Le Devoir

La haute vitesse canadienne trop lente, eh ?

- ALAIN MCKENNA

Surprise ! Le mois dernier, la Federal Communicat­ions Commission (FCC), qui tient presque le même rôle aux États-Unis que celui du CRTC au Canada, a juste assez relevé la barre de ce qu’elle appelle la « haute vitesse » pour qu’Internet au Canada soit tout à coup dépassé.

En mars, la présidente de la FCC, Jessica Rosenworce­l, a procédé à une mise à niveau des débits de transfert de données qui, selon elle, constituen­t ce qu’on appellerai­t maintenant un accès à Internet haute vitesse. Ces débits sont désormais de 100 mégabits par seconde (Mbit/s) pour la réception de données et de 20 Mbit/s pour l’envoi de données. Ces nouveaux seuils sont quatre fois plus élevés que ceux établis auparavant, en 2015, soit 25 Mbit/s en télécharge­ment et 5 Mbit/s en téléversem­ent.

Pour l’organisme fédéral américain, il s’agit de chiffres importants : cela établit un point de repère pour les programmes d’investisse­ment et de financemen­t gouverneme­ntaux.

Une bonne cible ?

Parce que tout est politique chez nos voisins du Sud, cette nouvelle norme n’a pas été adoptée facilement. Deux des cinq représenta­nts au conseil de la FCC qui ont voté sur cette mesure — des républicai­ns — ont voté contre : c’est trop vite à leur goût. Pour les autres, y compris pour Mme Rosenworce­l, il fallait hausser la barre. « Il était plus que temps », a-t-elle déclaré par communiqué. « Cela nous aidera à mieux identifier quelles communauté­s rurales et quels quartiers à plus faible revenu sont présenteme­nt moins bien servis [par les fournisseu­rs de services Internet]. »

Avec leurs nouveaux standards de 100 Mbit/s et de 20 Mbit/s, les ÉtatsUnis doublent désormais le Canada. Chez nous, on considère qu’une connexion est à haute vitesse à partir de 50 Mbit/s en télécharge­ment et de 10 Mbit/s en téléversem­ent.

Le gouverneme­nt canadien s’est fixé comme cible de donner accès à une connexion à Internet haute vitesse à 98 % des ménages du pays en 2026, puis à 100 % en 2030. Depuis la pandémie surtout, Ottawa a découvert que plusieurs grands secteurs économique­s et sociaux dépendaien­t d’une bonne connexion à Internet. On s’est aussi aperçu que l’accès à une connexion rapide et fiable était une question de compétitiv­ité, car chaque pays lutte pour attirer les entreprise­s spécialisé­es dans les technologi­es et leurs investisse­ments, notamment.

Dans ses statistiqu­es officielle­s, le fédéral ne donne pas d’aperçu de la part des ménages canadiens qui ont un accès à un Internet dont la vitesse est supérieure à 50 Mbit/s. Cela dit, selon les données du site spécialisé Speedtest.net, à l’heure actuelle, le débit moyen d’une connexion à Internet dans le monde est de 85 Mbit/s. Au Canada, la connexion moyenne a un débit d’environ 180 Mbit/s. Aux États-Unis, sa vitesse est passée de 200 Mbit/s en 2022 à 240 Mbit/s l’année dernière.

Brancher toutes les régions du pays à un Internet haute vitesse de 50 Mbit/s, c’est donc la moindre des choses. Et pour que ces régions aient un service comparable à ce qui est offert ailleurs, peut-être faudra-t-il revoir à la hausse les seuils minimaux des programmes gouverneme­ntaux.

Au moins, là où ils proposent la haute vitesse, les fournisseu­rs canadiens offrent la plupart du temps le choix entre plusieurs vitesses, la plupart supérieure­s à 50 Mbit/s.

La loi de Nielsen

La FCC est allée bien plus loin que de multiplier par quatre le débit minimal de la haute vitesse. Elle a fixé des cibles à long terme de 1000 Mbit/s pour la réception de données et de 500 Mbit/s pour l’envoi. Surtout, l’agence fédérale américaine estime que ce débit devrait être celui obtenu sur l’appareil qu’on tient entre nos mains. Cela veut dire que le routeur wifi, le modem et le service Internet devront tous à terme dépasser ces vitesses.

Ces exigences peuvent sembler ambitieuse­s, voire exagérées. Après tout, 100 Mbit/s suffisent déjà pour visionner un film en résolution 4K, passer un appel vidéo sur Zoom et écouter de la musique. Tout ça en même temps.

La FCC base néanmoins ses prévisions sur ce qu’on appelle la loi de Nielsen. L’ingénieur danois Jakob Nielsen a prédit, il y a plusieurs années, que la haute vitesse résidentie­lle serait 50 % plus rapide tous les ans. Cela cadre avec l’évolution du marché des services Internet observée entre 1983 et 2003. En informatiq­ue, on superpose la loi de Nielsen à la loi de Moore (sur l’améliorati­on des capacités des processeur­s informatiq­ues) pour déterminer où se trouveront les limites du traitement des données.

Or, en vertu des lois de Moore et de Nielsen, la puissance des processeur­s informatiq­ues grandit plus vite que la capacité de bande passante.

Le tout dans un monde où l’intelligen­ce artificiel­le (IA) semble vouloir tout conquérir. Et l’IA est une technologi­e qui est particuliè­rement gourmande, à la fois en puissance informatiq­ue et en transfert de données. Le goulot d’étrangleme­nt risque donc d’être une « haute vitesse » qui serait… trop basse. C’est pourquoi, sans doute, la FCC lève un frein qui, selon elle, ralentirai­t l’innovation technologi­que. L’IA stimule des investisse­ments colossaux partout dans le monde, et les États-Unis veulent leur part.

Le gouverneme­nt canadien mise, lui aussi, sur l’innovation et les avancées en IA pour faire croître son économie. Les deux milliards de dollars qu’il veut investir dans la création des fondations d’une IA souveraine en témoignent. Peutêtre devra-t-il aussi revoir sa définition de la haute vitesse. On ne voudrait pas d’une IA générative toute canadienne trop lente pour rivaliser avec ses rivales d’ailleurs dans le monde ! En anglais canadien, on dirait : ce serait dommage, eh ?

L’IA stimule des investisse­ments colossaux partout dans le monde, et les États-Unis veulent leur part

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