Le Devoir

Du lait et des vitamines à la porte des aînés

Dans le cadre d’un projet pilote, des aînés boivent 300 ml de lait par jour et prennent des multivitam­ines

- MARIE-EVE COUSINEAU LE DEVOIR

Toc, toc, toc. « Livraison ! » Madeleine Paradis ouvre sa porte et voit apparaître sa « laitière ». Depuis la fin février, elle et son époux reçoivent gratuiteme­nt des cartons de lait ultrafiltr­é riche en protéines et sans lactose. Le couple qui habite aux Demeures Sainte-Croix, une résidence sans but lucratif pour personnes âgées autonomes de Montréal, participe au projet pilote NutriAGES, qui vise à contrer la dénutritio­n chez les aînés grâce à la distributi­on de lait et de multivitam­ines.

Madeleine Paradis et son mari boivent désormais chaque jour trois petits verres de lait (100 ml chacun), en plus de prendre des supplément­s vitaminés. Et ça semble porter fruit. « Je dirais que j’ai de 25 à 50 % plus d’énergie », dit Mme Paradis, qui vient de ranger ses cartons de deux litres de lait dans le réfrigérat­eur. « Je le sens parce que j’arrête pas ici. J’ai mon mari à m’occuper. Mon ménage. On fait beaucoup de bénévolat en bas : les comités de repas, de loisirs… »

C’est l’objectif du projet pilote : augmenter l’apport en protéines et en vitamines des aînés afin qu’ils maintienne­nt leur masse musculaire et conservent leur autonomie.

L’idée vient de la nutritionn­iste Louise Lambert-Lagacé, qui s’est associée à la Fondation AGES, un organisme de bienfaisan­ce qui soutient des initiative­s en gériatrie sociale. Selon Mme Lambert-Lagacé, la situation nutritionn­elle des personnes âgées est « alarmante ». « Les 71 ans et plus sont les moins bien nourris de toute la population », signale-t-elle. « Au Québec, c’est un aîné sur deux qui ne satisfait pas ses besoins en protéines. On sait que quand il y a un manque chronique de protéines, ça affecte la force musculaire. »

L’appétit diminue en vieillissa­nt. L’énergie ou l’envie de cuisiner aussi, parfois. Or, selon le consensus scientifiq­ue, les besoins en protéines des aînés sont plus grands que chez les adultes moins âgés. « Notre masse musculaire diminue avec les années et notre capacité d’absorption, l’anabolisme des protéines, se fait moins bien. Ça en prend plus pour faire le même travail.

C’est notre grand défi », explique Mme Lambert-Lagacé.

En participan­t à NutriAGES, les aînés s’engagent à consommer 300 ml de lait ultrafiltr­é chaque jour pendant trois mois en sus de leur alimentati­on habituelle. « Ça nous donne un ajout de 20 grammes de protéines », précise la nutritionn­iste. « C’était un chiffre qui avait été reconnu dans les recherches pour faire une différence. »

Un projet dans quatre régions

Au total, 150 personnes âgées prendront part à cette initiative soutenue par la Direction nationale de santé publique du Québec. Pour le moment, le projet pilote a été lancé dans l’arrondisse­ment montréalai­s de SaintLaure­nt et dans la région estrienne du Granit. Il sera prochainem­ent déployé dans l’arrondisse­ment montréalai­s de Lachine, à Laval et à Québec. Des organismes en gériatrie sociale ou des popotes roulantes assureront la distributi­on du lait et des multivitam­ines, gracieuset­é d’Agropur et de Haleon (Centrum).

Louise Savard, qui vit aux Demeures Sainte-Croix, a accepté de participer au projet pilote. Depuis, elle dit retrouver le goût du lait de sa jeunesse, qu’elle avait perdu en raison d’une allergie au lactose (le lait fourni n’en contient pas). « C’est sûr que plusieurs personnes âgées manquent de protéines », pense-t-elle. « Ici, je me rends compte qu’à l’heure du midi, beaucoup de gens ne prennent pas la soupe et la mettent dans un plat [de plastique] et l’apportent pour souper. »

Même constat chez Sophie Marcotte, navigatric­e en gériatrie sociale chez CommunAîné­s Saint-Laurent, qui distribue le lait dans le cadre du projet pilote (la « laitière »). « Souvent, [des aînés] me disent : “Je mange une petite toast le matin, après je mange au souper et en journée, je vais grignoter un peu.” C’est comme un repas et demi. »

Cuisiner peut apparaître complexe pour un aîné isolé et affaibli.

CommunAîné­s Saint-Laurent tente de faciliter la vie des participan­ts au projet pilote. Il leur fournit un « tableau aide-mémoire » leur rappelant l’heure des rations quotidienn­es de lait et de multivitam­ines. Les aînés peuvent cocher une case lorsqu’ils l’ont prise.

Selon le coordonnat­eur de gériatrie sociale de l’organisme, Luis Segovia, très peu d’aînés, parmi la quarantain­e de personnes recrutées, ont abandonné jusqu’à présent. « Ce qu’on constate aussi, c’est que ça développe chez eux une curiosité à savoir “qu’est-ce que je peux faire d’autre” [avec mon lait] ? », affirme-t-il. Un smoothie ou du gruau, par exemple. « Ça crée justement cette envie de se nourrir, et [ça montre que ce] n’est pas si compliqué que ça. »

Une fois le projet pilote terminé, Louise Lambert-Lagacé compte sonder les aînés sur leur expérience. « Est-ce qu’il y a eu un changement au niveau de l’énergie ? Est-ce que ça dérangeait leur horaire ? Est-ce qu’ils ont aimé le produit ? » cite-t-elle en exemple. Les participan­ts seront également pesés, comme ils l’ont été au début de l’initiative et à la mi-projet. Un bilan de santé sera effectué. « Ce qu’on ne peut pas faire, c’est mesurer la force musculaire. Mais c’est ce qu’on souhaite effectuer éventuelle­ment », commente la nutritionn­iste, qui précise qu’elle manque de ressources.

D’ici là, Mme Lambert-Lagacé espère que les aînés prendront « l’habitude de manger un petit peu plus » et de penser « protéines ». Et qui sait, le projet qu’elle porte sera peut-être un jour étendu à l’échelle du Québec.

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 ?? PHOTOS MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR ?? Ci-contre, Marlène Guy, résidente aux Demeures Sainte-Croix, parle avec Sophie Marcotte, à droite, lors de la distributi­on de lait. Le projet pilote permet de fournir aux aînés qui résident dans ces demeures du lait et des vitamines afin de prévenir les carences alimentair­es. En bas, le laitier vient livrer les produits laitiers à la résidence.
PHOTOS MARIEFRANC­E COALLIER LE DEVOIR Ci-contre, Marlène Guy, résidente aux Demeures Sainte-Croix, parle avec Sophie Marcotte, à droite, lors de la distributi­on de lait. Le projet pilote permet de fournir aux aînés qui résident dans ces demeures du lait et des vitamines afin de prévenir les carences alimentair­es. En bas, le laitier vient livrer les produits laitiers à la résidence.

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