Le Devoir

La communauté internatio­nale lève presque trois milliards de dollars d’aide pour le Soudan

L’ONU a parlé de crimes « de guerre » et « contre l’humanité » commis par les deux parties, un an après le début du conflit

- DELPHINE TOUITOU ET JORIS FIORITTI À PARIS AGENCE FRANCE-PRESSE

La communauté internatio­nale, réunie lundi à Paris, s’est engagée à apporter plus de 2 milliards d’euros (presque 3 milliards $CA) de financemen­t pour le Soudan, appelant « tous les acteurs étrangers » à cesser leur soutien armé aux belligéran­ts d’un conflit qui sévit depuis un an dans ce pays.

« Au total, nous pouvons annoncer que plus de deux milliards d’euros seront mobilisés » pour les Soudanais victimes d’une guerre qui « ne produit que chagrin et souffrance », a déclaré le président français, Emmanuel Macron. À peine 190 millions d’euros d’engagement­s avaient été enregistré­s avant la conférence, a-t-il dit.

Sur les deux milliards, les pays membres de l’Union européenne participer­ont à hauteur de 900 millions d’euros (1,3 milliard $CA), dont 110 millions pour Paris, 244 pour Berlin et 350 pour Bruxelles. Washington s’engage de son côté à donner 138 millions d’euros (environ 202 millions $CA).

Les Nations unies avaient toutefois estimé le montant nécessaire de l’aide au Soudan à 3,8 milliards $US (5,5 milliards $CA) pour 2024.

« On se félicite que les engagement­s pris par toute une série d’États aujourd’hui soient importants », mais cela « reste bien en deçà des besoins », a déclaré le directeur général de l’ONG Solidarité­s internatio­nal, Kevin Goldberg.

Quatorze pays, dont l’Allemagne, la France, les États-Unis, l’Arabie saoudite, Djibouti, le Tchad, ainsi que l’ONU ont également adopté une déclaratio­n commune, dans laquelle ils appellent « tous les acteurs étrangers » à « cesser d’apporter un soutien armé ou du matériel aux parties au conflit ».

« Crimes contre l’humanité »

« Depuis un an, les Soudanais sont victimes d’une guerre terrible », avait déploré plus tôt le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné. La communauté internatio­nale se doit de réagir pour apaiser la « souffrance indicible » et le sentiment d’abandon des Soudanais, victimes de la guerre que se mènent « deux généraux impitoyabl­es », a estimé son homologue allemande, Annalena Baerbock.

Les multiples initiative­s de médiation sont restées sans effet, a-t-elle ajouté, appelant « à oeuvrer à une meilleure coordinati­on » et à « agir de concert pour amener les belligéran­ts à la table de négociatio­n et parvenir à un cessez-le-feu ».

Depuis les Nations unies, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a évoqué de probables « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » commis par les deux parties.

La guerre a éclaté le 15 avril 2023 entre les forces loyales au chef de l’armée Abdel Fattah al-Burhane et celles de Mohamed Hamdane Daglo, son ancien adjoint et commandant des forces paramilita­ires de soutien rapide.

Millions de déplacés et crise alimentair­e

« Seule la pression internatio­nale » poussera les belligéran­ts à négocier, a renchéri le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell.

« Au-delà du financemen­t, il faut mettre de la pression pour qu’il y ait un cessez-le-feu immédiat parce que, si l’on continue comme ça, dans un an, le Soudan risque de se désintégre­r », a alerté le chef de la diplomatie tchadienne, Mahamat Saleh Annadif.

Et le risque est de déstabilis­er toute la Corne de l’Afrique, la guerre ayant poussé de nombreux Soudanais à se réfugier dans les pays voisins.

Quelque 8,6 millions de personnes ont ainsi été déplacées par les combats, dont des millions au Tchad ou au Soudan du Sud, dans ce qui est « la plus grande crise de déplacemen­t [de population] au monde à l’heure actuelle », a déclaré la directrice générale de l’Organisati­on internatio­nale pour les migrations, Amy Pope.

La crise alimentair­e au Soudan pourrait également être « la plus grande jamais connue », a averti la directrice exécutive du Programme alimentair­e mondial, Cindy McCain, lors d’un entretien avec l’Agence France-Presse.

Selon l’ONU, dans les prochains mois, près de cinq millions de personnes pourraient plonger dans une « insécurité alimentair­e catastroph­ique », le niveau le plus élevé de l’échelle du cadre intégré de classifica­tion de la sécurité alimentair­e (IPC).

Plus de combattant­s

Le Haut-Commissair­e des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a mis en garde contre une nouvelle escalade de la violence alors que les parties au conflit arment les civils et que davantage de groupes armés se joignent aux combats.

« Le recrutemen­t et l’utilisatio­n d’enfants par les parties au conflit sont également très préoccupan­ts », a-t-il également déclaré.

Alors que 25 millions de personnes, soit la moitié de la population soudanaise, ont besoin d’aide, « il n’y a pas de nourriture qui est distribuée depuis le mois de mai l’année dernière » dans le camp de Zamzam, où « la situation empire forcément », selon Claire Nicolet, responsabl­e des opérations d’urgence au Soudan pour Médecins sans frontières. En janvier, l’organisati­on a révélé qu’un enfant mourrait toutes les deux heures dans ce camp du Darfour, où vivent 400 000 personnes.

Directrice adjointe de la division Afrique de l’ONG Human Rights Watch, Laetitia Bader appelle à des sanctions contre « des individus ou des entités » coupables d’« entrave délibérée à l’aide humanitair­e » et à des enquêtes pour « crimes de guerre ».

Lundi, le Royaume-Uni a annoncé de nouvelles sanctions visant des entreprise­s qui soutiennen­t les belligéran­ts.

Le Canada a fait de même, contre ceux qu’il accuse d’avoir perpétué la guerre civile au Soudan, sanctionna­nt le commandant paramilita­ire soudanais Abdelrahim Hamdan Dagalo et l’ancien ministre des Affaires étrangères Ali Karti, qui dirigeait un groupe islamiste opposé au régime démocratiq­ue, de même que quatre entreprise­s

Pendant des mois, les experts de l’Afrique et le Nouveau Parti démocratiq­ue ont critiqué les libéraux pour ne pas avoir suivi l’exemple de pays comparable­s, comme les États-Unis, en imposant des sanctions contre ceux qui donnent du pouvoir aux « seigneurs de guerre ».

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JORIS BOLOMEY AGENCE FRANCE-PRESSE Des réfugiés soudanais se rassemblen­t pour remplir des bidons d’eau dans le camp de réfugiés de Farchana.

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