Le Devoir

Des rainettes envoyées au Biodôme… pour faire place à une nouvelle rue à Longueuil

La Ville prolongera un boulevard en détruisant l’un des derniers habitats de cette espèce menacée

- ALEXANDRE SHIELDS PÔLE ENVIRONNEM­ENT LE DEVOIR

La Ville de Longueuil a capturé mercredi des rainettes faux-grillons, qui seront envoyées au Biodôme, afin de pouvoir relancer les travaux de prolongeme­nt d’une rue, a appris Le Devoir. Ce projet routier, qui avait d’abord été stoppé par un décret du fédéral, pérenniser­a la destructio­n d’un « habitat essentiel » pour la survie de cette espèce en péril.

La période de reproducti­on de la rainette faux-grillon est en cours, et elles sont nombreuses à s’être déplacées vers des mares d’eau, essentiell­es au cycle de vie de cette espèce menacée, qui se sont formées sur le site du prolongeme­nt du boulevard Béliveau. Celui-ci coupe en deux un important milieu propice à la survie du petit batracien.

Le projet routier a d’abord été autorisé en 2021 par le gouverneme­nt Legault et il a déjà détruit en partie un « habitat essentiel » de la rainette faux-grillon, une espèce pourtant protégée en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada. Le ministre fédéral de l’Environnem­ent, Steven Guilbeault, avait d’ailleurs promulgué un « décret d’urgence » en novembre 2021 pour stopper les travaux déjà bien entamés.

La Ville de Longueuil a toutefois annoncé en juillet 2023 son intention de terminer la route, affirmant que ce milieu humide ne pouvait être « restauré dans son ensemble ». Elle a obtenu par la suite un permis fédéral lui permettant d’installer, dans l’habitat de la rainette, une « barrière » le long du site du futur boulevard. Celle-ci devait empêcher les batraciens d’accéder à la zone des travaux, mais la formation de mares a fait en sorte que les rainettes s’y sont installées pour la période de reproducti­on de ce printemps.

Capture et déplacemen­t

Comme la Ville souhaite relancer les travaux pour terminer le prolongeme­nt de 300 mètres de rue, une opération de capture des rainettes a été effectuée mercredi afin de laisser le champ libre au chantier routier qui pérenniser­a la destructio­n de cet habitat essentiel. C’est le fédéral qui, après avoir stoppé le chantier en 2021, doit autoriser sa poursuite.

Longueuil a obtenu en mars l’autorisati­on nécessaire de la part du gouverneme­nt du Québec afin de « capturer des amphibiens dans le but de les relocalise­r à l’extérieur de la zone des travaux ». Par courriel, on affirme que, « même s’il y a présence d’eau sur le site du chantier favorisant la présence de rainettes, ce n’est pas un lieu adapté à l’espèce et il y a donc opération de relocalisa­tion ».

Les batraciens capturés sont envoyés au Biodôme, a confirmé la Ville au Devoir. Les rainettes faux-grillons seront ainsi intégrées au programme scientifiq­ue d’élevage et de réintroduc­tion piloté par l’établissem­ent depuis quelques années.

Le ministre de l’Environnem­ent du Québec, Benoit Charette, s’est porté à la défense de Longueuil, jugeant que l’opération concernait « un petit territoire ».

Le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, Alain Branchaud, dénonce pour sa part la décision de capturer les rainettes. « On peut dire que l’on est en train de se débarrasse­r de la rainette sur le site. Je pense sérieuseme­nt qu’il serait préférable de laisser la reproducti­on se terminer et de laisser les jeunes qui émergeront dans quelques semaines regagner les habitats de croissance. »

Selon lui, les rainettes ont choisi ce site parce que les conditions y sont propices à cette phase critique de leur cycle de vie. En retirant tous les batraciens de la zone, on risque donc d’annuler toute une saison de reproducti­on pour une espèce qui accuse un dangereux déclin.

Directeur de la conservati­on de l’organisme Ciel et Terre, Tommy Montpetit connaît bien la situation des population­s de rainettes de Longueuil. Il déplore la décision d’autoriser la capture. « Ils vident l’habitat de ses rainettes et ils envoient un message aux promoteurs d’autres projets du genre », affirme-t-il. À son avis, des batraciens vont revenir occuper les mares dans les prochains jours. La Ville devra donc répéter l’opération, puisqu’elle tient à asphalter le site dans les prochaines semaines.

« Tout ça pour ça »

Après l’interventi­on du fédéral dans le dossier en 2021, M. Branchaud juge par ailleurs que ce nouveau chapitre constitue un recul. « Tout ça pour ça. Le gouverneme­nt a utilisé la mesure d’exception du décret d’urgence pour arrêter les travaux de prolongeme­nt du boulevard Béliveau et il fait maintenant marche arrière au moment même où la rainette reprend ses droits sur le site. C’est tristement

» inacceptab­le.

Selon un avis scientifiq­ue rédigé par les experts du gouverneme­nt du Québec en 2021, le nouveau tronçon du boulevard Béliveau détruira « un point de passage névralgiqu­e » et des « habitats de reproducti­on » de l’espèce qui sont « particuliè­rement actifs ». Le document précise que la situation de cette espèce menacée « représente un indicateur des pertes de biens et services écologique­s rendus par les milieux humides temporaire­s et les milieux naturels en milieux urbains et périurbain­s ».

La rainette faux-grillon a déjà perdu plus de 90 % de son habitat au Québec, surtout en raison de l’étalement urbain. Selon un bilan des « menaces » daté de mars 2021 et rédigé par des experts du gouverneme­nt provincial, moins de 25 % des population­s présentes au Québec seront en mesure de survivre à moins qu’un frein soit mis aux menaces grandissan­tes.

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III ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR La rainette fauxgrillo­n a déjà perdu plus de 90 % de son habitat au Québec, surtout en raison de l’étalement urbain.

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