Le Devoir

Nous sommes l’élan identitair­e dont vous avez besoin

Monsieur le Ministre de la Culture, prenez acte de la portée de notre force, celle qui fait avancer tant de choses

- Frédéric Dubois Metteur en scène, l’auteur est aussi directeur artistique exécutif de la section française et directeur du programme d’interpréta­tion de l’École nationale de théâtre du Canada.

Monsieur le Ministre de la Culture, monsieur Lacombe, depuis que j’ai commencé ma carrière, tous les politicien­s, politicien­nes et ministres de la Culture étaient d’une autre génération, de l’âge de mes parents. J’ai toujours eu un certain sentiment d’être regardé de haut ou de ne pas être vraiment pris au sérieux. D’être devant mes sévères professeur­s qui réclamaien­t que je me taise, les yeux au ciel.

Mais la vie fait ce qu’elle fait et je suis maintenant un homme quarantena­ire. Et j’ai, pour la première fois, l’impression que mon interlocut­eur politique fait partie de la même équipe que moi. Qu’enfin je pourrai être entendu de l’endroit et de l’âge où je suis. Je ne vais cependant pas vous tutoyer, M. Lacombe, je ne vous connais pas personnell­ement et le titre qu’est le vôtre demande de la considérat­ion.

Malgré le temps qui est passé, une chose n’a pas changé, en revanche, et c’est ma fatigue. Celle d’entendre se répéter les mêmes récriminat­ions de mon milieu et, surtout, celle d’avoir cette éternelle perception de ne pas être écouté, voire respecté.

Une question naïve : est-ce qu’avec le titre s’érige inévitable­ment un mur qui vous coupe de l’expertise de celles et ceux qui connaissen­t, savent, éprouvent et comprennen­t les directions à prendre ?

Le dimanche 14 avril se sont réunis plus de 100 jeunes artistes des arts vivants pour partager leurs peurs et leurs préoccupat­ions, et voir ensemble quelles mesures prendre pour revendique­r. Les dernières coupes du budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), comme pour le reste du milieu, les inquiètent. J’y ai assisté à titre de directeur de la section française de l’École nationale de théâtre du Canada, afin de les entendre et de trouver comment je pourrai les appuyer. Et après 10 minutes à les écouter, j’ai été catapulté 20 ans plus tôt. Tout était pareil, tout ce qui s’y exprimait n’avait en rien changé.

J’ai peut-être soudaineme­nt cru que c’était pire. Et c’est pourquoi j’ai décidé de vous écrire. Non pas pour vous répéter les demandes de terrain ou vous parler du déséquilib­re créé par la multiplica­tion des plateforme­s de diffusion qui nous nuit. Non pas pour vous dire que le CALQ n’a plus, à mes yeux, les moyens de son mandat. Non pas pour vous parler de ma situation de créateur, qui est bien loin de celle que la génération qui me précède pouvait avoir quand elle avait mon âge.

Non pas pour vous rappeler qu’à l’émission Dans les médias, vous avez candidemen­t avoué avoir privilégié, pour les choix budgétaire­s, des producteur­s télé avec qui vous vous êtes assis cet hiver. Non pas pour vous faire remarquer que clairement, assis avec le Conseil québécois du théâtre, les résultats n’ont pas été les mêmes. Non.

Je vous écris pour vous dire ceci : ne voulez-vous pas être le ministre de notre génération ? Celui qui ne fera pas les choses comme nos parents, pour nos enfants ? Pourquoi ne pas les écouter autrement ? Je les côtoie tous les jours, les jeunes qui feront le théâtre de demain, et je vous jure, ils et elles sont exceptionn­els.

Nous sommes, Monsieur le ministre, monsieur Lacombe, l’élan identitair­e dont vous avez besoin. Nous portons l’identité du Québec. Nous sommes les corps, les visages, les mots, les récits. Ceux et celles qui racontent. Nous sommes là. Juste là. Tellement près. Tellement présents. Tellement investis.

Je pense que vous ne prenez pas acte de toute la portée de notre force. Celle qui ferait avancer tant de choses.

Mathieu. C’est Frédéric qui t’écrit. Je te tends la main. Je te le jure, ça pourrait être complèteme­nt fou.

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