Le Devoir

Confidence­s de nuits éveillées

Le Carrefour internatio­nal de théâtre invite les noctambule­s à laisser sur une boîte vocale des fragments de leur vie « à rebours du monde » en vue d’un spectacle présenté en juin

- SÉBASTIEN TANGUAY À QUÉBEC

C’est de l’art qui donne la parole à la communauté et qui prend vie en dehors des cercles artistique­s, des cercles d’initiés. Ça transforme aussi la ville de Québec en théâtre : quand quelqu’un nous raconte ce qu’il ressent en déambulant au pied des remparts au milieu de la nuit, ça » change notre propre regard sur la capitale. MAUREEN ROBERGE

Le Carrefour internatio­nal de théâtre part à la pêche aux confidence­s avec sa Ligne de nuit, une oeuvre qui donnera à entendre les bribes de vie nocturne confiées par les noctambule­s, insomniaqu­es et autres éveillés de Québec qui s’animent quand les autres se laissent bercer par le sommeil.

Depuis un mois et pour quelques semaines encore, le répondeur du Carrefour recueiller­a au 581 741-5300, entre minuit et 6 h, les témoignage­s de la faune nocturne de Québec. Ces confidence­s choisies serviront de trame sonore au spectacle Ligne de nuit, une plongée auditive dans la face cachée du jour, soit ce monde qui s’ébroue à la lueur de la lune.

« Je ne soupçonnai­s pas qu’il y avait toute cette vie-là qui grouillait la nuit à Québec », lance avec étonnement l’artiste Maureen Roberge, responsabl­e de rapailler les messages vocaux anonymes pour en faire une oeuvre collective.

À la fin du bip, les noctambule­s confient ce qui les tient éveillés quand tout le monde, ou presque, rêve à poings fermés. Ces fragments de nuit dressent « un portrait de ces solitudes qui se rencontren­t » aux petites heures, du fêtard éméché jusqu’à l’infirmière en fin de quart, des nouveaux parents en veille forcée jusqu’aux camionneur­s au long cours.

Ces voix récoltées tissent la toile d’un « univers méconnu » qui vit « un peu à rebours du monde », ajoute Maureen Roberge.

« Nous sommes très ouverts sur les confidence­s. C’est parfois très léger et très drôle, mais il y a aussi une grande humanité qui se dégage de cette démarche-là », ajoute la cheffe d’orchestre. Brouhaha à la sortie des bars ou confession­s chuchotées sur l’oreiller, l’expérience « lève le voile, ajoute l’artiste, sur les pans obscurs de la nuit et des gens qui l’habitent ».

Maureen Roberge a ainsi pu entendre le dévouement d’un original, debout au beau milieu de la nuit pour superviser la fermentati­on de son yogourt maison. Elle a aussi pu recueillir la « fable » racontée malgré lui par un travailleu­r éreinté parti à la dérive de sa propre fatigue jusqu’à livrer une pièce de « poésie accidentel­le » d’anthologie sur la boîte vocale.

« C’est de l’art qui donne la parole à la communauté et qui prend vie en dehors des cercles artistique­s, des cercles d’initiés, explique avec enthousias­me l’artiste et comédienne. Ça transforme aussi la ville de Québec en théâtre : quand quelqu’un nous raconte ce qu’il ressent en déambulant au pied des remparts au milieu de la nuit, ça change notre propre regard sur la capitale. »

L’oeuvre s’inspire de Nightline, une idée née des insomnies de l’artiste de théâtre documentai­re australien­ne Roslyn Oades. Cette dernière collabore avec le Carrefour pour assurer l’adaptation québécoise de son concept.

La représenta­tion se voudra intimiste, conviant chaque fois un public limité à une quarantain­e de personnes. À l’image des téléphonis­tes d’autrefois qui branchaien­t et débranchai­ent les lignes à la main, les membres du public auront le loisir de décrocher les combinés téléphoniq­ues de leur choix pour écouter les confidence­s cachées au bout du fil.

« Nous nous retrouvero­ns dans la peau d’un téléphonis­te de nuit », assure l’artiste. Moins spectacle qu’expérience auditive et immersive, Ligne de nuit livrera ses secrets du 5 au 8 juin au théâtre Périscope, dans le cadre du Carrefour internatio­nal de théâtre.

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