Confidences de nuits éveillées
Le Carrefour international de théâtre invite les noctambules à laisser sur une boîte vocale des fragments de leur vie « à rebours du monde » en vue d’un spectacle présenté en juin
C’est de l’art qui donne la parole à la communauté et qui prend vie en dehors des cercles artistiques, des cercles d’initiés. Ça transforme aussi la ville de Québec en théâtre : quand quelqu’un nous raconte ce qu’il ressent en déambulant au pied des remparts au milieu de la nuit, ça » change notre propre regard sur la capitale. MAUREEN ROBERGE
Le Carrefour international de théâtre part à la pêche aux confidences avec sa Ligne de nuit, une oeuvre qui donnera à entendre les bribes de vie nocturne confiées par les noctambules, insomniaques et autres éveillés de Québec qui s’animent quand les autres se laissent bercer par le sommeil.
Depuis un mois et pour quelques semaines encore, le répondeur du Carrefour recueillera au 581 741-5300, entre minuit et 6 h, les témoignages de la faune nocturne de Québec. Ces confidences choisies serviront de trame sonore au spectacle Ligne de nuit, une plongée auditive dans la face cachée du jour, soit ce monde qui s’ébroue à la lueur de la lune.
« Je ne soupçonnais pas qu’il y avait toute cette vie-là qui grouillait la nuit à Québec », lance avec étonnement l’artiste Maureen Roberge, responsable de rapailler les messages vocaux anonymes pour en faire une oeuvre collective.
À la fin du bip, les noctambules confient ce qui les tient éveillés quand tout le monde, ou presque, rêve à poings fermés. Ces fragments de nuit dressent « un portrait de ces solitudes qui se rencontrent » aux petites heures, du fêtard éméché jusqu’à l’infirmière en fin de quart, des nouveaux parents en veille forcée jusqu’aux camionneurs au long cours.
Ces voix récoltées tissent la toile d’un « univers méconnu » qui vit « un peu à rebours du monde », ajoute Maureen Roberge.
« Nous sommes très ouverts sur les confidences. C’est parfois très léger et très drôle, mais il y a aussi une grande humanité qui se dégage de cette démarche-là », ajoute la cheffe d’orchestre. Brouhaha à la sortie des bars ou confessions chuchotées sur l’oreiller, l’expérience « lève le voile, ajoute l’artiste, sur les pans obscurs de la nuit et des gens qui l’habitent ».
Maureen Roberge a ainsi pu entendre le dévouement d’un original, debout au beau milieu de la nuit pour superviser la fermentation de son yogourt maison. Elle a aussi pu recueillir la « fable » racontée malgré lui par un travailleur éreinté parti à la dérive de sa propre fatigue jusqu’à livrer une pièce de « poésie accidentelle » d’anthologie sur la boîte vocale.
« C’est de l’art qui donne la parole à la communauté et qui prend vie en dehors des cercles artistiques, des cercles d’initiés, explique avec enthousiasme l’artiste et comédienne. Ça transforme aussi la ville de Québec en théâtre : quand quelqu’un nous raconte ce qu’il ressent en déambulant au pied des remparts au milieu de la nuit, ça change notre propre regard sur la capitale. »
L’oeuvre s’inspire de Nightline, une idée née des insomnies de l’artiste de théâtre documentaire australienne Roslyn Oades. Cette dernière collabore avec le Carrefour pour assurer l’adaptation québécoise de son concept.
La représentation se voudra intimiste, conviant chaque fois un public limité à une quarantaine de personnes. À l’image des téléphonistes d’autrefois qui branchaient et débranchaient les lignes à la main, les membres du public auront le loisir de décrocher les combinés téléphoniques de leur choix pour écouter les confidences cachées au bout du fil.
« Nous nous retrouverons dans la peau d’un téléphoniste de nuit », assure l’artiste. Moins spectacle qu’expérience auditive et immersive, Ligne de nuit livrera ses secrets du 5 au 8 juin au théâtre Périscope, dans le cadre du Carrefour international de théâtre.