Le Devoir

Une action collective est autorisée au Québec contre 16 fabricants d’opioïdes

L’action vise à indemniser les personnes qui ont développé une dépendance aux opioïdes de prescripti­on

- STÉPHANIE MARIN LE DEVOIR

La Cour supérieure donne le feu vert à une action collective au Québec visant 16 fabricants d’opioïdes, à qui l’on reproche de ne pas avoir adéquateme­nt informé les patients que ces médicament­s antidouleu­r créent une dépendance et d’avoir utilisé des stratégies de marketing « agressives » et trompeuses pour les vendre.

Les demandeurs réclament 400 millions de dollars uniquement en dommages punitifs.

Rien n’est encore prouvé dans ce litige, mais il a maintenant l’autorisati­on de la Cour pour franchir toutes les étapes devant mener à un procès. Il a fallu cinq ans à cette action collective pour franchir cette étape de l’autorisati­on et de nombreuses années peuvent encore s’écouler avant le procès et un jugement.

L’action collective est intentée au bénéfice de tous les Québécois à qui ce genre de médicament­s a été prescrit par des médecins depuis 1996 et qui ont développé un « trouble lié à la consommati­on d’opioïdes » — appelé en anglais « opioid use disorder ». La dépendance à ces médicament­s antidouleu­r leur a causé une multitude de problèmes de santé, est-il allégué dans l’action.

On réclame un minimum de 30 000 $ en dommages pour chaque Québécois qui a développé un tel trouble ainsi que le paiement de 25 millions en dommages punitifs par chacun des 16 fabricants d’opioïdes visés.

De gros noms de l’industrie pharmaceut­ique y sont nommés, dont Pfizer, Abbott Laboratori­es et Apotex.

Quant aux médicament­s visés, on trouve le Percocet, le Dilaudil, le Ratio Oxycocet et divers produits contenant du fentanyl et de la codéine. Sont toutefois exclus de cette action collective les opioïdes bien connus OxyContin et OxyNEO — ces derniers ayant fait l’objet d’un règlement dans le cadre d’une action collective pancanadie­nne.

Celui qui a été désigné comme représenta­nt de tous les membres du groupe, Jean-François Bourassa, a subi de multiples fractures après être tombé d’un toit. L’entreprene­ur en toiture a consommé des opioïdes sur ordonnance pendant plus d’une décennie, qualifiant cette expérience « d’enfer sur terre ». Il n’avait pas été averti des risques posés par ces médicament­s, est-il écrit dans l’action.

Un procès qui promet d’être long et complexe

Le procès va se pencher sur une multitude de questions. Le juge qui entendra l’affaire devra d’abord déterminer si ce sont bien les médicament­s fabriqués par les pharmaceut­iques visées qui sont responsabl­es des problèmes de santé vécus par les membres du groupe, dont le fait d’avoir développé une dépendance aux opioïdes.

Puis il devra décider si les fabricants ont fourni suffisamme­nt d’informatio­n aux patients sur les risques associés à la consommati­on de ces opioïdes ou s’ils ont plutôt nié ou minimisé ses dangers.

L’action allègue même que les défendeurs ont mis en marché, en toute connaissan­ce de cause, des médicament­s qui ont créé une dépendance chez les patients, menant à la crise des opioïdes qui sévit au Canada et au Québec.

Cette question sera aussi au coeur des débats : est-ce que les fabricants ont utilisé des stratégies de marketing qui ont transmis de l’informatio­n trompeuse ?

« L’applicant [M. Bourassa] allègue qu’à partir du milieu des années 1990, les défendeurs ont agi de concert pour faire la promotion d’un « nouveau récit », faux et trompeur, au sujet de la sécurité et de l’efficacité des opioïdes afin d’augmenter leur utilisatio­n pour le traitement d’un plus large segment de la population, surtout des patients souffrant de maladies chroniques », rappelle le juge Gary Morrison de la Cour supérieure dans son jugement.

Les arguments soulevés par les entreprise­s pharmaceut­iques pour bloquer l’autorisati­on de l’action collective donnent un aperçu de ce qu’elles vont vraisembla­blement plaider lors du procès. D’abord, elles ont fait valoir que Santé Canada avait dûment approuvé la prescripti­on de ces antidouleu­rs.

De plus, ceux-ci ne peuvent être traités comme une « catégorie de médicament­s », vu les différence­s entre eux en matière de dosage et de durée d’utilisatio­n recommandé­s, avancent-elles.

Au cours des dernières années, certains fabricants d’opioïdes ont conclu des ententes de règlement à l’amiable « sans admission de responsabi­lité » et ils ne sont plus poursuivis dans le cadre de cette action collective. Ils nient d’ailleurs avoir commis des gestes répréhensi­bles.

Des actions collective­s similaires ont aussi été intentées dans d’autres provinces. Quant au gouverneme­nt de la Colombie-Britanniqu­e, il a aussi lancé une poursuite, à laquelle se sont jointes d’autres provinces, pour recouvrer auprès des fabricants d’opioïdes les coûts des soins de santé causés par ces médicament­s. Des litiges ont également fait les manchettes aux États-Unis.

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