Une action collective est autorisée au Québec contre 16 fabricants d’opioïdes
L’action vise à indemniser les personnes qui ont développé une dépendance aux opioïdes de prescription
La Cour supérieure donne le feu vert à une action collective au Québec visant 16 fabricants d’opioïdes, à qui l’on reproche de ne pas avoir adéquatement informé les patients que ces médicaments antidouleur créent une dépendance et d’avoir utilisé des stratégies de marketing « agressives » et trompeuses pour les vendre.
Les demandeurs réclament 400 millions de dollars uniquement en dommages punitifs.
Rien n’est encore prouvé dans ce litige, mais il a maintenant l’autorisation de la Cour pour franchir toutes les étapes devant mener à un procès. Il a fallu cinq ans à cette action collective pour franchir cette étape de l’autorisation et de nombreuses années peuvent encore s’écouler avant le procès et un jugement.
L’action collective est intentée au bénéfice de tous les Québécois à qui ce genre de médicaments a été prescrit par des médecins depuis 1996 et qui ont développé un « trouble lié à la consommation d’opioïdes » — appelé en anglais « opioid use disorder ». La dépendance à ces médicaments antidouleur leur a causé une multitude de problèmes de santé, est-il allégué dans l’action.
On réclame un minimum de 30 000 $ en dommages pour chaque Québécois qui a développé un tel trouble ainsi que le paiement de 25 millions en dommages punitifs par chacun des 16 fabricants d’opioïdes visés.
De gros noms de l’industrie pharmaceutique y sont nommés, dont Pfizer, Abbott Laboratories et Apotex.
Quant aux médicaments visés, on trouve le Percocet, le Dilaudil, le Ratio Oxycocet et divers produits contenant du fentanyl et de la codéine. Sont toutefois exclus de cette action collective les opioïdes bien connus OxyContin et OxyNEO — ces derniers ayant fait l’objet d’un règlement dans le cadre d’une action collective pancanadienne.
Celui qui a été désigné comme représentant de tous les membres du groupe, Jean-François Bourassa, a subi de multiples fractures après être tombé d’un toit. L’entrepreneur en toiture a consommé des opioïdes sur ordonnance pendant plus d’une décennie, qualifiant cette expérience « d’enfer sur terre ». Il n’avait pas été averti des risques posés par ces médicaments, est-il écrit dans l’action.
Un procès qui promet d’être long et complexe
Le procès va se pencher sur une multitude de questions. Le juge qui entendra l’affaire devra d’abord déterminer si ce sont bien les médicaments fabriqués par les pharmaceutiques visées qui sont responsables des problèmes de santé vécus par les membres du groupe, dont le fait d’avoir développé une dépendance aux opioïdes.
Puis il devra décider si les fabricants ont fourni suffisamment d’information aux patients sur les risques associés à la consommation de ces opioïdes ou s’ils ont plutôt nié ou minimisé ses dangers.
L’action allègue même que les défendeurs ont mis en marché, en toute connaissance de cause, des médicaments qui ont créé une dépendance chez les patients, menant à la crise des opioïdes qui sévit au Canada et au Québec.
Cette question sera aussi au coeur des débats : est-ce que les fabricants ont utilisé des stratégies de marketing qui ont transmis de l’information trompeuse ?
« L’applicant [M. Bourassa] allègue qu’à partir du milieu des années 1990, les défendeurs ont agi de concert pour faire la promotion d’un « nouveau récit », faux et trompeur, au sujet de la sécurité et de l’efficacité des opioïdes afin d’augmenter leur utilisation pour le traitement d’un plus large segment de la population, surtout des patients souffrant de maladies chroniques », rappelle le juge Gary Morrison de la Cour supérieure dans son jugement.
Les arguments soulevés par les entreprises pharmaceutiques pour bloquer l’autorisation de l’action collective donnent un aperçu de ce qu’elles vont vraisemblablement plaider lors du procès. D’abord, elles ont fait valoir que Santé Canada avait dûment approuvé la prescription de ces antidouleurs.
De plus, ceux-ci ne peuvent être traités comme une « catégorie de médicaments », vu les différences entre eux en matière de dosage et de durée d’utilisation recommandés, avancent-elles.
Au cours des dernières années, certains fabricants d’opioïdes ont conclu des ententes de règlement à l’amiable « sans admission de responsabilité » et ils ne sont plus poursuivis dans le cadre de cette action collective. Ils nient d’ailleurs avoir commis des gestes répréhensibles.
Des actions collectives similaires ont aussi été intentées dans d’autres provinces. Quant au gouvernement de la Colombie-Britannique, il a aussi lancé une poursuite, à laquelle se sont jointes d’autres provinces, pour recouvrer auprès des fabricants d’opioïdes les coûts des soins de santé causés par ces médicaments. Des litiges ont également fait les manchettes aux États-Unis.