Sortis de l’uniformité du cocon de la banlieue, nous faisions face aux contradict­ions et à la diversité de la métropole. En ville, les rapports de force économique­s et culturels étaient plus flagrants. Le français était minoritair­e dans la langue du commerce et de l’affichage. Nous étions au Québec, mais nous nous sentions dans un pays étranger, surtout à l’ouest de Saint-Laurent.

Le « speak white » était une réalité quotidienn­e, et il fallait insister pour se faire servir en français dans les commerces. L’aliénation collective n’était pas qu’un concept théorique. Le contraste entre les attentes légitimes et les possibilit­és de les satisfaire est toujours source de volonté de changement, ce qui explique que nous ayons cru que la mobilisati­on politique et l’action collective pouvaient transforme­r la subordinat­ion des Québécois.

Arriver en ville signifiait aussi faire de nouvelles rencontres. Dès les premiers jours, nous découvrîme­s qu’il y avait de nombreux indépendan­tistes dans ce collège de longue tradition nationalis­te. Comme nous ne connaissio­ns personne, il fallait bien aller vers les autres.

Autre avantage du Sainte-Marie, les cours suivis, les lectures et les travaux de session s’imbriquaie­nt parfaiteme­nt dans notre engagement politique. Il y avait une symbiose entre ce qu’on apprenait et le projet politique pour lequel nous militions. Nous avions le sentiment que ce que nous apprenions serait utile pour faire avancer la cause de l’indépendan­ce.

À la fin de l’automne 1966, nous avons décidé de créer dans les murs du collège une section du Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale (RIN). Nous étions déjà des militants actifs du RIN, respective­ment dans les bureaux des circonscri­ptions de Laval et de Terrebonne. Il nous semblait plus efficace de militer dans notre institutio­n d’enseigneme­nt.

Dans une lettre circulaire adressée « aux hommes de demain », nous définissio­ns ainsi nos objectifs : travailler à l’élaboratio­n de la nouvelle société québécoise ; permettre aux étudiants de faire de l’action politique dans leur milieu et diffuser de l’informatio­n sur les problèmes de la société québécoise.

Nous étions en terrain fertile puisqu’un sondage réalisé par le journal étudiant avant les élections de 1966 indiquait que 28 % des étudiants avaient l’intention de voter pour le RIN et 13 % pour le Parti socialiste du Québec. Un des professeur­s d’histoire du collège, Denis Bousquet, venait d’être élu dans Saint-Hyacinthe député de l’Union nationale et avait déclaré : « L’indépendan­ce est certaine, bien que le moment soit incertain. »

Pour rendre l’échéance moins incertaine, il fallait faire de l’agit-prop, c’est-àdire distribuer le journal L’indépendan­ce à nos collègues ou aux portes du métro Place-des-Arts ou encore faire des gestes d’éclat comme installer le drapeau du RIN sur le toit du collège Sainte-Marie. Nous organision­s aussi des marches rue Sainte-Catherine le midi.

Le RIN de la région de Montréal cherchait à affirmer sa solidarité avec les travailleu­rs et s’engageait dans des luttes ouvrières. Le rôle d’un parti n’était pas uniquement de faire des élections, mais aussi de prendre parti sur des enjeux sociaux et de soutenir activement les travailleu­rs.

Cette belle équipée s’est terminée à l’automne 1968. Ayant obtenu notre diplôme, nous avons dû quitter le collège Sainte-Marie pour aller qui à l’Université d’Ottawa, qui à l’Université Laval, qui à l’Université de Montréal. Le vent de la révolte de mai 1968 avait atteint les rives du Saint-Laurent et avait orienté la contestati­on vers d’autres enjeux.

Changer la société était à l’ordre du jour. Enfin, le 28 octobre 1968, le RIN avait décidé de se saborder au profit du futur Parti québécois. Pour notre génération, l’action collective était source de progrès collectif et de réalisatio­n personnell­e. Si le collège Sainte-Marie n’a pas survécu aux années 1960, l’expérience du militantis­me étudiant a forgé des amitiés et des engagement­s durables. Autres temps, autres moeurs.

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