Des rainettes envoyées au Biodôme… pour faire place à une nouvelle rue à Longueuil
La Ville prolongera un boulevard en détruisant l’un des derniers habitats de cette espèce menacée
La Ville de Longueuil a capturé mercredi des rainettes faux-grillons, qui seront envoyées au Biodôme, afin de pouvoir relancer les travaux de prolongement d’une rue, a appris Le Devoir. Ce projet routier, qui avait d’abord été stoppé par un décret du fédéral, pérennisera la destruction d’un « habitat essentiel » pour la survie de cette espèce en péril.
La période de reproduction de la rainette faux-grillon est en cours, et elles sont nombreuses à s’être déplacées vers des mares d’eau, essentielles au cycle de vie de cette espèce menacée, qui se sont formées sur le site du prolongement du boulevard Béliveau. Celui-ci coupe en deux un important milieu propice à la survie du petit batracien.
Le projet routier a d’abord été autorisé en 2021 par le gouvernement Legault et il a déjà détruit en partie un « habitat essentiel » de la rainette faux-grillon, une espèce pourtant protégée en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada. Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, avait d’ailleurs promulgué un « décret d’urgence » en novembre 2021 pour stopper les travaux déjà bien entamés.
La Ville de Longueuil a toutefois annoncé en juillet 2023 son intention de terminer la route, affirmant que ce milieu humide ne pouvait être « restauré dans son ensemble ». Elle a obtenu par la suite un permis fédéral lui permettant d’installer, dans l’habitat de la rainette, une « barrière » le long du site du futur boulevard. Celle-ci devait empêcher les batraciens d’accéder à la zone des travaux, mais la formation de mares a fait en sorte que les rainettes s’y sont installées pour la période de reproduction de ce printemps.
Capture et déplacement
Comme la Ville souhaite relancer les travaux pour terminer le prolongement de 300 mètres de rue, une opération de capture des rainettes a été effectuée mercredi afin de laisser le champ libre au chantier routier qui pérennisera la destruction de cet habitat essentiel. C’est le fédéral qui, après avoir stoppé le chantier en 2021, doit autoriser sa poursuite.
Longueuil a obtenu en mars l’autorisation nécessaire de la part du gouvernement du Québec afin de « capturer des amphibiens dans le but de les relocaliser à l’extérieur de la zone des travaux ». Par courriel, on affirme que, « même s’il y a présence d’eau sur le site du chantier favorisant la présence de rainettes, ce n’est pas un lieu adapté à l’espèce et il y a donc opération de relocalisation ».
Les batraciens capturés sont envoyés au Biodôme, a confirmé la Ville au Devoir. Les rainettes faux-grillons seront ainsi intégrées au programme scientifique d’élevage et de réintroduction piloté par l’établissement depuis quelques années.
Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, s’est porté à la défense de Longueuil, jugeant que l’opération concernait « un petit territoire ».
Le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, Alain Branchaud, dénonce pour sa part la décision de capturer les rainettes. « On peut dire que l’on est en train de se débarrasser de la rainette sur le site. Je pense sérieusement qu’il serait préférable de laisser la reproduction se terminer et de laisser les jeunes qui émergeront dans quelques semaines regagner les habitats de croissance. »
Selon lui, les rainettes ont choisi ce site parce que les conditions y sont propices à cette phase critique de leur cycle de vie. En retirant tous les batraciens de la zone, on risque donc d’annuler toute une saison de reproduction pour une espèce qui accuse un dangereux déclin.
Directeur de la conservation de l’organisme Ciel et Terre, Tommy Montpetit connaît bien la situation des populations de rainettes de Longueuil. Il déplore la décision d’autoriser la capture. « Ils vident l’habitat de ses rainettes et ils envoient un message aux promoteurs d’autres projets du genre », affirme-t-il. À son avis, des batraciens vont revenir occuper les mares dans les prochains jours. La Ville devra donc répéter l’opération, puisqu’elle tient à asphalter le site dans les prochaines semaines.
« Tout ça pour ça »
Après l’intervention du fédéral dans le dossier en 2021, M. Branchaud juge par ailleurs que ce nouveau chapitre constitue un recul. « Tout ça pour ça. Le gouvernement a utilisé la mesure d’exception du décret d’urgence pour arrêter les travaux de prolongement du boulevard Béliveau et il fait maintenant marche arrière au moment même où la rainette reprend ses droits sur le site. C’est tristement
» inacceptable.
Selon un avis scientifique rédigé par les experts du gouvernement du Québec en 2021, le nouveau tronçon du boulevard Béliveau détruira « un point de passage névralgique » et des « habitats de reproduction » de l’espèce qui sont « particulièrement actifs ». Le document précise que la situation de cette espèce menacée « représente un indicateur des pertes de biens et services écologiques rendus par les milieux humides temporaires et les milieux naturels en milieux urbains et périurbains ».
La rainette faux-grillon a déjà perdu plus de 90 % de son habitat au Québec, surtout en raison de l’étalement urbain. Selon un bilan des « menaces » daté de mars 2021 et rédigé par des experts du gouvernement provincial, moins de 25 % des populations présentes au Québec seront en mesure de survivre à moins qu’un frein soit mis aux menaces grandissantes.