Le Devoir

Les pays du Golfe tentent d’éviter un embrasemen­t

Un élargissem­ent du conflit mettrait en péril leur sécurité et leurs projets de réforme économique

- TALEK HARRIS, ROBBIE COREYBOULE­T ET CALLUM PATON À DUBAÏ ET À DOHA AGENCE FRANCE-PRESSE

Les États du Golfe se démènent pour éviter un élargissem­ent du conflit au Moyen-Orient, qui mettrait en péril leur sécurité et leurs ambitieux projets de réforme économique.

Leurs dirigeants ont amorcé une série de contacts diplomatiq­ues après l’attaque sans précédent lancée par l’Iran samedi soir contre Israël, qui fait planer le spectre d’une conflagrat­ion régionale, sur fond de guerre entre l’armée israélienn­e et le Hamas palestinie­n à Gaza.

Géographiq­uement, ces pays se trouvent de l’autre côté du Golfe par rapport à l’Iran, ce qui les place en première ligne.

Par ailleurs, des installati­ons militaires des États-Unis, alliés d’Israël, sont implantées dans les six États membres du Conseil de coopératio­n du Golfe (CCG). Poids lourds du Conseil, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont par ailleurs déjà subi des attaques contre des installati­ons pétrolière­s de la part des rebelles houthis du Yémen, soutenus par l’Iran.

Contacts diplomatiq­ues

En cas d’attaque contre l’Iran, Téhéran pourrait « être tenté de riposter contre le CCG compte tenu de sa proximité et de la multitude des cibles [potentiell­es qui sont] difficiles à protéger », pronostiqu­e Ali Shihabi, un analyste saoudien proche du Palais royal en Arabie saoudite.

Selon lui, « l’Iran vient d’apprendre à quel point il est difficile d’atteindre Israël à des milliers de kilomètres », contrairem­ent aux pays du CCG, alors qu’Israël a dit avoir déjoué l’attaque iranienne comprenant 350 drones et missiles, dont la quasi-totalité a été intercepté­e par la défense antiaérien­ne israélienn­e et des pays alliés.

Les pays du Golfe partagent une conviction : « Les conflits sont mauvais pour les affaires et les éviter est désormais une priorité absolue », souligne Andreas Krieg, spécialist­e du Moyen-Orient au King’s College de Londres.

Dimanche, le président émirati, Mohammed ben Zayed al-Nahyane, s’est entretenu avec l’émir du Qatar et les rois de Jordanie et de Bahreïn, selon les médias officiels, tandis que le prince héritier Mohammed ben Salmane, dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, a parlé au premier ministre irakien.

Dans le cadre de ces contacts, le premier ministre qatari et le ministre des Affaires étrangères saoudien ont échangé avec le chef de la diplomatie iranienne, tandis que le ministre saoudien de la Défense a eu des entretiens avec son homologue américain.

De son côté, l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, a discuté lundi avec le président iranien de la « nécessité de restreindr­e toutes les formes d’escalade et d’éviter l’extension du conflit dans la région », selon l’agence officielle qatarie.

L’enjeu est de taille pour les riches pays du Golfe, alliés de longue date des États-Unis : leurs coûteux plans de diversific­ation économique, visant à assurer leur avenir post-pétrolier, reposent sur un environnem­ent stable propice aux affaires et au tourisme.

Plus grand exportateu­r de brut au monde, l’Arabie saoudite a lancé un ambitieux programme de réformes, qui vise à transforme­r le royaume ultraconse­rvateur en un centre d’affaires, de tourisme et de sport.

« Position très délicate »

Sa « priorité absolue » est que « la crise ne s’aggrave pas », déclare à l’AFP Ali Shihabi. L’Arabie saoudite veut par ailleurs tirer profit de ses liens renoués avec l’Iran après une longue rupture et de ses bonnes relations avec les États-Unis.

« L’Arabie saoudite usera de ses liens avec les États-Unis pour faire pression sur Israël pour un cessez-lefeu à Gaza et pour ne pas répondre à l’attaque iranienne » sur Israël, estime Umer Karim, chercheur en politique étrangère et politique saoudienne à l’Université de Birmingham.

Oman, proche de l’Iran, reste pour sa part un canal de médiation essentiel. Et le Qatar présente l’avantage d’abriter Al Udeid, plus grande base militaire américaine de la région, explique M. Krieg.

« Concernant le détroit d’Ormuz ou de Bab al-Mandeb, [les Omanais] disposent de réseaux plus profonds et sont probableme­nt les médiateurs les plus efficaces », estime-t-il, en référence aux voies de navigation stratégiqu­es du Golfe et de la mer Rouge.

Selon M. Karim, toute nouvelle détériorat­ion de la situation ne laisserait aucun bon choix au Golfe.

« Le conflit est en train de générer progressiv­ement un nouvel équilibre régional […], avec Israël soutenu par les États-Unis d’un côté et l’Iran » et ses alliés de l’autre, estime-t-il.

Pendant ce temps, une escalade place les États du Golfe « dans une position très délicate, car ils ne veulent se ranger d’aucun côté. Mais ils seront affectés quoi qu’il arrive ».

 ?? MENAHEM KAHANA AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Un soldat israélien est en poste devant le système de défense antiaérien­ne israélien Iron Dome, qui a intercepté dimanche près de Jérusalem des missiles tirés depuis l’Iran.
MENAHEM KAHANA AGENCE FRANCE-PRESSE Un soldat israélien est en poste devant le système de défense antiaérien­ne israélien Iron Dome, qui a intercepté dimanche près de Jérusalem des missiles tirés depuis l’Iran.

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